Retour

imprimer l'article Imprimer

GÉRER - LA CHRONIQUE JURIDIQUE

Le contrôle des structures se fonde sur l'intérêt général

JACQUES LACHAUD - La vigne - n°262 - mars 2014 - page 76

Un père souhaitait installer son fils sur sa propriété qu'il avait mise en fermage. Malheureusement pour lui, il avait omis de demander l'autorisation préfectorale prévue par le contrôle des structures. Son projet n'a pu aboutir malgré tous les recours.

Gontran possède des vignes en Côtes du Rhône. N'étant pas agriculteur, il a confié ses terres à un fermier, Lucas. Mais Gaspard, le fils du propriétaire, vient d'obtenir brillamment son diplôme d'oenologie et veut reprendre l'exploitation familiale. Quelle procédure faut-il suivre pour une telle reprise ?

Le bail passé entre Gontran et Lucas a déjà été renouvelé une fois. Le contrat doit venir à expiration dans deux ans. Notaire, avocat et chambre d'agriculture suggèrent au propriétaire de faire une reprise pour exploitation personnelle en faveur de son fils qui, pour le moment, est en stage chez un viticulteur voisin.

Pour éviter toute erreur, notre bailleur confie l'affaire à un avocat spécialiste. Les textes sont clairs : il s'agit d'appliquer les articles L 411-47, 58 et 59 du code rural. Dix-huit mois avant l'expiration du bail conclu pour neuf ans, Gontran signifie un congé pour reprise à son fermier. Mais ce dernier ne voit pas du tout les choses ainsi. Il se sent sûr de lui. À ses yeux, Gaspard est un fils de famille qui se prend pour un paysan alors qu'il est incapable d'exploiter. Aussi conteste-t-il, dans les quatre mois, le congé devant le tribunal paritaire des baux ruraux en argumentant que le bénéficiaire de la reprise ne remplit pas les conditions de l'article L 411-59 du code rural, lesquelles lui imposent de se consacrer à l'exploitation de son bien.

« Baliverne ! » proclame le conseil de Gontran, exhibant le diplôme obtenu et le certificat de stage. Le fils de famille s'avère compétent ! Lucas doit trouver une autre parade. Il fait alors valoir qu'en application de l'article L 411-58 du code rural, le bénéficiaire de la reprise doit disposer d'une autorisation du préfet, ce qui n'est pas le cas. En effet, l'exploitation est dans la zone viticole des Côtes du Rhône, dans le Gard, où l'unité de référence (UR) est de 15 ha. Or, selon le schéma directeur départemental, il faut obtenir l'autorisation de reprendre un bien s'il dépasse une UR plus un quart. C'est le cas en l'espèce, car la propriété litigieuse s'étend sur 25 ha...

Du côté du propriétaire, c'est la consternation. Gontran va demander au préfet l'autorisation exigée mais, comme le rappellent les juges, « l'autorisation doit être obtenue avant l'échéance du bail ».

L'arrêt rendu annule donc le congé donné à Lucas. Le bailleur décide de saisir la Cour de cassation. Le procès va prendre une autre dimension. Sachant qu'il a peu d'arguments à opposer à l'arrêt d'appel, Gontran décide d'utiliser un moyen de droit légalisé il y a peu : la question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Il va ainsi s'attaquer au contrôle des structures.

Son avocat fait valoir que la réglementation aboutit, pour son client, à une privation dans la maîtrise et l'usage de son bien. En conséquence, il estime que le Conseil constitutionnel doit se prononcer sur cette violation du droit de propriété (article 17 de la Déclaration des droits de l'homme).

Usant de son pouvoir, la Cour de cassation ne l'a pas suivi. Elle a motivé son refus de transmettre sa QPC au Conseil constitutionnel en considérant que « la question posée ne présente pas un caractère sérieux, dès lors que la disposition critiquée - c'est-à-dire l'exigence de l'autorisation préfectorale - n'a ni pour objet ni pour effet de priver le bailleur de son droit de propriété ». Les juges poursuivent : « Si les dispositions du contrôle des structures peuvent entraîner des limitations à l'exercice du droit de propriété, [...], ces limitations, fondées sur un objectif d'intérêt général de politique agricole, n'ont pas un caractère de gravité tel qu'elles dénaturent le sens et la portée du droit de propriété. »

Arrêt de la Cour de cassation du 10 octobre 2013 n° 1319778.

Cet article fait partie du dossier

Consultez les autres articles du dossier :

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :