Sans eux, pas de surveillance biologique du territoire ni d'observations pertinentes dans les Bulletins de santé du végétal (BSV). Les témoins non traités permettent de suivre le développement des maladies, de caler des modèles de prévision des risques et de traiter seulement si c'est utile. Ces témoins sont donc indispensables. Et il est nécessaire que les vignerons en accueillent dans leur vignoble.
« Dans notre réseau viticole de lutte raisonnée Ariane, nous avons une quarantaine de témoins non traités. Tous sont chez des vignerons à qui nous recommandons d'en avoir. Comme ils en perçoivent vite l'intérêt, ils recommencent chaque année », indique Nadège Brochard, conseillère viticole à la chambre d'agriculture de Loire-Atlantique.
Éric Vincent, vigneron à La Haye-Fouassière (Loire-Atlantique), a des témoins non traités depuis plus de quinze ans : « Ils m'alertent de l'arrivée des maladies. S'ils n'expriment pas de symptômes de mildiou, je peux attendre avant de traiter et gagner ainsi une dizaine de jours, en économisant au moins un traitement, explique-t-il. Ces témoins me permettent aussi de positionner au mieux le premier antimildiou. »
Pour raisonner ses traitements
Patrick Vasseur, vigneron à Morizès (Gironde), garde des ceps témoins depuis 1992. « Grâce à eux, je raisonne vraiment mes traitements. J'ai ainsi constaté que mon vignoble n'était pas sensible à l'oïdium. J'applique seulement 12 kg de soufre par an, en trois ou quatre passages. Contre le mildiou, pendant plusieurs années, je démarrais par du métirame-zinc à 25 % de la dose homologuée. Puis, si les témoins non traités n'étaient pas contaminés, je n'intervenais plus avant la fin juin. Ainsi, certaines saisons, je n'ai fait que trois passages. » Aujourd'hui, à cause de ses responsabilités professionnelles, il est moins disponible pour surveiller son vignoble. Il prend donc moins de risques.
« Deux années sur dix, on observe que, même sans traitement, très peu de symptômes se développent au fil de la saison, souligne la chambre d'agriculture de Gironde dans une note de 2014. Les témoins non traités permettent d'évaluer les performances parfois surprenantes d'une stratégie de traitement tardive et de relativiser l'importance des premiers symptômes. »
Pour conforter ses choix
D'après Nadège Brochard, les témoins non traités sont un moyen de « réassurance » pour les vignerons : « Ils voient ainsi qu'ils ont eu raison de différer un traitement ou qu'ils sont intervenus au bon moment car le témoin a exprimé des symptômes après le traitement du reste du vignoble. » Patrick Vasseur confirme : « Les témoins non traités me confortent dans mes décisions. Grâce à eux, je peux vérifier le bon positionnement d'un traitement et la bonne application d'un produit. Cela m'est très utile en fin de rémanence, si je ne suis pas sûr des prévisions météo et de la pluviométrie à venir. » Dans ses 12 ha de vignoble, il a pu aussi constater que le cabernet-sauvignon était moins sensible au mildiou que le merlot.
« Les témoins m'aident à construire mon programme de lutte, note Éric Vincent. J'essaie de les laisser sans traitement durant toute la saison. Je remplis un carnet d'observations chaque semaine, où j'indique les conditions météo, les attaques de maladies et de ravageurs sur les feuilles et sur les grappes. C'est une contrainte, mais cela fait partie du métier lorsque l'on est en lutte raisonnée. »
Vigneron à Cheverny, dans le Loir-et-Cher, François Cazin a lui aussi mis en place des témoins non traités depuis plusieurs années. « J'ai accepté d'en avoir pour servir l'intérêt général. Je fournis des observations chaque semaine pour le BSV, en particulier durant la période des premiers traitements et de la floraison qui sont des moments critiques. »
Pas assez de témoins
Le Loir-et-Cher compte une quinzaine de témoins non traités en viticulture. « Il n'y en a pas assez », confie Alice Durand, conseillère viticole à la chambre d'agriculture du Loir-et-Cher. En Gironde, Patrick Vasseur, qui est aussi vice-président de la chambre d'agriculture, milite pour que chaque commune mette en place des témoins non traités. « Nous verrions ainsi où les maladies apparaissent en premier et nous aurions une véritable cartographie des zones touchées. » Mais on est loin du compte. La Gironde possède actuellement une quarantaine de témoins non traités en vigne pour presque quatre cents communes viticoles.
Riches d'enseignements pour les vignerons, « ces témoins sont aussi très pédagogiques pour les riverains critiques envers les pesticides. Ils constatent ainsi les dégâts provoqués par l'absence de traitements », signale Alice Durand. « Les pertes de récolte peuvent être importantes sur ces ceps, admet François Cazin. Mais elles sont compensées par l'économie de produits phyto qu'ils nous permettent de faire. »
Quatre rangs consécutifs au minimum
Pour la chambre d'agriculture de Gironde, « quatre rangs consécutifs au minimum sont nécessaires : des rangs de garde doivent assurer une zone tampon avec les rangs traités ». Dans l'idéal, les rangs doivent compter cinquante ceps. Les vignerons font leurs observations sur les deux rangs centraux. « Il faut une centaine de ceps au moins. Nos témoins non traités sont sur cinq rangs de 25 ceps, de préférence dans une parcelle sensible aux maladies », note Nadège Brochard, de la chambre d'agriculture de Loire-Atlantique. La chambre d'agriculture de Gironde, elle, conseille de les placer « en bordure de parcelle et en amont des vents dominants afin de limiter les éventuelles dérives ». La plupart du temps, les témoins restent aux mêmes endroits, signalés par un panneau ou une bande de chantier pour qu'ils ne soient pas traités par erreur. Et s'ils sont fortement touchés deux années consécutives, certains les déplacent pour préserver ceux qui ont été pleinement exposés aux parasites.
Un léger risque pour les autres parcelles
« La taille des témoins non traités n'est pas suffisante pour induire une pression parasitaire supplémentaire dans le vignoble. Mais, en 2016, le mildiou était si virulent que des rangs en bordure de témoins ont été contaminés », indique Nadège Brochard, de la chambre d'agriculture de Loire-Atlantique. Pour éviter de telles déconvenues, à Bordeaux, Patrick Vasseur passe deux fois avec son pulvérisateur dans les quatre ou six rangs proches des témoins. Autre précaution : « Il n'est pas conseillé d'avoir des ceps non traités qui voisinent avec des vignes où l'on pratique la méthode Optidose », signale Alice Durand, de la chambre d'agriculture du Loir-et-Cher. « Un témoin attaqué introduit une pression supplémentaire dans la parcelle, mais les dégâts induits par la proximité de symptômes virulents apparaissent limités aux deux ou trois rangs traités en bordure immédiate du témoin », souligne la chambre d'agriculture de Gironde. Si les ceps témoins sont contaminés, le vigneron peut à tout moment entreprendre de les traiter.