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DOSSIER - Marché foncier : le tour des vignobles

CHAMPAGNE Un marché bloqué

AUDE LUTUN - La vigne - n°293 - janvier 2017 - page 42

Avec un prix moyen de 1,1 M€/ha, la vigne est presque inaccessible. Seules des petites parcelles se vendent, principalement achetées par des viticulteurs. Les investisseurs extérieurs sont très rares.
Le prix de la vigne est tel qu'il faut plus d'une génération pour l'amortir. © C. FAIMALI

Le prix de la vigne est tel qu'il faut plus d'une génération pour l'amortir. © C. FAIMALI

Le marché du foncier viticole reste très limité en volume. On estime que 0,5 % des 33 000 ha de vignes que compte l'appellation a changé de mains (hors donation) en 2016. Environ 80 ha se sont vendus dans la Marne, 40 ha dans l'Aube et quelques-uns dans l'Aisne.

Dans la Marne, la taille moyenne des parcelles vendues est de 15 ares. Le marché porte essentiellement sur des petites surfaces cédées à des viticulteurs. Il est très rare qu'un domaine entier soit à vendre. La petite taille des biens mis en vente contribue à faire grimper les prix car ils sont accessibles à un nombre plus important d'acheteurs.

Le prix moyen de l'hectare s'établit ainsi à 1,13 million d'euros, avec de fortes disparités selon la région. Les écarts de prix tendent d'ailleurs à s'accroître, à l'image de ce qui se passe sur le marché du raisin depuis quelques années. Dans la Côte des Blancs, alors que le prix moyen est resté stable autour de 1,6 million d'euros par hectare, les prix maximums sont passés de 1,8 à 2 millions entre 2013 et 2015.

« Aujourd'hui, le négoce est bien pourvu en raisin, analyse Thierry Blaise, expert foncier et gérant de l'agence Terres & Vignes, dans la Marne. Il achète moins de vigne, sauf dans les premiers ou grands crus. Dans les crus périphériques, ce qui se vendait très vite il y a trois ans prend plus de temps. Pour autant, les prix ne chutent pas. »

Nicolas Didier, viticulteur à Saint-Martin-d'Ablois (Marne) et membre du conseil d'administration de la Safer Champagne-Ardenne, fait le même constat. « Le marché soumis au droit de préemption de la Safer est stable et l'on trouve toujours des candidats à l'acquisition, souligne-t-il. Il y a toutefois moins d'acquéreurs qu'il y a quatre ans. Le prix des vignes limite les capacités d'achat. L'autre frein, c'est le commerce devenu plus difficile pour les viticulteurs avec des ventes qui baissent sur le marché français chaque année depuis 2008. Il y a des secteurs où les candidats à l'acquisition sont plus nombreux que d'autres. Cela dépend du potentiel des vignes, des acteurs locaux et de leur capacité à investir. »

À ces niveaux de prix, est-ce intéressant d'acheter ? Beaucoup se posent la question. « Je me demande s'il ne serait pas préférable de tout vendre et de faire autre chose !, s'interroge un viticulteur de l'Aube, propriétaire d'une dizaine d'hectares. Acheter à 1 M€/ha, je ne suis pas sûr que cela en vaille la peine avec les rendements autorisés qui ne sont pas très élevés actuellement et la concurrence des vins effervescents comme le prosecco. C'est un investissement très lourd et, en face, il y a beaucoup d'incertitudes. »

« L'acquisition de foncier donne toujours lieu à de profondes réflexions chez nos adhérents, commente Bertrand Trepo, responsable communication au centre de gestion CDER. Il y a deux cas de figure. Soit on achète ce qu'on louait et on sécurise son exploitation. Dans ce cas, on ne cherche pas la rentabilité : on achète pour la génération d'après car le retour sur investissement est de l'ordre d'une carrière. Soit on achète pour développer sa surface, et le retour sur investissement peut être d'une trentaine d'années si le viticulteur valorise bien sa production et s'il est déjà équipé en matériel qu'il peut mieux amortir. »

Les viticulteurs qui peuvent acheter ont souvent plus de 55 ans. Beaucoup d'entre eux ont eu la chance d'acquérir des vignes dans les années 1980, quand le prix était accessible. Le retour sur investissement était alors de vingt ans. Depuis, ils ont pu constituer des réserves.

