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GÉRER - LA CHRONIQUE JURIDIQUE

Usufruitier, nu-propriétaire Un partage de droits

JACQUES LACHAUD - La vigne - n°267 - septembre 2014 - page 70

La difficulté d'un démembrement du droit de propriété est de connaître les prérogatives du nu-propriétaire et de l'usufruitier.Deux arrêts de la Cour de cassation précisent les droits et les devoirs de chacun.

Les notions d'usufruit et de nue-propriété ne sont pas aisées pour le non-juriste. Elles sont aussi soumises à une interprétation des juges. Deux arrêts de la Cour de cassation, rendus les 20 et 21 mai 2014, ont censuré des décisions d'appel portant sur ces sujets. Usufruit et nue-propriété sont des notions essentielles pour bien des familles après une donation ou une succession.

De quoi s'agit-il ? L'usufruit et la nue-propriété naissent d'un démembrement du droit de propriété d'un bien. La nue-propriété est la propriété amputée du droit de jouissance, lequel est la prérogative de l'usufruitier. Le nu-propriétaire ne peut donc pas louer ni percevoir le loyer d'un bien. Une des principales difficultés est de connaître les droits respectifs du nu-propriétaire et de l'usufruitier.

Dans une première affaire, une femme a loué un bien dont elle détenait le quart en propriété et les trois quarts de l'usufruit après le décès de son mari. Elle a consenti le bail sans même en référer à ses deux enfants, titulaires de la nue-propriété pour les trois quarts .

Le pouvait-elle ? Pour ses enfants, c'était non ! Ils ont entamé une procédure pour obtenir l'annulation de ce bail. Le tribunal leur a donné raison selon l'article 595 du code civil. Celui-ci dispose : « L'usufruitier ne peut, sans le concours du nu-propriétaire, donner à bail un fonds rural [...]. À défaut d'accord du nu-propriétaire, l'usufruitier peut être autorisé par la justice à passer seul cet acte ».

Le bénéficiaire du bail a donc dû quitter la propriété louée. Or, il y avait réalisé des investissements. Ce fermier bafoué s'est donc retourné contre la mère. Dans un premier temps, les juges du fond ont estimé qu'elle n'était pas tenue à indemniser son ex-locataire. Selon eux, le fermier aurait dû s'assurer que la propriétaire avait bien le droit de louer son bien car il savait qu'elle avait des enfants.

Notre malheureux fermier s'est donc pourvu en cassation. La cour suprême a cassé la décision de la cour d'appel. Elle a ordonné un nouveau jugement pour examiner la demande d'indemnisation du fermier. Elle a considéré la mère comme responsable de son préjudice en vertu de l'article 595 du code civil. On peut toutefois se demander s'il n'aurait pas été préférable pour lui, face au refus des nus-propriétaires de lui consentir le bail qu'il sollicitait, de demander l'autorisation du tribunal...

Autre arrêt, autres faits. À l'origine de l'arrêt de la Cour de cassation du 21 mai, un couple de propriétaires fonciers met ses parcelles de vignes en location. En 1995, le couple vieillissant décide de faire une donation-partage à son fils Gontran. Celui-ci reçoit ainsi la nue-propriété des parcelles. Au décès de ses parents, en 2003, il reçoit la pleine propriété des parcelles. En 2010, il donne congé aux locataires pour que sa femme puisse exploiter les vignes.

Devait-il demander une autorisation pour exploiter ces vignes ou pouvait-il se contenter d'une simple déclaration préalable de mise en valeur ? Se fondant sur l'article L. 331-2 du code rural, Gontran s'est contenté d'une déclaration. Ce texte prévoit qu'est soumise à simple déclaration la mise en valeur d'un bien agricole reçu par donation ou succession d'un parent jusqu'au troisième degré lorsque trois conditions sont remplies :

-le déclarant doit avoir une expérience professionnelle,

-les biens doivent être libres de location au jour de la déclaration,

-les biens doivent être détenus par ce parent depuis neuf ans au moins.

Les locataires congédiés ont attaqué leur propriétaire. La cour d'appel leur a donné tort. Ils se sont alors pourvus en cassation. Bien leur en a pris. La Cour de cassation a considéré que Gontran n'avait acquis la pleine propriété des vignes qu'en juillet 2003. En novembre 2010, à la date d'effet du congé, il ne justifiait donc pas d'une détention des parcelles depuis 9 ans au moins. Car, pour la Cour de cassation, « détenir » signifie détenir en pleine propriété. En conséquence de quoi, Gontran ne pouvait pas se contenter d'une simple déclaration.

La loi était ambiguë en se contentant de dire que le bien doit être « détenu » depuis au moins 9 ans. La Cour de cassation vient de décider qu'il faut entendre par là « détenu en pleine propriété ».

Arrêts n° 13-11314 du 20 mai 2014 et n° 13-14851 du 21 mai 2014

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