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Investissement Les ratés du dispositif d'aides

MICHÈLE TRÉVOUX - La vigne - n°297 - mai 2017 - page 44

Vignerons et constructeurs dénoncent la complexité du nouveau système de notation des dossiers de demande d'aide à l'investissement et les ratés de la téléprocédure.
ALEXANDRE GENDRIER, vigneron au domaine des Huards, à Cour-Cheverny (Loir-et-Cher) est mécontent de la procédure en ligne qui lui a pris beaucoup trop de temps. © C. ROLLAND

ALEXANDRE GENDRIER, vigneron au domaine des Huards, à Cour-Cheverny (Loir-et-Cher) est mécontent de la procédure en ligne qui lui a pris beaucoup trop de temps. © C. ROLLAND

« Cela m'a coûté 6 000 euros de conseil, mais je devrais obtenir 250 000 € de subventions. » Éric Dangin, vigneron champenois.

« Cela m'a coûté 6 000 euros de conseil, mais je devrais obtenir 250 000 € de subventions. » Éric Dangin, vigneron champenois.

« Plus jamais ça ! » Alexandre Gendrier, vigneron au domaine des Huards, à Cour-Cheverny (Loir-et-Cher), est excédé. Il a fini par recevoir, fin mars, une ACT (autorisation de commencer les travaux) pour un projet de 20 000 € d'équipement pour sa cave. Il veut acheter une pompe à lobe et cuve tampon. Mais à quel prix ! « J'ai bien failli laisser tomber car, avec les nouveaux critères de priorité, je n'étais pas sûr d'être éligible. Mais le pire, ce fut de remplir le dossier en ligne. La téléprocédure ne fonctionnait pas, j'y ai passé du temps sans parvenir à finaliser mon dossier. En désespoir de cause, j'ai tout envoyé par mail. Ce n'est pas correct de nous proposer une procédure aussi mal ficelée. Pour un petit dossier comme le mien, le temps passé est démesuré au regard des 6 000 € brut attendus. Il aurait été plus profitable pour mon exploitation que je passe ces trois jours à faire de la prospection commerciale », confie-t-il.

Une complexité décourageante

Le vigneron tourangeau illustre bien le parcours du combattant qu'a été cette année la constitution des dossiers d'aides à l'investissement. Avec pour résultat une baisse significative des demandes. L'an dernier, la totalité de l'enveloppe allouée à cette aide avait été consommée dès le premier jour de dépôt des dossiers. Cette année, rien de tel. Bien que la date limite de dépôt ait été reportée deux fois, les dossiers déposés ne représentent que 128 millions d'euros (M€) sur les 165 M€ alloués à l'aide à l'investissement.

Pourtant, FranceAgriMer s'attendait à recevoir près de 5 000 dossiers. En 2016, l'établissement public en avait rejeté 1 350 et pensait donc les revoir cette année, en plus des nouveaux projets. On est loin du compte. Seuls 1 900 dossiers ont été finalisés contre 4 000 l'an dernier. Les conditions climatiques désastreuses du millésime 2016 dans certaines régions ne sont sans doute pas étrangères à cette désaffection. Mais les changements intervenus dans la procédure d'attribution des aides ont également refroidi bon nombre de vignerons. Quatre cents d'entre eux, qui s'étaient inscrits sur la plateforme, ont lâché en route.

Le nouveau système des points, basé sur des critères environnementaux cumulés à la téléprocédure, en a découragé plus d'un. « Le système de notation n'est pas facile à comprendre. Des vignerons ont renoncé d'emblée, pensant qu'ils n'obtiendraient jamais le nombre de points nécessaires. D'autres, peu aguerris à l'informatique, se sont découragés au fur et à mesure », constate Marguerite de Toffoli, en charge de ces dossiers d'aide à l'investissement chezles Vignerons indépendants d'Aquitaine.

C'est le cas de Bernard Campenio, du domaine du Baguier, à Roquebruissanne (Var). Ce vigneron de 65 ans a besoin de refaire sa cave. Il a envisagé de demander l'aide à l'investissement. « Quand j'ai vu la complexité du dossier, j'ai abandonné. Pour les petites structures comme la mienne, ces aides deviennent inaccessibles sans assistance extérieure. C'est scandaleux. Je suis saturé de toutes ces tracasseries administratives. On a le sentiment que l'administration se complaît à nous pondre des trucs tordus », s'indigne-t-il. Un constat que partage Éric Paolini, gérant de la société Visea, distributeur de matériel vitivinicole dans la région Paca. « À force de compliquer les dossiers, on écarte ceux qui n'ont pas les moyens de se payer des cabinets spécialisés. C'est choquant d'exclure les plus petits alors que certaines grandes fortunes touchent largement », souligne-t-il.

La chasse aux points est ouverte

Pour gagner des points et s'assurer d'être éligibles, certains vignerons ont surinvesti.

À la cave coopérative Les Coteaux du Pic, dans l'Hérault, Michel Marty a monté son dossier avec l'appui de Coop de France. La cave souhaitait investir dans un nouveau quai de réception et un transformateur. « Nous avons rajouté un filtre tangentiel que nous avions prévu d'acheter l'an prochain. Ce seul appareil nous rapportait douze points », indique le directeur dont le dossier a été retenu.

