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VIGNE

Le boom de la confusion sexuelle

CHRISTELLE STEF - La vigne - n°298 - juin 2017 - page 40

De plus en plus de viticulteurs choisissent la confusion sexuelle contre les vers de la grappe. Les uns parce qu'ils cherchent une solution plus acceptable que les insecticides, les autres une méthode de lutte plus efficace.
MATHIEU SUBRIN (À GAUCHE) ET JÉRÔME BERTHOLON veulent motiver d'autres coopérateurs de Bully-Quincié à installer la confusion sexuelle dans leurs vignes.

MATHIEU SUBRIN (À GAUCHE) ET JÉRÔME BERTHOLON veulent motiver d'autres coopérateurs de Bully-Quincié à installer la confusion sexuelle dans leurs vignes.

À Saint-Germain-Nuelles, dans le Rhône, un panneau trône en bordure des vignes depuis début mai. « Ici, zone gérée avec une méthode alternative respectueuse de l'environnement, pour lutter efficacement contre le vers de la grappe », indique-t-il. À cet endroit, pour la première fois, cinq viticulteurs se sont regroupés pour mettre en place la confusion sexuelle sur huit hectares afin de lutter contre l'eudémis et la cochylis.

Jérôme Bertholon, qui adhère à la coopérative de Bully-Quincié, est l'un d'entre eux. Quatre hectares de ses vignes sont ainsi couverts par des Rak. « Avec un coût de 180 à 190 €/ha, c'est un gros effort financier. Mais je n'ai aucun regret. Cette technique, c'est l'avenir. J'aimerais que davantage de viticulteurs sautent le pas, même si le coût reste un frein dans notre vignoble où les vins ne sont pas forcément bien valorisés », explique-t-il.

Sa principale motivation : « Montrer au grand public que l'on a conscience des problèmes environnementaux et que l'on fait bouger les choses. » Une démarche que soutient sa coopérative. « Nous allons parler de cette initiative sur les réseaux sociaux et nous allons organiser des visites de cet îlot pour motiver d'autres coopérateurs », indique Mathieu Subrin, le responsable de la commission amont.

« C'est très bien de se passer des insecticides »

Un peu plus loin, à Saint-Laurent-d'Oingt, pour la deuxième année consécutive, une douzaine d'hectares de vignes sont aussi couverts par des Rak. Ce territoire comprend 5 ha du Domaine Chatelus. « Si l'on peut se passer des insecticides, c'est très bien. On sent qu'il y a une pression pour qu'on en utilise moins. Un jour ou l'autre, ils seront interdits. Or, comme il y aura toujours des vers de la grappe, il faut trouver d'autres solutions », justifie Pascal Chatelus.

Pour l'instant, le vigneron est satisfait du changement. L'an passé, la confusion a bien fonctionné. Mais c'était dans un contexte de faible population de vers. « Il faudra vérifier que cela marche toujours en cas de forte pression », note le vigneron. Pascal Chatelus souligne aussi : « On engage des frais et du temps sans savoir s'il y aura ou non des vers, puisque la technique est strictement préventive. »

Montrer que l'on va de l'avant, avec d'autres vignerons, c'est aussi ce qui a séduit Michel Champseix, à Néac (Gironde), en AOC Lalande-de-Pomerol. Avec dix-sept de ses voisins, il a formé un bloc de 60 ha de vignes sous confusion. Les deux tiers de sa propriété, soit 13 ha, sont ainsi protégés.

À Chablis, c'est la difficulté à raisonner les traitements de fin juillet-début août qui a conduit Denis Pommier, du domaine du même nom, à se lancer. « Chez nous, on a affaire à la cochylis et à l'eudémis. C'est surtout l'eudémis qui nous cause des soucis. En fin de saison, ses vols sont étalés. Avec les fortes chaleurs, on ne sait jamais si les pontes vont avorter et s'il faut traiter, ou pas. L'an passé, j'ai eu quelques foyers de pourriture grise pour avoir pensé qu'il n'était pas nécessaire de traiter. Je compte donc sur la confusion pour obtenir une vendange plus saine et ne plus subir d'attaques en première génération. Il y a vingt ans, on ne s'inquiétait pas d'avoir des glomérules car nos vignes étaient plus productives. Aujourd'hui, le moindre raisin compte », insiste-t-il. Il vient donc de s'associer à une vingtaine d'autres viticulteurs pour mettre sous confusion un coteau d'une quarantaine d'hectares à Beine et à Chablis. Désormais, trois de ses hectares sont couverts par les Rak 1 + 2.

