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DOSSIER - La grêle à bras-le-corps

Les filets antigrêle à l'essai

La vigne - n°298 - juin 2017 - page 24

Selon les premiers résultats d'essais, les filets antigrêle semblent bien remplir leur mission. Plusieurs fabricants sont sur les rangs pour équiper les vignobles de cuve. Mais le marché ne semble pas prêt.

« À Moissac, 80 % du vignoble est protégé par les filets antigrêle. Efficacité et satisfaction sont au rendez-vous », affirme Francis Moinereau, directeur commercial agriculture de Texinov, un fabricant de filets. Dans les vignobles de raisins de cuve, rien de tel. Les filets antigrêle sont encore très rares. Les raisons ? Le coût de ces protections paraît exorbitant - entre 15 000 et 25 000 €/ha, sans la pose - alors que les raisins de cuve blessés par la grêle peuvent être vinifiés contrairement aux raisins de table rendus invendables dès le moindre impact. De plus, ces filets déplaisent à l'Inao. Pour l'institut, ils ne correspondent pas aux usages et ils risquent de nuire à la maturation des raisins et à la beauté des paysages. De ce fait, ils ne sont autorisés qu'à titre expérimental dans les AOC.

Malgré cela, des fournisseurs sont prêts à s'engouffrer dans la brèche. Filpack, Paligrêle, Texinov et Provigrêle, entre autres, proposent des filets pour le raisin de cuve, d'une hauteur de 0, 5 à 1 m, que l'on pose de chaque côté des rangs de vigne. Ils sont tricotés dans une maille qui laisse passer le soleil et les traitements. Ils s'installent avant le débourrement. Le temps de pose dépend de la densité de plantation : il faut compter 40 heures par hectare pour 3 000 pieds/ha et jusqu'à 70 h/ha pour 10 000 pieds. Par la suite, il n'est plus nécessaire de relever la vigne, celle-ci étant tenue par les filets.

Inventé par un viticulteur

« Le marché est balbutiant », observe Julien Chevallier. Lassé de subir la grêle, ce viticulteur à la tête du domaine de Miselle, à Caupenne-d'Armagnac (Gers), a développé le système Provigrêle, une marque qu'il a déposée, avec une batterie d'accessoires. Ainsi, deux demi-écarteurs, posés de part et d'autre des piquets de palissage, tiennent les filets un peu éloignés de la végétation pour qu'elle respire. Autre accessoire : des sangles pour relever le filet en boudin en haut du palissage, avant les travaux (ébourgeonnage, effeuillage), puis avant la récolte. Une fois ce filet posé, on ne peut plus prétailler les vignes. Et il faut rabattre les écarteurs à la main avant de passer la machine à vendanger.

Après avoir testé ce système sur ses 30 hectares en IGP Côtes-de-Gascogne, Julien Chevallier s'est lancé dans la commercialisation. En Bourgogne, sept domaines le testent ainsi que des propriétés en Gironde, dans le Val de Loire et à Jurançon.

De son côté, Filpack revendique la place de leader français dans la protection antigrêle. Cette société commercialise la marque allemande Whailex. Avec elle, l'opérateur n'a plus besoin d'arpenter ses rangs pour relever ses filets, comme avec les autres marques. Il soulève et abaisse ses filets en quelques secondes avec une manivelle en bout de rang. C'est très utile pour les travaux en vert et la récolte, d'autant qu'avec ce système le prétaillage reste possible.

Une quinzaine de parcelles de raisins de cuve, soit 6 ha, ont adopté Whailex. Un rythme que Philippe Augenie, directeur commercial de Filpack Protection, juge insuffisant. « Je suis surpris d'avoir aussi peu de demandes de la part des viticulteurs. Ils préfèrent les générateurs à iodure d'argent, une solution plus tranquille que les filets paragrêle », lâche-t-il.

Un accrochage innovant

Chez Texinov, on met l'accent sur le système d'accrochage au moyen d'un câble inséré le long des filets. Les filets se défont vers le bas pour le passage de la prétailleuse et s'accrochent en haut du palissage pour les autres travaux. Un dispositif breveté. « Nos filets sont utilisés dans une dizaine de sites représentant 10 ha en Bourgogne, dans le Bordelais et le Val de Loire », assure Francis Moinereau.

Dernier acteur, Paligrêle, société créée en 1990 par Jean-René Bielle, propose, elle aussi, des écarteurs qui peuvent prendre deux positions en fonction de l'état végétatif de la vigne : une position serrée de la sortie des feuilles à la grappe visible, et une position écartée de la floraison à la nouaison. Reste à transformer les expérimentations en autorisations. Une décision qui appartient à l'Inao.

Un essai prometteur en Bourgogne

En avril 2015, l'Inao a donné son feu vert pour l'expérimentation de filets antigrêle dans une douzaine d'appellations de Bourgogne durant trois ans. Un programme demandé par la Confédération des appellations et des vignerons de Bourgogne (CAVB).

Trois marques sont testées : Whailex, Paligrêle et Provigne. Vingt-deux domaines participent à l'essai. Ils protègent ainsi 35 parcelles représentant une superficie de 23 hectares.

Après deux campagnes, qu'observe-t-on ? Christine Monamy, responsable agrométéo à l'interprofession des vins de Bourgogne (BIVB) répond avec beaucoup de prudence car une seule parcelle a subi un orage de grêle. C'était l'an dernier en avril, dans le Mâconnais. Là, « il n'y a eu que 6 % de dégâts (bourgeons abîmés) contre 60 % dans la partie non protégée », indique Christine Monamy.

