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DANS LE MIDI... La colère gronde

FRÉDÉRIQUE EHRHARD - La vigne - n°296 - avril 2017 - page 8

Samedi 25 mars, près de 3 000 viticulteurs ont manifesté à Narbonne, à l'appel du Syndicat départemental des vignerons de l'Aude. La Vigne leur a demandé pourquoi ils ont répondu présent.
AU PREMIER RANG, LES ÉLUS, ceints de leur écharpe tricolore, affichent leur soutien à la viticulture. PHOTO : R. ROIG

AU PREMIER RANG, LES ÉLUS, ceints de leur écharpe tricolore, affichent leur soutien à la viticulture. PHOTO : R. ROIG

FRÉDÉRIC ROUANET, président du Syndicat des vignerons de l'Aude, harangue les milliers de viticulteurs mécontents et inquiets de la situation.  PHOTO : R. ROIG

FRÉDÉRIC ROUANET, président du Syndicat des vignerons de l'Aude, harangue les milliers de viticulteurs mécontents et inquiets de la situation. PHOTO : R. ROIG

Ce samedi 25 mars, vers 14 h 30, les vignerons arrivent par petits groupes sur la place de l'Hôtel de Ville, à Narbonne, dans l'Aude. État d'urgence oblige, ils ont dû se garer hors du centre-ville. Tous sont là à l'appel du Syndicat des vignerons de l'Aude, relayé par les Jeunes agriculteurs, Coop de France et les Vignerons indépendants du Languedoc-Roussillon. L'appel a porté dans toute l'Occitanie : les manifestants viennent de l'Aude mais aussi du Gard, de l'Hérault, des Pyrénées-Orientales et même du Gers et du Tarn. Selon les estimations, ils sont entre 2 000 et 4 000.

À la tribune, Frédéric Rouanet, président du syndicat, brosse la situation : « Il y a quelques mois, la conjoncture était encore porteuse d'espoir. Nous avions redressé la tête et redonné l'envie aux jeunes d'exercer ce métier. » Mais cette année, la campagne de vente en vrac a démarré tardivement et les prix baissent. Si ce mouvement devait perdurer, le renouveau serait stoppé net. « Des acheteurs jouent sur les besoins en trésorerie des vignerons. Ils en profitent pour dénoncer les contrats qu'ils ont signés et faire pression sur les prix pour descendre encore plus bas », dénonce le leader syndical.

Tromperie sur les vins espagnols

Frédéric Rouanet pointe aussi du doigt la hausse des importations de vins espagnols, qui prennent une place croissante dans les rayons. Beaucoup de ces vins semblent français, au vu de leur étiquette. « C'est une tromperie, les consommateurs ne se rendent pas compte qu'ils achètent des vins espagnols. La distribution doit créer un rayon spécifique pour les vins étrangers », réclame-t-il. Les enseignes ont pris des engagements pour clarifier l'origine des vins. « Nous irons vérifier », promet-il.

Au premier rang, les élus avec leurs écharpes tricolores affichent leur soutien à la viticulture. Le bruit sourd des pétards ponctue les envolées du discours que les manifestants applaudissent avec enthousiasme. Vers 16 heures, le cortège démarre pour un tour de ville. Tout en marchant, les vignerons discutent de la situation dans leurs caves.

« Le prix du corbières résiste, mais les IGP fléchissent et les retiraisons ralentissent. Pour s'en sortir, il faut avoir de bons partenariats », constate Xavier Capman, président du Cellier de l'Aussou, à Bizanet, dans l'Aude. Avec une petite récolte 2016 et des prix en recul, sa coopérative a dû se résoudre à réduire les acomptes versés à ses adhérents. « Deux ou trois jeunes s'installent. Il ne faudrait pas qu'ils se découragent. Nous étions arrivés à 4 000 €/ha de produit brut, c'est un minimum pour vivre. »

« Nous sommes inquiets »

Un peu plus loin, un jeune vigneron audois est venu avec sa compagne. « Mon père avait tout arraché. Comme la situation s'améliorait, j'ai décidé de me lancer. Avec deux associés, nous avons remonté une exploitation en cave particulière. Le début de campagne a été correct. Mais aujourd'hui, les transactions se ralentissent et les propositions de prix baissent. Nous sommes inquiets », affirme-t-il.

