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VENDRE - Conseils de pros

Storytelling Quand votre histoire fait vendre

MARION BAZIREAU - La vigne - n°297 - mai 2017 - page 58

Les clients ont besoin de rêver. Ils aiment les belles histoires. Cela tombe bien, vous en avez forcément une. Reste à la mettre en forme. C'est le storytelling. Quatre experts de cet art du récit vous aident à trouver votre bonne histoire et à bien la raconter.
Les visiteurs se souviendront plus facilement de votre cuvée si elle est associée à une belle histoire. À l'oral, elle ne doit pas dépasser trois minutes. © P. ROY

Les visiteurs se souviendront plus facilement de votre cuvée si elle est associée à une belle histoire. À l'oral, elle ne doit pas dépasser trois minutes. © P. ROY

1. Pensez aux basiques

Neuf vignerons sur dix présentent leur terroir et leur famille sur leur site internet. Cela ne les différencie pas vraiment des autres. Mais, selon Georges Lewi, qui a réalisé plusieurs enquêtes sur le sujet, c'est nécessaire. « Lorsque les gens pensent au vin, ils pensent d'abord au terroir, puis au vigneron. » Il est aussi utile de présenter ses cépages et les caractéristiques de ses vins. « Mais il faut raconter le chemin parcouru pour en arriver là », insiste Marc Jonas. « On peut dire que l'on vinifie du grenache à condition d'expliquer pourquoi et ce que cela implique », renchérit Georges Lewi.

En revanche, vous pouvez faire l'impasse sur vos processus de vinification. André Deyrieux a constaté que parler de fermentation ou de filtration ne séduit pas du tout les clients, « même les acheteurs professionnels ». Ils en ont assez.

2. Fouillez le passé

C'est la solution la plus courante. Pour bâtir votre histoire, une bonne formule consiste à partir de celle de votre exploitation ou de votre région. « Cherchez à savoir d'où vient le nom de votre lieu-dit, c'est une source de beaucoup d'histoires et d'anecdotes, conseille André Deyrieux. Rencontrez les gens du coin, parlez aux anciens du village, allez voir les archives de la mairie. Si vous cherchez dans votre passé, vous trouverez toujours une histoire. »

Dans l'Hérault, le domaine Henry a bien compris le principe. En 1783, le vin de Saint-Georges-d'Orques a trouvé grâce aux yeux de Thomas Jefferson, alors ambassadeur en France. Quelques années plus tard, devenu président des États-Unis, il le détaxe pour en faciliter l'importation. François Henry a décidé de reconstituer l'encépagement de l'époque (aspiran, terret, rybeyrenc, oeillade).

Toujours dans l'Hérault, la cave de Maraussan rappelle à ses visiteurs qu'elle est la première coopérative viticole inaugurée par Jean Jaurès en 1905. Plus simplement, à Cairanne, le vigneron Marcel Richaud a baptisé l'une de ses cuvées « Les Estrambords », un mot de vieux provençal signifiant « les enthousiasmes ». « Ces anecdotes donnent du relief aux cuvées », assure André Deyrieux.

Certains cépages ont également une histoire intéressante. « C'est le cas du tibouren : c'est un marin italien, nommé Antiboul, qui aurait apporté ce cépage dans la presqu'île de Saint-Tropez. Cette anecdote donne un côté ensoleillé au cépage. Elle marque les esprits », illustre André Deyrieux.

Deux autres solutions s'offrent à vous pour construire votre récit. Si vous avez un parcours original, vous pouvez partir de là. Vous pouvez aussi vous adapter à une cible, si vos vins et vos convictions s'y prêtent bien. « On peut par exemple décider de s'adresser à une clientèle féminine, qui n'aime pas forcément les rouges charpentés, ou vinifier le vin des petites gens, le "vin Mélenchon" », illustre Georges Lewi. « Le storytelling que vous allez construire à partir de votre positionnement va venir renforcer votre offre », explique Alexandrine Bourgoin.

3. N'inventez rien

« Attention, il ne faut pas mentir au client », prévient Marc Jonas. Les gens recherchent de l'authenticité, « encore plus aujourd'hui, avec le boom du digital. Ils achètent un vin pour entretenir une relation avec une marque. On peut légèrement enjoliver les faits mais attention à ne pas aller trop loin au risque de se faire de la mauvaise publicité ». Même son de cloche chez Alexandrine Bourgoin. « Les gens ne sont pas dupes. Quand Steve Jobs a expliqué qu'il avait commencé dans son garage, toutes les start-up ont ressorti la même histoire. Cela ne trompe personne. »

4. Soignez la forme

« L'ennemi n'est pas votre concurrent, c'est le manque d'intérêt de votre interlocuteur », assure Marc Jonas. Pour nos quatre experts, dans le storytelling, la forme a au moins autant d'importance que le fond de l'histoire. Pour être facilement mémorisable, votre histoire doit être courte. « À l'oral, elle ne doit pas dépasser trois minutes. » Même chose à l'écrit. Selon Alexandrine Bourgoin, « elle doit pouvoir se résumer en quelques lignes, un peu comme les pitchs de start-up ». N'hésitez pas à utiliser des dictons ou des phrases célèbres pour attirer l'attention. Georges Lewi encourage même les vignerons à « faire du Hollywood ». « Vous pouvez faire comme dans les films et les séries américaines, créer de l'émotion. Instaurez deux camps, les gentils et les méchants. Intuitivement, votre interlocuteur va se placer d'un côté ou de l'autre et se rappellera de vous. »

5. Déclinez votre histoire

Votre histoire peut être contée sur plusieurs supports. « Vous pouvez la raconter aux clients qui passent vous voir à la propriété, sur votre bouteille, votre étiquette ou votre site internet. Faites des photos, des vidéos, des logos », suggère Alexandrine Bourgoin. L'experte donne l'exemple des vignerons de l'île de Brac, en Croatie. La terre y est très aride. Les vignerons ont l'habitude de ne rien gaspiller, ce qu'il leur a valu la réputation d'être avares. Une réputation qu'ils assument et dont ils jouent. Sur leurs bouteilles, ils ont collé des étiquettes minuscules, d'après eux, les plus petites du monde. Ils ont également tourné une vidéo publicitaire qui se conclut par : « Les grands vins n'ont pas besoin de grandes étiquettes ».

