La coopération et le négoce agricoles ont eu beau se bagarrer, ils n'ont pas obtenu gain de cause. Le ministre de l'Agriculture a fait passer ses certificats d'économie de produits phytosanitaires ou CEPP. Ce dispositif impose aux distributeurs « de mettre en place des actions visant à la réalisation d'économies de produits phytopharmaceutiques », indique la loi sur le développement du biocontrôle votée mi-février. Coops et négoces agricoles vont devoir aider leurs clients à traiter moins ou mieux. S'ils ne le font pas, ils risquent des amendes dont le montant reste à définir.
Beaucoup n'acceptent toujours pas cette idée. « Quelle sera la responsabilité du distributeur si ses clients ne réduisent pas leur utilisation de produits phytosanitaires ?, soulève Sébastien Picardat, directeur de la Fédération du négoce agricole (FNA). Les vignerons sont des professionnels. Ils sont titulaires du Certiphyto. Et ils décident de leurs traitements. »
« Nous sommes tout à fait d'accord pour affiner nos conseils et faire connaître les solutions de biocontrôle. D'ailleurs, nous le faisons déjà depuis plusieurs années. Mais au moment de traiter, c'est le vigneron qui décide. Nous n'avons pas à payer pour le fait d'autrui », ajoute Jean Caizergues, président de la commission agro-fournitures de la FNA.
Objectif : réduction de l'IFT
Pendant que leurs syndicats s'opposaient à l'arrivée des CEPP, sur le terrain, des distributeurs s'y préparaient. Ils ont conçu des services pour traiter moins ou mieux, centrés sur le suivi parcellaire, la modélisation ou encore l'amélioration de la pulvérisation. Certains accompagnent leurs clients jusqu'à la réduction des doses. C'est le cas de Soufflet Vigne, qui lance Opt'IFT cette année dans tous les vignobles qu'il couvre, après des essais en Bordelais dès 2013 et en Beaujolais en 2016. Ce service, qui vient en option du suivi parcellaire ParcelPro, vise à aider les viticulteurs à réduire leur IFT, dès que c'est possible. « Dans nos expérimentations, nous avons pu réduire les IFT de 15 à 35 %. Mais avec Opt'IFT nous ne nous engageons pas sur un pourcentage précis de baisse, car tout dépend des situations », souligne Laurent Paupelard, responsable du service technique.
À Bordeaux, la coopérative Euralis lance le service Viticulture durable, après l'avoir testé en 2015 et 2016. Il consiste aussi en un suivi parcellaire et un appui à la réduction de doses.
Chez d'autres distributeurs, il s'agit avant tout d'ajuster le nombre de traitements au strict nécessaire, en évaluant mieux la pression des maladies au sein d'une propriété. Ils se servent pour cela de la modélisation et regroupent les parcelles de leurs clients en îlots subissant les mêmes pressions.
Raisonnance, la filiale de conseil du groupe Isidore, propose depuis trois ans de la modélisation, un accompagnement à la lutte par confusion sexuelle, du suivi parcellaire et des diagnostics de pulvérisation. « Avec ces actions, nous sommes prêts pour les CEPP », estime Laurence Frouin, responsable de cette filiale dédiée à l'expérimentation et aux services.
En Languedoc, chez Magne SA, la mise en place d'un outil d'aide à la décision associant plusieurs modèles, alimentés par un réseau de stations météo, date de 2002. Mais il y a dix-huit mois, l'entreprise a investi 150 000 € pour tout moderniser. Ses efforts aboutissent, cette année, au lancement de VisioMagne. Cet outil, accessible par abonnement, indique les niveaux de risque botrytis, mildiou, oïdium et eudémis de la station météo et du site de piégeage les plus proches de chaque client. L'entreprise propose également un suivi parcellaire personnalisé, dont le coût est inclus dans celui des produits, pour le moment.
Des conseil payants
« Faire payer le conseil séparément n'est pas si facile », constate Bernard Taïx, directeur technique chez Magne. Certains vignerons y sont prêts, mais encore faut-il que leurs marges le permettent. D'autres souhaitent que le prix des produits baisse d'un montant équivalent au prix du conseil, ou qu'au moins celui-ci soit compensé par des économies de produits.
Nous avons voulu savoir comment fonctionnent ces services et le bénéfice qu'en tirent leurs utilisateurs. Pour cela, nous avons interrogés plusieurs vignerons. Ils témoignent dans les pages suivantes de leur satisfaction.
Parallèlement au développement de services, les distributeurs font évoluer leur offre. « Il y a encore trois ans, nous regardions seulement l'efficacité des produits. Aujourd'hui, nous prenons aussi en compte le profil écotoxicologique, la zone non traitée (ZNT) et le délai avant rentrée », note Thierry Favier, responsable technique vigne à la Coopérative agricole Provence-Languedoc (CAPL).
Les produits répondant à ces critères coûtent plus cher pour une efficacité souvent inférieure aux produits classiques. Malgré cela, les vignerons sont de plus en plus nombreux à vouloir les tester. « Depuis deux ans, des clients nous demandent des programmes sans CMR. Nous devons nous adapter et tester des alternatives avant de les leur proposer, souligne Stéphanie Peyrot, responsable du développement technique vigne et vin chez Euralis. Pour aller vers le biocontrôle, les vignerons ont besoin d'un accompagnement. Ces produits sont plus délicats à positionner. Il n'est pas question de les vendre sans conseils. Il y a de nouveaux savoir-faire à acquérir. Nous y travaillons. »
La qualité de la pulvérisation est centrale
Les distributeurs font tous le même constat : avant de moduler les doses, il faut souvent améliorer la qualité de la pulvérisation. Dans ce but, beaucoup d'entre eux proposent des diagnostics à la vigne avec les kits Évidence de Bayer ou Quali'drop de Syngenta.
Chez Soufflet Vigne, « le service Opt'IFT n'est proposé qu'à des vignerons équipés d'au moins un appareil de traitement face par face », souligne Laurent Paupelard.
À Cognac, le groupe Isidore propose un service de mise en route des pulvérisateurs neufs qui comprend le contrôle de l'appareil (photo ci-contre)et son réglage à la vigne, pour 350 à 500 €/appareil. « Nous prenons le temps d'expliquer au vigneron comment régler son nouveau pulvérisateur, pour qu'il soit ensuite autonome », souligne Laurence Frouin.
Dans les Côtes du Rhône, la CAPL envisage de développer un service équivalent. « Il y a un vrai besoin. Un pulvérisateur qui sort de l'usine doit être réglé, il n'est pas prêt à l'emploi », note Hélène Verriez.
Un suivi jusqu'aux résidus dans les vins
La coopérative Euralis teste Optiwine, un service de suivi des résidus de produits phyto dans les vins. « Nous aidons nos clients à adapter leurs programmes de traitement pour ne pas avoir de résidus, selon les normes en vigueur sur les marchés et les pays qu'ils visent », explique Stéphanie Peyrot, responsable du pôle. Ce thème des résidus devient sensible, et des acheteurs demandent des analyses des moûts, pour s'assurer de la qualité bien avant la livraison.
Chez Inovitis, « notre service d'accompagnement aux produits de biocontrôle comprend un suivi des résidus. Depuis deux ans, les vignerons nous le demandent plus fréquemment. C'est d'ailleurs parfois pour résoudre des problèmes de résidus de produits phytosanitaires qu'ils veulent revoir leur protection du vignoble », relève Elsa Ramondou, responsable du pôle conseils et services de cette filiale spécialisée en vigne du groupe coopératif Maïsadour.