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DOSSIER - Marché foncier : le tour des vignobles

BORDEAUX Des vignes pour toutes les bourses

COLETTE GOINÈRE - La vigne - n°293 - janvier 2017 - page 22

Le marché foncier est alimenté par les viticulteurs qui partent à la retraite sans avoir de successeurs. Les prix progressent ainsi dans les appellations les plus prestigieuses qui sont déjà les plus chères. Ailleurs, les prix des parcelles sont stables ou en baisse.
Le vignoble bordelais, comme ici Montagne-Saint-Émilion, reste toujours aussi attractif, tant pour les locaux que pour les étrangers. © P. ROY

Le vignoble bordelais, comme ici Montagne-Saint-Émilion, reste toujours aussi attractif, tant pour les locaux que pour les étrangers. © P. ROY

Damien Mounet, gérant associé de Viti Transactions, filiale du Crédit Agricole d'Aquitaine spécialisée dans les transactions foncières, le répète : « Bordeaux fait encore rêver. Dès lors le marché est très actif. Il se vend 2 500 ha par an environ. » Soit près de 2 % de ce vignoble vaste de 115 000 ha.

Damien Mounet enchaîne les rendez-vous. Il reçoit des acquéreurs, de Gironde ou d'ailleurs, qui flashent pour les AOC du cru. Ainsi ce couple d'industriels du centre de la France qui compte se reconvertir en faisant l'acquisition d'une propriété en AOC Côtes de Bourg, ou cet Anglais qui vient de racheter 2,5 ha en Pomerol pour 2,5 millions d'euros. Quant à deux autres industriels bretons, ils ont craqué pour Jura Plaisance, une propriété en Montagne Saint-Émilion de 11 ha qui était sans repreneur.

Les vignerons bordelais sont également acheteurs. « Les exploitants ont besoin de s'agrandir pour lisser les coûts de production. Ce phénomène s'accélère dans des AOC génériques comme l'Entre-deux-Mers ou Bordeaux », analyse Mathieu Perromat, associé du cabinet Deloitte, responsable vins et spiritueux. Bref, entre les locaux et les étrangers, la demande est là.

L'offre aussi. « Le terroir est divers : on a toutes les couleurs de vins et tous les prix, poursuit Mathieu Perromat. Nombre de viticulteurs de plus de 55 ans se retrouvent sans successeur. Ils cherchent à vendre. Le spectre est large. Les acheteurs peuvent faire leur marché. »

Côté prix, il y en a pour toutes les bourses. « La situation est très contrastée d'une appellation à l'autre », note Michel Lachat, directeur de l'agence gironde de la Safer Aquitaine-Atlantique. Au sommet de l'échelle girondine, l'hectare en AOC Pauillac se paye 2 millions d'euros (un chiffre identique depuis 2013). En bas de l'échelle, une terre en Bordeaux vaut 15 000 €/ha.

Depuis trois ans, le prix des terres progresse peu, sauf dans le Libournais et le Médoc. Dans le Libournais, l'hectare de Pomerol est passé de 900 000 à 1,1 million d'euros entre 2013 et 2015. Dans le même temps, l'hectare de Saint-Émilion a progressé de 200 000 à 220 000 €. Et les prix grimpent aussi dans les appellations moins célèbres que sont Fronsac et Canon-Fronsac.

Dans le Médoc, Saint-Estèphe est le seul à être stable. Comptez 350 000 €/ha pour cette appellation communale. Saint-Julien et Margaux sont en hausse de 20 %, les prix moyens étant passés de 1 à 1,2 million d'euros par hectare entre 2013 et 2015. Et en AOC Médoc, ils ont grimpé de 40 000 à 50 000 €/ha.

Seuls les liquoreux sont en chute. À Sauternes, la situation est délicate : en 2015, l'hectare s'échangeait à 35 000 € contre 50 000 € en 2013. « Actuellement, les prix ne baissent plus. Cette AOC rencontre de réelles difficultés commerciales », indique Michel Lachat.

Pour Mathieu Perromat, le fermage reste l'outil le plus économique pour s'agrandir. « Le montant des loyers est fixé par des décrets préfectoraux au profit de l'exploitant », affirme-t-il. N'empêche, beaucoup de viticulteurs choisissent d'acquérir du foncier.

À Saint-Émilion, dans le contexte de hausse des prix, l'Union des producteurs (UDP Saint-Émilion - 150 adhérents, 700 ha) se porte acquéreur de vignes par le biais de groupements fonciers viticoles (GFV). Elle a déjà mis trois de ces groupements en place. Un quatrième est prévu pour le château Ménichot. Ces sociétés détiennent 20 ha au total et donnent leurs terres en fermage à des coopérateurs.

Le GFV est un montage qui a séduit Thierry Duverger. En 2010, il quitte la grande distribution pour reprendre les rênes de la propriété familiale, Château Capet Duverger, avec 8 ha. Très vite la question se pose : comment s'agrandir ? « Le prix du foncier en Saint-Émilion est tel que nous ne pouvions pas acheter plusieurs hectares de vignes », lâche-t-il.