Les vignerons peuvent aussi créer des événements. Alexandrine Bourgoin retient ainsi l'initiative des champagnes Veuve Clicquot. « La maison a fait siennes les caractéristiques attribuées à Madame Clicquot : la rigueur, le talent, l'audace et la créativité. En 1972, elle a créé le Prix de la Femme d'affaires Veuve Clicquot, qui récompense chaque année des femmes pour leur esprit d'entreprise. » Sans aller aussi loin, pensez déjà à exploiter votre contre-étiquette. Pour Georges Lewi, c'est l'emplacement parfait pour faire passer son discours. « Souvent, on n'y trouve que des informations génériques, rien pour se distinguer alors que les gens la lisent. Au restaurant, par exemple, ils n'ont que ça à faire ! »

6. Osez les réseaux sociaux

Lors du dernier Vinisud, Marc Jonas a questionné les viticulteurs sur leur utilisation des réseaux sociaux. « Ils savent les utiliser mais ils n'ont aucune ligne éditoriale. Quand il neige, quand les vignes débourrent, tout le monde publie le même genre de photos. Cela manque d'originalité et de pertinence. » Pourtant, il y a beaucoup de choses à faire. « Par exemple, s'il gèle au printemps, les vignerons peuvent raconter l'anecdote de saint Verny, fêté le 19 avril », suggère André Deyrieux. Dans les régions viticoles, en cas de mauvais rendements, d'intempéries, ou de gel, les saints patrons protecteurs de la vigne étaient sévèrement sanctionnés. On enlevait son chapeau à saint Verny, on mettait ses statues au piquet, on le plongeait dans les fontaines ou les rivières... « En distillant ce genre d'histoires courtes tout au long de l'année, on va forcément créer de l'interaction, insiste André Deyrieux. On peut même lancer des événements autour de ces anecdotes. Dans notre exemple, on peut imaginer un circuit des statues des saints. »

7. Restez cohérent

Quel que soit le positionnement choisi, Georges Lewi encourage les vignerons à rester cohérents. « Lorsqu'on décide de bâtir son storytelling autour de son château, il faut rester traditionnel depuis le caveau de vente jusqu'au goût du vin, en passant par l'étiquette », illustre-t-il. Dans le même esprit, sur les réseaux sociaux, le vigneron ne devra pas en faire trop. « On ne peut pas prétendre vivre comme il y a trois siècles et passer son temps à poster des infos sur Twitter ou Facebook. » Les clients ne s'y retrouveraient pas.

Le Point de vue de

GAËLLE REYNOU-GRAVIER, DOMAINE DE PERREAU, 22 HECTARES, À SAINT-MICHEL-DE-MONTAIGNE (DORDOGNE)

« J'ai créé des étiquettes très féminines et modernes »

« Je crois à fond au storytelling. Le domaine est dans la famille depuis cinq générations, et quand j'ai pris les rênes, en 2013, j'ai tout de suite voulu raconter ma propre histoire.

Auparavant, nos étiquettes étaient très classiques. J'ai tout retravaillé et créé trois gammes de vins. J'ai baptisé la première Initiale G, pour Gaëlle et Gourmandise. L'étiquette représente un G en forme de femme. J'ai repris ce logo sur mon site internet. La seconde, La Pierre et l'Eau, met en avant le terroir. La troisième, Collection Désir, regroupe mes cuvées haut de gamme. J'ai écrit un petit poème sur la contre-étiquette de chaque référence, en m'inspirant des haïkus japonais. Pour le Désir Carmin, cela donne « Le rouge sensuel et profond d'un désir sans concession ».

Je joue beaucoup sur mon statut de femme. Dans les salons, j'installe une bannière « Une femme et ses vins ». Elle attire le regard et les gens viennent spontanément vers mon stand. Je leur raconte mon histoire et leur transmets ma passion pour mon métier. Ils aiment cette authenticité.

Le packaging très moderne de mes cuvées a reçu un super accueil. Il plaît également aux cavistes qui ont besoin de cuvées confidentielles et d'histoires pour vendre.

Le nom du domaine est un autre atout. Avant d'aller dans un salon, je cible les clients locaux et je leur envoie une newsletter intitulée « Les Contes de Perreau », dans laquelle je leur présente le vignoble, les médailles que les vins ont reçues... J'envisage de le faire plus souvent mais il faut que je trouve le temps. J'ai la même démarche sur Facebook, où je compte de plus en plus d'abonnés. »

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ANDRÉ DEYRIEUX Consultant en oenotourisme, fondateur de winetourisminfrance.com

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MARC JONAS Consultant en oenotourisme, gérant de Conseil Œnotourisme.

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ALEXANDRINE BOURGOIN Consultante en oenotourisme et marketing du vin, gérante d'OEnostory.

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GEORGES LEWI Spécialiste des marques et du storytelling.

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ANDRÉ DEYRIEUX Consultant en oenotourisme, fondateur de winetourisminfrance.com

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