Échaudé par le refus qu'il a essuyé l'an passé, Éric Dangin, vigneron champenois, a employé les grands moyens cette année pour être sûr d'obtenir les aides. « Je me suis fait conseiller par un cabinet spécialisé de Bordeaux. Cela m'a coûté 6 000 euros, mais, pour un dossier d'investissement d'un million d'euros, je m'y retrouve. Je devrais bénéficier de 250 000 euros de subventions. »

Son projet porte sur la construction d'un bâtiment où seront regroupées ses lignes de dégorgeage et d'habillage, aujourd'hui réparties sur deux sites. Le bâtiment, qui respecte les normes environnementales, lui a rapporté douze points. « Pour optimiser mes chances, j'ai modifié mon choix initial concernant la ligne d'habillage. J'ai opté pour une machine équipée pour habiller les bouteilles spéciales qui me rapportait deux points supplémentaires », précise-t-il.

Même calcul pour Hervé Grandeau, des Vignobles Grandeau, à Bordeaux, qui a présenté un projet évalué à 1,5 million d'euros pour la construction d'un nouveau chai. « Nous avons étudié les règles du jeu et fait des simulations pour obtenir le maximum de points. Nous avons donc rajouté un auvent pour créer des ombres portées et un puits canadien, qui ne figuraient pas dans notre projet initial », confie-t-il.

Marguerite de Toffoli dénonce également les changements de règles en cours de route. « Sur les dix-sept dossiers que j'avais initiés, trois n'ont pu aboutir car le conseil spécialisé de FranceAgriMer a décidé en décembre de rendre inéligibles les exploitations présentant trois EBE (excédent brut d'exploitation) négatifs. On y avait pourtant passé du temps. »

Bien d'autres récriminations portent sur la succession d'incidents durant la téléprocédure. « J'ai passé des nuits compliquées. J'ai eu des bugs informatiques sur quatre de mes dossiers. Je n'ai pas pu les finaliser et ils seront donc traités à part », déplore Sandra Vicente Nella, des Vignerons indépendants du Var. Les cases à cocher qui se décochent, les mises à jour qui annulent tout ce qui avait été précédemment enregistré, les blocages à répétition... La plateforme n'était pas abputie. « On a essuyé les plâtres. J'espère que ce sera mieux l'an prochain », lâche Élise Girard, des Vif du Centre-Loire. On voit mal comment ça pourrait être pire.

La Vigne a voulu donner la parole à France-AgriMer qui n'a pas répondu, étant soumis à un devoir de réserve en période électorale.

Grogne chez les constructeurs et les distributeurs

Les constructeurs et distributeurs sont également très remontés contre la gestion des aides cette année.

- « La date de clôture des dossiers a été repoussée deux fois. Les vignerons n'ont reçu que fin mars leur autorisation de commencer les travaux. C'est trop tard. Quatre mois pour fabriquer, livrer et installer, c'est beaucoup trop serré. D'autant que le reste du monde n'attend pas la France. Les constructeurs vont d'abord livrer les commandes confirmées par leurs filiales des autres pays », prévient Philippe du Lac, directeur commercial France de Diemme.

- « 12 % de nos projets en portefeuille ont été reportés à 2018. Ce n'est pas sans effet sur notre chiffre d'affaires. FranceAgriMer a certes indiqué aux vignerons qu'ils pouvaient passer leurs commandes sans attendre l'ACT, mais très peu ont osé le faire », souligne Damien Debuf, en charge du développement commercial chez Pera-Pellenc.

- « C'est la première fois que je vois une telle pagaille. Les dossiers étaient de vraies "usines à gaz". Les gens devaient présenter trois devis. Or, chaque devis représente des heures et des heures de travail pour les gros dossiers. Mais le plus catastrophique, ce sont les délais. J'ai dû refuser deux commandes de cuves arrivées trop tard pour que nous puissions livrer avant les vendanges », peste Éric Paolini, de Viséa.

- « La non-consommation de l'enveloppe, c'est 120 millions d'euros de chiffre d'affaires en moins pour notre filière », ajoute Alain Dufay, directeur commercial de Bucher-Vaslin.

Les constructeurs ont été reçus le 28 mars chez FranceAgriMer. Ils ont unanimement réclamé une clôture des dossiers pour la fin décembre de manière à avoir le temps de fabriquer les matériels commandés avant les vendanges.

Certains vignerons sont satisfaits

Il y a les mécontents, mais il y a également des vignerons heureux. Jean-Luc Soubie (photo) en fait partie. Ce producteur bordelais exploite 50 ha de vigne au château de Lisennes, à Tresses. Après avoir déjà déposé avec succès quatre dossiers depuis 2010, il a validé, en tout début d'année, sa cinquième demande d'aide pour l'achat de six cuves en Inox. « 30 % de l'investissement financés par l'Europe, c'est quand même formidable », s'enthousiasme-t-il. « Il y a des contraintes, il y a des contrôles, mais quoi de plus normal quand on est ainsi subventionné ? Je m'appuie sur les Vif d'Aquitaine qui ont un vrai savoir-faire dans le montage des dossiers. Cette année, il a fallu tenir compte des nouvelles contraintes environnementales. J'ai dû prendre de l'Inox recuit brillant qui m'a coûté un peu plus cher mais, sur 46 000 € d'investissement, je vais toucher 15 000 € d'aide. Je ne vais pas me plaindre. »

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