Du coup, il se porte candidat, parmi d'autres, pour devenir fermier pendant vingt-cinq ans du château Ménichot, une propriété sans successeur de 10 ha, rachetée en 2016 par l'UDP Saint-Émilion. Il est retenu pour 6 ha, avec un autre candidat qui obtiendra 3 ha. Le dernier hectare a été vendu par ailleurs. Quant au vendeur, il exploitera encore la propriété en 2017. Thierry Duverger ne coiffera qu'en octobre prochain sa nouvelle casquette de fermier de Ménichot.

L'UDP porte le foncier en attendant de trouver des investisseurs prêts à prendre des parts dans le GFV. De son côté, Thierry Duverger va créer une SCEA pour exploiter les vignes. À partir de 2018, il livrera la récolte à la coopérative et sera rémunéré comme les autres apporteurs.

À la cave de Listrac (150 ha, 38 adhérents) dans le Médoc, Pierre Chenin, son directeur, a en permanence un dossier foncier sur son bureau. « Le foncier, c'est stratégique. On ne peut pas rester passif. Il faut conserver la maîtrise des vignes si l'on veut éviter que notre coopérative perde des surfaces. » Dans ce but, mi-2011, la cave a créé une SCEA qui exploite une dizaine d'hectares appartenant à des adhérents partis à la retraite, en attendant qu'un coopérateur actif rachète ou prenne en fermage tout ou partie de ces terres.

Philippe Abadie, responsable du service économique à la chambre d'agriculture de la Gironde, n'est pas inquiet pour le devenir du vignoble girondin : « Il y aura toujours des acquéreurs prêts à investir ou à s'agrandir. Par contre, notre souci récurrent est d'accompagner des exploitants qui n'ont pas de successeurs. » Actuellement, 1 600 propriétaires viticoles de plus de 55 ans ne savent pas à qui et comment transmettre leurs exploitations. Soit 20 000 hectares de vignes, un peu moins de 20 % du vignoble.

ET VOUS, PENSEZ-VOUS QU'IL FAUT ACHETER DES VIGNES ? Nicolas Carreau, vigneron sur 85 ha à Cars (Gironde)

 © S. CHAPUIS

© S. CHAPUIS

« Oui. Il faut s'agrandir pour amortir les coûts à l'export ou de mise aux normes. Nous sommes à la tête de 85 ha dont 57 en fermage en Blaye-Côtes de Bordeaux. À mon arrivée, il y a onze ans, il y avait 58 ha. En 2015, nous avons acheté une propriété attenante à la nôtre, soit 27 ha. Nous allons continuer à nous agrandir. Nous regardons ce qui est à vendre en Côtes de Bourg pour nous diversifier. Mais gare à ne pas dépasser certains paliers. D'ici dix ans, nous pourrions atteindre 100 ha. Nous n'irons pas au-delà. »

ET VOUS, PENSEZ-VOUS QU'IL FAUT ACHETER DES VIGNES ? Jean-Baptiste Miane, château Fontoy, 35 ha à Lugasson (Gironde)

« Je m'agrandis pour rendre ma propriété attractive. À terme, j'espère la vendre ou la mettre en fermage. J'espère aussi embaucher un salarié et lever le pied car, pour l'heure, je travaille seul avec ma femme. J'exploite 35 ha en propriété. Je me suis installé en 1989 sur le domaine familial de 15 ha. Depuis, je me suis agrandi en achetant des vignes dont 10 ha en Bordeaux, en 2015, que j'ai payés 18 000 €/ha. Je suis adhérent à la cave de Rauzan. La coop m'a prêté 20 % sur huit ans à un taux de 1 %. J'ai financé les autres 80 % par emprunt bancaire. Cela vaut le coup. »

ET VOUS, PENSEZ-VOUS QU'IL FAUT ACHETER DES VIGNES ? Philippe Lassus, vigneron sur 14 ha à Rauzan (Gironde)

« Pour moi, cela ne vaut plus la peine d'acheter des vignes. J'ai 53 ans, c'est trop tard. J'exploite 14 ha en appellation Bordeaux dont 5 ha en fermage. Je n'ai pas de salarié. J'aime faire le travail moi-même. Mes enfants ne sont pas intéressés pour me succéder. Quand j'ai repris l'exploitation, il n'y avait que 10 ha, j'ai restructuré les vignes. Cela m'a coûté de l'argent et du temps. J'ai acquis 2,5 ha en 1994, puis 1 ha en 2003 et 0,5 ha en 2004. À l'avenir, mon exploitation ne devrait plus exister. Elle est trop petite. »

ET VOUS, PENSEZ-VOUS QU'IL FAUT ACHETER DES VIGNES ? Cécile Mallié Verdier, château Brethous, 14 ha à Camblanes-et-Meynac (Gironde)

« Non. Nous ne courrons pas après l'achat de vignes. J'ai repris la propriété familiale en 1999. Avec mon mari, nous exploitons 14 ha en pleine propriété. Notre stratégie est de progresser autant sur le plan technique que commercial. On est passés en bio en 2008. Nous voulons développer l'export qui représente 50 % de notre activité. Aux États-Unis, on n'est pas assez présents. Au Canada, on n'est pas implantés. En France, nous voulons développer le CHR. On participa ainsi à dix salons pour gagner de la clientèle particulière. »

L'essentiel de l'offre

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