« On peut faire le parallèle avec l'immobilier à Paris, explique un viticulteur de 57 ans, propriétaire de 4 ha. Il y a ceux qui ont eu la chance d'acheter un logement avant 1995 et les autres, qui ont le choix entre rester locataires à Paris ou aller s'installer en périphérie. Je n'ai pas de fermage à payer, ce qui allège mes coûts de production et me laisse plus de latitude pour acheter des petites parcelles et diminuer encore mes coûts. »

Compte tenu du coût du foncier, la location de vigne est très fréquente en Champagne. Un viticulteur moyen possède 20 à 25 % de sa surface et en loue 75 à 80 % à sa famille et à des personnes extérieures. Il est donc dépendant des projets de ses propriétaires. « Beaucoup d'exploitants n'ont qu'une peur, c'est que leur propriétaire leur annonce qu'il veut vendre, confirme Bertrand Trepo. C'est assez anxiogène car cela peut arriver n'importe quand. »

Autre fait notable : le développement de la double activité. Sur les 20 000 déclarations de récolte enregistrées par l'interprofession, on estime que seuls 6 000 à 6 500 vignerons le sont à titre principal. Lors du départ à la retraite d'un vigneron possédant quelques hectares, il n'est pas rare que ses enfants se partagent son exploitation et lui succèdent alors qu'ils ont déjà un autre métier.

Dans ce contexte assez tendu, la future extension de l'aire, dont les contours devraient être connus d'ici un ou deux ans, devrait stabiliser le prix de la vigne. « L'extension de l'aire ne devrait pas avoir d'impact majeur sur le prix des vignes car les autorisations de plantation sont encadrées », estime Thierry Blaise. « Cela pourra apporter une détente dans les crus périphériques, complète Bertrand Trepo. L'autre élément qui pourrait faire diminuer le coût du foncier serait une baisse importante du prix du raisin. »

ET VOUS, PENSEZ-VOUS QU'IL FAUT ACHETER DES VIGNES ? Bruno Vesselle, viticulteur avec son frère sur 17 ha à Bouzy (Marne)

 © B. VESSELLE

© B. VESSELLE

« Oui, si on sait que des enfants vont reprendre. Dans ce cas, l'achat de vignes peut être un investissement intéressant. Mais si on souhaite simplement faire grossir son exploitation, je ne suis pas persuadé que cela soit une bonne opération d'acheter car il faut deux générations pour amortir l'achat. Le foncier est une question délicate car les sommes en jeu sont très importantes. Nous ne projetons pas d'acquérir des terres. La croissance de nos ventes se fait par l'achat de raisin. »

ET VOUS, PENSEZ-VOUS QU'IL FAUT ACHETER DES VIGNES ? Emmanuel Piétrement, 10 ha (50 % en location), à Villevenard (Marne)

« À toutes les périodes, on se pose la question d'acheter ou non des vignes. Pour l'instant, l'histoire a toujours donné raison à ceux qui ont acheté ! Même si ce n'était pas forcément viable quand ils l'ont fait. On ne peut pas acheter pour créer un domaine. Mais on peut y réfléchir pour sécuriser son exploitation. Depuis mon installation en 1992, ma surface a diminué de quelques hectares car des bailleurs ont repris leurs terres. Je n'ai pas pu trouver de nouvelles locations pour compenser. »

ET VOUS, PENSEZ-VOUS QU'IL FAUT ACHETER DES VIGNES ? Claire Blin-Lagille, 7,5 ha à Treslon (Marne)

 © M. BOUDOT

© M. BOUDOT

« C'est à étudier avec beaucoup de prudence. J'exploite 7,5 ha avec mon frère et ma soeur. Si un de nos propriétaires souhaite vendre, on réfléchira à acheter car il faut que l'on maintienne notre outil de travail. Mais ce n'est pas simple, l'amortissement étant très long. De plus, il faut que les banques suivent. Certains regrettent de ne pas avoir acheté il y a vingt ans car la vigne a pris de la valeur. En sera-t-il de même dans vingt ans avec la révision de l'aire ? »

L'essentiel de l'offre

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