Des sauvignons de grande qualité qui s'exportent, des cours qui s'envolent : l'AOC Touraine se porte bien et son marché foncier a repris des couleurs, avec un bond de 33 % entre 2014 et 2015 selon les statistiques de la Safer. « Les jeunes et belles vignes de sauvignon se vendent plus de 10 000 euros l'hectare. En rouge, les prix sont plutôt entre 6 000 et 8 000 €/ha », constate Nathalie Chauchet, conseillère foncière à la Safer du Loir-et-Cher.
Associée-gérante d'Ampelio, agence spécialisée dans les transactions viticoles, Marine Dargery a vu les prix grimper en Touraine : « Des vignes de sauvignon parfaitement tenues, sans manquants et assurant de bons rendements s'échangent aujourd'hui à 15 000 €/ha. Nous enregistrons une forte demande d'acheteurs à la recherche d'entreprises viticoles avec des actifs en bon état. Des domaines se vendent entre 800 000 et 1,5 million d'euros, et cela peut monter à 3 M€ s'ils comprennent un joli bâti. L'achat peut être rentabilisé en 5 à 10 ans, mais l'état des vignes est très hétérogène en Touraine. » Dernièrement, des domaines en AOC Touraine ont été acquis par un négociant sancerrois et par Les Grands Chais de France.
À Montlouis, le foncier a aussi progressé en valeur. La Safer évalue à 10 000 € le prix moyen de l'hectare. François Chidaine, le président du syndicat des vins, chiffre « entre 15 000 et 20 000 € les vignes dans de bons terroirs ou offrant une unité foncière. Nos vins se vendent bien. Notre notoriété s'améliore. Cela se répercute sur le foncier. L'achat d'un hectare s'amortit en quinze ans. Les vignerons sont quasiment tous propriétaires de leurs vignes ».
À Saint-Nicolas-de-Bourgueil, l'AOC la plus chère du secteur, les prix du foncier ont gagné 25 % en moyenne entre 2014 et 2015, avec un prix moyen de 40 000 €/ha selon la Safer. Les vignerons manquent de vins pour fournir leurs marchés, et l'aire de l'AOC est presque entièrement plantée. « Des vignes se vendent à 55 000, voire 60 000 €. Les prix flambent », témoigne Florence de Gélis, experte-comptable et responsable du bureau Strego à Bourgueil
À Bourgueil, l'appellation voisine, c'est en revanche plus morne, avec un recul de 5 % du prix des vignes entre 2014 et 2015, à 20 000 € en moyenne. « Les beaux terroirs se vendent jusqu'à 25 000 €/ha. Nos voisins de Saint-Nicolas font monter les prix. Mais les transactions sont limitées », commente Philippe Boucard, le président du syndicat des vins de Bourgueil.
À Chinon, les chiffres de la Safer indiquent également une baisse du marché foncier, à 22 000 €/ha, en moyenne. À Vouvray, le prix des vignes est plutôt stable, au prix moyen de 18 500 €/ha. « Les bons terroirs peuvent se vendre jusqu'à 25 000 €/ha, voire plus, indique-t-on à Cerfrance. Les transactions sont peu nombreuses et concernent avant tout des achats de parcelles. Les propriétaires des plus gros domaines achètent pour s'agrandir. »
En AOC Touraine, les exploitations se concentrent également. « Ce sont surtout des exploitations conséquentes qui achètent des vignes. Les propriétaires acquièrent du foncier le plus souvent par le biais d'une société d'exploitation », indique Nathalie Chauchet de la Safer du Loir-et-Cher.
Dans certaines AOC, les vignerons ont plus de difficultés à acheter des vignes. « Les transactions sont rares en Valençay. La pénurie foncière met les viticulteurs en concurrence avec des agriculteurs pour l'achat de terres nues », signale Francis Jourdain, président du syndicat des vins de Valençay.
« À Bourgueil, des vignerons à la tête de gros domaines ont tendance à mettre des bâtons dans les roues de jeunes qui veulent s'installer », confie un viticulteur. « Il est compliqué d'être informé sur des parcelles en vente pour pouvoir se positionner et discuter avec le cédant », ajoute Stéphane Delettre, qui vient de s'installer en Bourgueillois.
Florence de Gélis, du cabinet Strego, constate aussi un autre phénomène. « Des vignerons sont parfois contraints d'acheter des parcelles qu'ils louent en fermage, car leur bailleur veut vendre pour ne plus avoir à assumer les frais d'entretien et de complantation des vignes entraînés par les maladies du bois. Et ces viticulteurs doivent emprunter sur 20 voire 25 ans pour financer leur achat ».
L'experte-comptable a vu les vignerons évoluer. « Ils avaient auparavant l'obsession de s'agrandir par l'acquisition. Aujourd'hui, certains jugent plus intéressant de prendre des vignes en fermage ou d'acheter de la vendange avec une carte de négoce. Ils n'ont plus forcément la volonté de constituer un patrimoine. Ils souhaitent plus exploiter qu'acheter. »
ET VOUS, PENSEZ-VOUS QU'IL FAUT ACHETER DES VIGNES ? Francis Jourdain, 30 ha à Lye (Indre)
« Oui, si l'on se démène pour trouver des marchés. Ici à Valençay, nous n'avons pas de problème pour vendre nos vins, le volume produit dans l'AOC est limité et le marché est porteur pour les blancs. Nous ne sommes qu'une quinzaine de vignerons et nous ne nous gênons pas sur les différents circuits de distribution. J'ai 56 ans et je viens de planter 4 ha tout en regroupant du foncier. Je ne pense pas accroître encore beaucoup mon parcellaire, à moins d'une belle occasion. »
ET VOUS, PENSEZ-VOUS QU'IL FAUT ACHETER DES VIGNES ? Stéphane Delettre, 1 ha à Saint-Nicolas-de-Bourgueil (Indre-et-Loire)
« Dans le secteur, beaucoup de vignerons recherchent des fermages. J'ai jugé plus facile de me positionner en tant qu'acheteur, en trouvant des fonds par le biais d'un GFA. Celui-ci m'a permis de réunir 29 000 € pour acquérir un premier hectare de vigne. Onze associés ont des parts dans le GFA, et bientôt ils seront une vingtaine. Je vais pouvoir accéder à de beaux terroirs. Je m'installe en bio en AOC Bourgueil et Saint-Nicolas-de-Bourgueil après avoir travaillé dans le BTP. Mon but n'est pas de devenir propriétaire foncier, mais d'avoir 5 à 6 ha pour une exploitation viable. ».
ET VOUS, PENSEZ-VOUS QU'IL FAUT ACHETER DES VIGNES ? Jacky Blot, Domaines de La Taille aux Loups et de La Butte, 70 ha à Montlouis-sur-Loire (Indre-et-Loire)
« Il est nettement plus intéressant d'acheter des vignes plutôt que de les louer dans notre région. Notre chance c'est que le prix du foncier reste très raisonnable, notamment à Montlouis. Ici, les vignes ne se vendent pas des millions d'euros l'hectare. À Montlouis, en payant 15 000 à 20 000 euros l'hectare de vigne, nous le rentabilisons en dix ans. Il y a plus de 25 ans, nous avons démarré avec 7 ha de vignes. Nous venons d'en acheter quatre. Nous atteignons désormais 70 ha. Nous sommes toujours à la recherche de grands terroirs en bio. »