Pour le reste, les filets sont sans effet sur la date de la floraison et de la maturité, bien que le rayonnement reçu par la végétation soit un peu plus faible du fait de l'ombre. « Nous n'observons ni plus ni moins d'oïdium ou de mildiou », ajoute Pierre Petitot, conseiller viticole à la chambre d'agriculture de la Côte-d'Or qui suit trois parcelles.

L'essai confirme aussi qu'avec les filets, il n'est plus nécessaire de relever la vigne. Les contraintes ? Il faut un palissage costaud avec des piquets de tête résistants car la tension des filets sur le rang de vigne est forte. Enfin, l'investissement peut être un frein. « Les coûts sont exorbitants du fait des petites surfaces concernées par cette expérimentation », reconnaît Christine Monamy, qui reste discrète sur les montants engagés.

Le Point de vue de

Lyne Marchive, Domaine des Malandes, 30 ha, à Chablis (Yonne)

« Je me suis battue pour tester les filets »

POUR LYNE MARCHIVE, l'installation de filets a été coûteuse, mais elle sera rentabilisée dès le premier orage. ©  C. FAIMALI/GFA

POUR LYNE MARCHIVE, l'installation de filets a été coûteuse, mais elle sera rentabilisée dès le premier orage. © C. FAIMALI/GFA

« C'était le 27 avril 2016, à Préhy, dans l'Yonne. En une demi-heure, le paysage a été bouleversé. Les vignes étaient en fleur. Après la grêle, il ne restait plus que des bouts de bois. J'ai perdu huit hectares. En quarante ans de carrière, je n'avais jamais vu de grêle aussi violente. Je ne pouvais pas rester les bras ballants. Je me suis assurée. Et j'ai regardé ce qui se faisait en termes de protection. Je suis allée chez une viticultrice qui s'était dotée de filets antigrêle. J'ai adopté le système Provigrêle sur cinq hectares fréquemment grêlés. Fin avril 2017, les filets étaient posés. L'investissement est important : 146 800 € HT, dont 105 600 € pour la fourniture des filets et des accessoires de pose (écarteurs, visserie...). Le reste, ce sont les frais de renforcement du palissage et de pose.

J'ai embauché quatre personnes extérieures pour poser les filets car mes salariés étaient pris par le travail sur le domaine. L'installation est loin d'être simple. Il faut bien positionner les écarteurs qui ne doivent pas être trop bas. Il faut tendre les filets sur toute leur longueur et toute leur hauteur. C'est un véritable chantier. Et j'ai dû me battre pour pouvoir le faire. Pour obtenir l'accord de l'Inao, j'ai d'abord dû obtenir celui de l'ODG. Je les ai harcelés pour cela. Je me suis aussi battue avec l'assurance qui a fini par diminuer la prime sur les cinq hectares protégés par les filets. Même si cette installation est coûteuse, elle sera rentable dès le premier orage car elle garantit une récolte et donc de garder sa clientèle qui, lassée des augmentations incessantes par manque de vin, risque de se détourner de nos vins de Chablis. »

Le Point de vue de

Jean-Jacques Corsin, Domaine Corsin, à Davayé (Saône-et-Loire)

« Cette méthode est efficace »

Jean-Jacques Corsin a investi 15 000 euros dans des filets. © C. GOINÈRE

Jean-Jacques Corsin a investi 15 000 euros dans des filets. © C. GOINÈRE

« Je suis le seul viticulteur du Mâconnais à m'être doté de filets antigrêle. Pendant les dix dernières années, nous avons subi quatre épisodes sévères de grêle. Un de mes importateurs belges m'a parlé des filets Paligrêle. Il m'a poussé à faire des essais.

En 2014, j'ai songé à les mettre sur une parcelle de jeunes vignes sur 50 ares. Mais j'ai eu droit à une levée de boucliers. L'Inao faisant valoir que ce n'était pas esthétique. J'ai choisi une autre parcelle qui ne se voit pas de la route et qui a été grêlée trois fois de suite à 80 %. Début avril 2015, nous avons installé ces filets sur dix rangs de 60 mètres, soit 7,5 ares. On a mis 9 heures pour les poser. Cette méthode est efficace : lors de la grêle d'avril 2016, les rangs protégés n'ont subi que 6 % de pertes de bourgeons contre 60 % pour les rangs non protégés. Avec ces filets, il n'est pas nécessaire de relever la vigne, car ils maintiennent la végétation. De même, ils protègent les rameaux des grosses rafales de vent. Les contraintes ? On a remarqué un peu plus d'oïdium en 2016, sans doute dû au fait qu'il y avait beaucoup de feuillage pris dans le filet. Et il faut relever ces filets pour les travaux en vert ce qui nous arrive deux fois dans l'année : au moment de la fleur - car on fait du mouchage (taille des rameaux au-dessus des inflorescences, NDLR) - et durant l'été, lorsque l'on enlève les entre-coeurs.

J'ai financé toute l'installation sans aide. Cela m'a coûté 15 000 €/ha. Je ne regrette rien mais je m'interroge : la CAVB nous imposant les générateurs à iodure d'argent avec un prélèvement de 8 €/ha par viticulteur, on ne pourra pas tout financer. »

Cet article fait partie du dossier La grêle à bras-le-corps

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