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DOSSIER - Marché foncier : le tour des vignobles

ALSACE Encore abordable

CHRISTOPHE REIBEL - La vigne - n°293 - janvier 2017 - page 44

Le prix des parcelles reste raisonnable pour les viticulteurs, qui sont plus prudents que par le passé. Et lorsque des propriétés sont en vente, des investisseurs cherchent à y placer leur argent.
Le vignoble alsacien, ici autour d'Hunawihr (Haut-Rhin), se vend par petites parcelles. © C. WATIER

Le vignoble alsacien, ici autour d'Hunawihr (Haut-Rhin), se vend par petites parcelles. © C. WATIER

Le vignoble alsacien couvre 15 500 ha, mais à peine 151 ha se sont échangés par le canal de la Safer en 2015. Et ce volume a baissé de 13 % en un an. « Le marché foncier en Alsace est traditionnellement un marché de parcelles. Le vignoble est très morcelé et les fermages nombreux. Les propriétaires non exploitants vendent souvent une parcelle de 10 à 15 ares. Dans 80 % des cas, c'est le preneur en place qui la rachète. Il s'agrandit par ce biais », explique Christian Dirwimmer, chargé du foncier viticole à la Safer d'Alsace.

Une majorité d'opérateurs juge ce marché « abordable », surtout s'ils le comparent à la Champagne ou à la Bourgogne. Pour des vignes en appellation générique, la fourchette de prix va de 800 à 1 200 euros l'are dans le Bas-Rhin et de 1 000 à 1 700 €/a dans le Haut-Rhin. Les grands crus montent jusqu'à 2 000 €/a dans le Bas-Rhin et 3 000 €/a dans le Haut-Rhin. Ce segment est plus disputé car un metteur en marché qui n'a pas de grand cru est souvent prêt à casser sa tirelire pour en obtenir.

« Tout se vend, affirme un notaire haut-rhinois. Pour des biens valant jusqu'à 30 000 €, les viticulteurs ont en général assez de réserves pour acheter sans emprunter. Au-delà, presque tous empruntent. » Sauf que, depuis quatre à cinq ans, les acheteurs se montrent plus sélectifs vis-à-vis des vignes en appellation Alsace. « Il faut pouvoir les valoriser. Si l'exposition et l'encépagement conviennent, les parcelles partent vite. Mais les entrées de gamme demandent plus de temps pour trouver preneur », remarque Christian Dirwimmer. Selon lui, « ceux qui vendent en bouteille à un prix correct peuvent amortir en cinq à six ans un achat de foncier ». Mais comptez plutôt au-delà de quinze ans pour un vendeur de raisins.

Il y a dix ans, le marché était bien plus actif. À l'époque, « tout se vendait, quel que soit l'état, à n'importe quel prix et sur un simple coup de fil », poursuit notre notaire. Les vignerons avaient plus de liquidités. Le calme est revenu « parce que le prix des raisins n'a pas suivi et que le vignoble a cumulé trois années de faibles rendements en 2013, 2014 et 2015 », explique Richard Frick, chargé des questions foncières à l'Association des viticulteurs d'Alsace. Pour lui, « le viticulteur alsacien est profondément attaché à la propriété foncière » et ce désir est assouvi plus fréquemment que ne le laisse supposer le bilan de la Safer. « De moins en moins de parcelles sont vendues directement. Les viticulteurs privilégient le rachat de parts d'EARL, de SCI, de Gaec ou de GFA », poursuit Richard Frick.

Un autre montage a le vent en poupe : le cédant commence par louer ses vignes à son futur acheteur. Ce dernier s'en porte acquéreur dans la troisième année de location, une fois que la réglementation le considère comme le preneur en place. « Des exploitations entières s'échangent par ce biais lors d'un départ à la retraite », confie Richard Frick. La profession est consciente que « des domaines passent ainsi discrètement d'une main à l'autre ».

Ces affaires se traitent le plus souvent entre des opérateurs en place. À l'instar des Grands Chais de France qui ont pris le contrôle de la maison Klipfel, à Barr (Bas-Rhin), en 2016 et qui, depuis, louent ses 32 ha de vigne à deux groupements fonciers viticoles.