Ceux qui ont fait une petite récolte subissent une double peine. « En 2016, la sécheresse a amputé notre production de 30 %. Et comme le marché fléchit, notre coopérative a réduit les acomptes de 10 à 15 % et étalé le versement du solde 2015 », détaille Jean-Luc Nougaret, adhérent des Vignerons de l'Occitane, à Servian (Hérault). Son chiffre d'affaires en fait les frais alors que ses annuités ont augmenté car il vient de renouveler son tracteur et d'investir dans un interceps. Jean-Luc Nougaret s'inquiète aussi pour son fils qui s'est installé il y a deux ans. « Il aime ce métier mais nous allons vers une période difficile si les cours ne se redressent pas. »

À quelques pas de là, une dizaine de manifestants portent des petits drapeaux FDSEA du Gers. « D'habitude, nous avons contractualisé tous nos blancs fin janvier. Cette année, nous en sommes loin ! Le marché ne répond plus, nous envoyons des échantillons et nous n'avons pas de réponse », constate Alain Lalanne, installé en cave particulière à Ramouzens. Les quelques propositions d'achat qu'il a reçues pour des vins sans IG sont inférieures de 40 % aux cours de 2016, et ne couvrent pas les frais. « Les acheteurs préfèrent aller en Espagne. C'est d'autant plus frustrant que nous avons un beau millésime ! »

Même situation dans le Gard. « C'est le bras de fer avec les acheteurs pour s'accorder sur les prix. Notre coopérative n'a pas encore tout vendu, et a déjà dû réduire les acomptes de 20 %, explique Thomas Andreu, un adhérent du Syndicat des vignerons du Gard nouvellement créé. Cela fait trois générations que nous nous battons pour rester vignerons, il va falloir continuer si nous voulons transmettre des vignes à nos enfants ! »

Aucun de ces manifestants ne veut voir revenir la crise qui a touché durement la filière dans les années 2000. Après plusieurs années de hausse, ils ont bénéficié de bons cours en 2015 et 2016. Ils ont relancé les investissements. Ils ont vu revenir des jeunes. Le 25 mars, à Narbonne, ils sont venus dire que cela devait continuer.

Des actions musclées dans les rayons

XAVIER FABRE, président du Syndicat des vignerons du Gard, lors de l'action du 30 mars. © P. PARROT/DIVERGENCES

XAVIER FABRE, président du Syndicat des vignerons du Gard, lors de l'action du 30 mars. © P. PARROT/DIVERGENCES

Après la manifestation du 25 mars, des personnes cagoulées se revendiquant du Comité régional d'action viticole (Crav) s'en sont prises au rayon vin d'une supérette de Narbonne, cassant des bouteilles d'origine espagnole. Le jeudi 30 mars, les Jeunes agriculteurs et le Syndicat des vignerons du Gard ont, à leur tour, contrôlé les rayons de trois supermarchés de Nîmes. Au Carrefour Étoile, ils ont trouvé des Bib sous la marque Roc des Cigaler mentionnant « Produit de France » et dessous, en petit, « Vin de la communauté européenne ». À l'Intermarché de Caissargues, la marque Vieille Cave était étiquetée en rayon comme « vin de table français », alors que l'étiquette sur la bouteille mentionnait « vin de la communauté européenne ». Au Géant Casino Cap Costières, sous une bannière « Languedoc-Roussillon : le meilleur d'ici », il y avait une bonne moitié de vins espagnols... « Ces présentations trompent le consommateur. Il pense acheter des vins français, alors qu'il s'agit de vins étrangers », dénonce le syndicat Jeunes agriculteurs. « Tant que les magasins n'auront pas enlevé les Bib espagnols de leurs rayons, nous reviendrons ! », affirme de son côté Xavier Fabre, président du syndicat des vignerons du Gard.

Des caves s'en sortent, d'autres non

Au vu des chiffres, la situation économique ne semble pas catastrophique en Languedoc-Roussillon. Les appellations maintiennent leurs prix. Les IGP Pays d'Oc reculent, pour l'instant, de 6 % en moyenne et les vins sans IG de 7 % par rapport au prix moyen de la campagne 2015-2016. Plus grave : les volumes contractualisés à fin mars ont reculé d'un million d'hectolitres par rapport à 2016. La panne touche surtout les vins sans IG et les IGP de département. « La campagne a démarré avec du retard, mais le niveau des sorties mensuelles d'IGP Pays d'Oc - de 475 000 hl - est normal. La situation n'est pas alarmante », estime Inter Oc dans un point économique daté du 23 mars. « En fait, la situation est très différente d'une cave à l'autre. Celles qui ont de bons partenariats ont vendu à peu près correctement, alors que d'autres ont encore une grosse partie de leurs vins sur les bras », précise Jean Courty, de FranceAgriMer Montpellier. La situation de ces caves, confrontées à des problèmes de trésorerie, devient critique. Pour vendre, elles risquent de brader, ce qui pourrait tirer encore les cours vers le bas.

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