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Stéphane Billard, avocat associé au cabinet Juriter, à Reims (Marne) « Le démembrement de propriété facilite l'achat de vignes »

Propos recueillis par Aude Lutun - La vigne - n°234 - septembre 2011 - page 66

 © A. LUTUN

© A. LUTUN

LA VIGNE : Qu'est-ce que le démembrement de propriété ?

Stéphane Billard : Le démembrement de propriété résulte du partage de la pleine propriété d'un bien entre la nue-propriété d'une part et l'usufruit d'autre part. L'usufruitier a le droit d'usage ou perçoit les revenus du bien. Le nu-propriétaire, lui, conserve le droit de vendre, de donner ou d'hypothéquer son bien. L'usufruit est un droit temporaire, dont la durée est généralement fixée par une convention. Il est au maximum viager, c'est-à-dire qu'il s'éteint au décès de l'usufruitier. Lorsque l'usufruit est consenti à une société, sa durée ne peut excéder trente ans.

Quels sont les objectifs recherchés ?

S. B. : L'intérêt principal du démembrement de propriété est de faciliter le financement de l'achat de terres. L'usufruit temporaire, à la différence de la pleine propriété, peut être amorti, ce qui peut diminuer l'assiette sociale et fiscale applicable aux revenus professionnels et ainsi augmenter la capacité de remboursement de l'exploitation.

Dans quels cas de figure constatez-vous des démembrements de propriété ?

S. B. : La situation la plus fréquente est celle d'un viticulteur qui achète à titre privé la nue-propriété d'une vigne et dont la société d'exploitation (EARL, SCEV ou autre) achète l'usufruit. Les vignes sont alors exploitées en faire-valoir direct par cette société d'exploitation.

Comment calcule-t-on la valeur de l'usufruit ?

S. B. : L'usufruit temporaire (UT) est déterminé par l'application d'un barème fiscal fixant à 23 % de la pleine propriété la valeur d'un usufruit temporaire d'un à dix ans. Chaque nouvelle tranche de dix ans totale ou partielle augmente la valeur de l'usufruit de 23 %. Mais attention, ce barème sert essentiellement à calculer l'assiette des droits d'enregistrement sur la vente. Il ne doit pas être la seule référence. La valeur de l'usufruit temporaire doit également être cohérente avec les résultats que l'agriculteur pourra obtenir en exploitant les biens acquis. Il est parfois nécessaire de réduire la valeur de l'usufruit calculé avec le barème fiscal que je viens d'exposer et/ou d'en allonger la durée d'amortissement. En pratique, la durée de l'usufruit constitué au profit d'une société devra, de préférence, être comprise entre vingt-cinq et trente ans et la valeur devra être déterminée au regard d'une évaluation économique et non fiscale.

Quels sont les autres intérêts de l'usufruit temporaire ?

S. B. : Le démembrement de propriété est de plus en plus souvent mis en œuvre pour céder un droit d'exploiter des vignes sans être soumis au statut du fermage.

Prenons le cas d'un vigneron qui possède une parcelle qu'il ne souhaite ni louer, ni vendre, ni confier à un prestataire de service. Il peut vendre l'usufruit temporaire pour une durée de vingt ans, par exemple. Pour le propriétaire, les avantages sont multiples. S'il détient le bien depuis plus de quinze ans, il bénéficie d'une exonération totale des plus-values constatées lors de la vente de l'usufruit. Rappelons que des fermages issus d'une location de vignes sont taxables aux prélèvements sociaux et à l'impôt sur le revenu des personnes physiques. L'inconvénient majeur est que le propriétaire, devenu nu-propriétaire, ne maîtrise plus la destination de l'usufruit qui peut être cédé librement par son acquéreur.

De plus, la nue-propriété ne peut pas être transmise avec les exonérations fiscales applicables aux biens loués par bail rural à long terme, puisqu'aucun bail n'est conclu.

Pour l'usufruitier, l'intérêt est double puisque l'usufruit ne relève pas du statut du fermage et qu'il peut céder son UT ou associer un tiers sans avoir à demander l'accord du propriétaire. Par ailleurs, l'usufruit est amortissable fiscalement. L'inconvénient est qu'au terme de l'usufruit, il ne bénéficie pas du renouvellement de son droit d'exploiter comme en matière de locations rurales.

Quels sont les écueils du démembrement ?

S. B. : Il faut être vigilant au fait que la nue-propriété a une faible valeur quand on crée l'usufruit, mais qu'elle augmente chaque année.

Ces opérations nécessitent d'anticiper au mieux la transmission de la nue-propriété avant que celle-ci n'ait une valeur proche de la pleine propriété du fait de l'extinction prochaine de l'usufruit.

Et lorsqu'on installe un enfant ?

S. B. : Il faut également se poser les bonnes questions. Imaginons des parents ayant une EARL qui bénéficie d'un UT de vingt ans sur 9 hectares de vignes. Ils sont nus-propriétaires des 9 hectares à titre privé. Ils ont trois enfants, dont l'un s'installe au sein de l'EARL. Si les parents décèdent avant le terme de l'usufruit temporaire, la nue-propriété revient aux trois enfants si celle-ci n'a pas été transmise par donation. Au terme de l'usufruit de vingt ans, les deux enfants non exploitants deviennent propriétaires de 3 hectares chacun et ne sont pas obligés de les louer à leur frère ou sœur installé(e). La pérennité de l'exploitation pourrait en conséquence être mise en péril.

Pour éviter cette situation, les parents peuvent donner la nue-propriété en intégrant dans l'acte de donation l'obligation faite aux donataires de consentir un bail rural à l'exploitant au terme de l'usufruit. Ils peuvent aussi apporter la nue-propriété à une SCI dont les règles de fonctionnement pourront permettre de sécuriser l'exploitant.

Que se passe-t-il en cas de décès ?

S. B. : Si le nu-propriétaire décède, il n'y a pas de conséquence, les héritiers reçoivent la nue-propriété, l'usufruit temporaire se poursuit.

Si l'usufruitier décède et qu'il est une personne physique, l'usufruit s'arrête et le nu-propriétaire redevient propriétaire. Les héritiers de l'usufruitier ne bénéficient d'aucune indemnisation.

Pour écarter cet aléa, il est préférable de consentir un usufruit temporaire au profit d'une société et non à une personne physique.

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PARCOURS

Juriste, puis responsable du service juridique d'un centre de gestion pendant dix ans.

Avocat à Reims depuis 2006.

Création du cabinet d'avocats Juriter en 2009, spécialisé dans le conseil juridique et fiscal au profit des entreprises agricoles et viticoles.

Membre du réseau Effervescence.

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