« Les Puffer, c'est l'avenir »

Dans le Languedoc, l'eudémis cause des dégâts récurrents. « Ce papillon produit trois ou quatre générations par an dans les Corbières. Ses larves ont un fort impact sur la qualité et la quantité de la vendange. Traditionnellement, il est contenu par des insecticides préventifs. Or, ceux-ci s'avèrent de moins en moins efficaces alors qu'ils ne sont pas neutres pour l'environnement », explique Pierre Bories, du Château Ollieux Romanis. Ce producteur a donc posé des diffuseurs Isonet L dans son vignoble. « En 2016, les résultats ont été probants. Cette année, nous avons fédéré nos voisins et une grande partie de l'appellation Corbières-Boutenac. 800 ha sont ainsi traités. Et nous visons l'arrêt des traitements insecticides d'ici deux à trois ans. »

Son confrère Cédric Guy, du domaine l'Abbaye Sylva Plana, en AOP Faugères, s'est converti à la technique il y a plusieurs années. « 90 % de nos vignes sont en gobelet, donc non palissées. Avec les Bacillus ou le Success 4, nous n'arrivions pas à pulvériser assez de produit sur les grappes. Nous subissions des attaques d'eudémis à la vendange et de la pourriture grise. Nous avons dû investir dans une table de tri. Avec la confusion sexuelle, on a réglé le problème. Aujourd'hui, 40 ha sont couverts par des Isonet L (eudémis) et 5 ha par des Isonet L+ (eudémis et cochylis). L'efficacité est satisfaisante. » Pour aller plus loin, le vigneron teste cette année les Puffer. « Avec ce système, on diffuse des phéromones seulement au moment des vols. Pour moi, c'est l'avenir... »

Plus besoin de Certiphyto

C'est officiel. Il n'y a plus besoin de Certiphyto pour mettre en place les diffuseurs de phéromones. C'est inscrit dans la loi du 20 mars 2017 relative àla lutte contre l'accaparement des terres agricoles et au développement du biocontrôle. Le texte précise ainsi : « Ce certificat n'est exigé ni pour les médiateurs chimiques [les phéromones, NDLR], ni pour les substances de base. » Il légalise ainsi ce qui n'était qu'une tolérance.

Tous les opérateurs progressent

Le nombre d'hectares couverts par la confusion sexuelle progresse considérablement.

« En 2016, les surfaces couvertes par Isonet approchaient de 10 000 ha. Cette année, nous ne sommes pas loin de 20 000 ha », se réjouit Philippe Rothgerber, de CBC Biogard, la société qui commercialise ces diffuseurs. Les surfaces couvertes par les Rak de BASF avoisineraient les 50 000 hectares contre 43 000 ha l'an passé. « La technique s'est développée un peu partout. C'est un mode de traitement vertueux et apprécié qui fonctionne bien », argumente Pierre-Antoine Lardier, le responsable du pôle cultures spéciales chez BASF.

De son côté, De Sangosse qui lançait pour la campagne actuelle le CheckMate Puffer, une bombe aérosol diffusant des phéromones, s'attendait à un démarrage timide. Il n'en est rien. « Nous avons failli être en rupture de stock », assure Marina Astié, responsable du biocontrôle chez De Sangosse.

Un secteur qui innove

- De Sangosse révolutionne la confusion sexuelle en proposant le CheckMate Puffer LB, un nouveau diffuseur qui vise l'eudémis. Il se compose d'une bombe aérosol contrôlée par un minuteur, le tout abrité dans une petite cabine. Seuls 2,5 à 4 Puffer par hectare sont nécessaires selon la topographie de la parcelle et les vents dominants. Le temps d'installation est donc considérablement réduit.

- CBC Biogard lance Isonet LA Plus, un diffuseur homologué non seulement contre l'eudémis et la cochylis mais aussi contre l'eulia. Il s'agit du premier dispositif de lutte par confusion sexuelle contre ce parasite. Il s'installe à raison de 500 unités/ha. Comme les autres Isonet, il se compose de tubes soudés par leurs extrémités. Le prix conseillé est de 155 €/ha.

- BASF travaille, de son côté, à l'amélioration de ses Rak mais ne sortira pas de nouveauté dans un avenir proche. La firme teste également d'autres voies, notamment les nématodes pour lutter contre l'eulia et le cryptoblabès. Ces vers microscopiques se nourrissent des formes hivernantes des ravageurs qui sont au sol. « L'idée serait de pulvériser des nématodes après les vendanges », explique Pierre-Antoine Lardier, de BASF.

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