Il arrive aussi que des investisseurs locaux s'intéressent aux domaines viticoles. En 2008, Jean Schwebel, PDG des foies gras Feyel, rachète le domaine du Moulin de Dusenbach, à Ribeauvillé, et ses 26 ha de vignes. En 2010, Marcel Wohlgemuth entrepreneur dans le bâtiment, devient propriétaire des 14 ha du Clos Sainte-Odile, à Obernai. En 2012, Marc Rinaldi, qui a fait fortune dans la façade en aluminium, crée une société qui acquiert 6 ha du grand cru Schlossberg, à Kientzheim. Il loue aussi 13 ha dans le grand cru Brand, à Turckheim, avec la ferme intention de les racheter à la troisième année de location.

Pour cet homme d'affaires, le marché a franchi un cap. « La nouvelle génération n'aura pas les moyens de se payer du foncier. Son vrai métier, c'est d'être viticulteur, pas propriétaire de vignes dans lesquelles elle bloque son capital. Elle devra l'accepter et séparer le capital du travail. Cela marche dans tous les autres secteurs économiques. Pourquoi pas en viticulture ? »

« Ce n'est pas très rentable d'acheter des vignes, confirme ce dirigeant d'une maison de vins d'Alsace qui a repris un domaine de plusieurs hectares dans le Haut-Rhin après l'avoir d'abord loué. Mais je l'ai fait pour placer de l'argent. Ce qui s'est passé en 2008 (la crise des subprimes, NDLR) n'est pas rassurant. L'argent placé à la banque peut partir en fumée. Mais la terre reste la terre. »

ET VOUS, PENSEZ-VOUS QU'IL FAUT ACHETER DES VIGNES ? Philippe Krick, Domaine Hubert Krick, 14 ha, à Wintzenheim (Haut-Rhin)

« Non. Le foncier est devenu trop cher. Je travaille avec mon frère et ma soeur. Nous avons 13 ha en propriété et 1 ha en location. En 2009, j'ai acheté 1 ha à 8 km de chez moi à un collègue qui prenait sa retraite. Depuis, nous avons changé d'avis. À vouloir exploiter ses propres vignes, on manque de souplesse et on rencontre des soucis de main-d'oeuvre. Nous avons donc monté un négoce qui achète la récolte de 3 ha à deux apporteurs. Si demain, nos ventes en bouteilles diminuaient, nous pourrions réagir très simplement. »

ET VOUS, PENSEZ-VOUS QU'IL FAUT ACHETER DES VIGNES ? Monique Schaller et Geoffroy Dabrowski, EARL Pierre Schaller, 8,5 ha, à Hunawihr (Haut-Rhin)

« Oui, car être propriétaire, c'est un souci en moins. Je me suis installée sur 6,5 ha en Gaec avec mon père en 1989. Notre philosophie a toujours été d'être propriétaire. J'ai pu acheter 2 ha en parcelles de quelques ares en empruntant sur quinze ans à chaque fois. Aujourd'hui, j'exploite 8,5 ha à 100 % en propriété. Geoffroy, mon associé, souhaite s'agrandir d'encore 1 ou 2 ha pour accroître la rentabilité et me remplacer par un salarié lors de ma retraite. Nous vendons tout en raisins. Nous sommes confiants car nous avons un bon partenariat avec notre acheteur. »

ET VOUS, PENSEZ-VOUS QU'IL FAUT ACHETER DES VIGNES ? Stéphane Vonville, Domaine Vonville, 13 ha, à Ottrott (Bas-Rhin)

« J'ai rejoint mon père en 2002 sur 8 hectares. J'ai régulièrement acheté des vignes depuis 2003, dont 1,80 ha d'un coup en appellation rouge d'Ottrott en 2007. Sinon, il s'agissait de petites parcelles. Je continue d'acheter. J'exploite 11,5 ha en propriété familiale et 1,5 ha en location. Je suis en train d'acquérir les vignes qui appartiennent encore à mes oncles et tantes, et à mon père. Il est toujours intéressant d'acheter. Tout dépend de la situation des parcelles et de la valorisation que l'on peut en espérer ».

L'essentiel de l'offre

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