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DOSSIER - VITICULTURE, NÉGOCEDES RELATIONS APAISÉES

LANGUEDOC L'âge de raison

La vigne - n°304 - janvier 2018 - page 24

Après une campagne perturbée par la hausse des importations espagnoles, la production veut développer des contrats pluriannuels avec le négoce. Ce dernier semble prêt à s'engager pour une partie de son approvisionnement.
LUDOVIC ROUX, vice-président de Coop de France Languedoc-Roussillon président de la coop de Talairan, observe qu'il y a plus de confiance entre production et négoce. © CCVF

LUDOVIC ROUX, vice-président de Coop de France Languedoc-Roussillon président de la coop de Talairan, observe qu'il y a plus de confiance entre production et négoce. © CCVF

«Restons raisonnables ! », c'est le mot d'ordre syndical plutôt inhabituel de ce début de campagne. La récolte 2017 ne devrait pas dépasser 10,5 millions d'hectolitres, alors que les sorties approchent les 12 millions tous vins confondus. Malgré cela, les responsables syndicaux veulent éviter une flambée des cours. « Si nous sortons du marché, nous allons encore perdre des débouchés. Alors que les prix grimpent dans les autres vignobles, c'est le moment de rester raisonnables et de reconquérir des parts de marché », soutient Ludovic Roux, vice-président de Coop de France Languedoc-Roussillon.

Des caves adhèrent à cette stratégie, d'autres hésitent, espérant une hausse significative des cours. Mais il y a peu de chances que celle-ci compense les pertes de récolte, lesquelles sont comprises entre 25 à 30 %. « Nous devons développer d'autres outils, comme l'assurance récolte, pour faire face aux petites années », estime Ludovic Roux.

En contrepartie d'une modération sur la hausse des prix, les responsables syndicaux demandent aux négociants de s'engager dans des contrats pluriannuels. « Nous avons été longtemps dans le rapport de force. Aujourd'hui, nous arrivons à partager une analyse des marchés. Il y a davantage de confiance entre nous, c'est un bon moment pour avancer ensemble », affirme-t-il.

Il faut dire que la campagne 2016, marquée par la forte progression des importations espagnoles, a provoqué une prise de conscience côté production. Après plusieurs années de hausse, les cours des IGP et des vins sans IG se sont repliés. « Quand les prix grimpent, c'est la porte ouverte aux importations. Nous devons stabiliser les cours, à un niveau qui reste suffisant pour assurer un revenu aux vignerons. Cela redonnera de la visibilité à toute la filière et contribuera à relancer l'installation de jeunes », affirme Guy Jaubert, président des Vignerons indépendants d'Occitanie. Sur ce thème, Coop de France, les Vignerons indépendants et l'ODG Pays d'Oc sont sur la même longueur d'onde. Les trois organisations planchent depuis plusieurs mois sur la contractualisation.

À Inter Oc, un nouveau contrat interprofessionnel est prêt. « Jusqu'à présent, nous avions un contrat triennal avec un engagement sur le volume. Notre nouveau contrat comporte également un prix de départ, négocié librement entre les deux parties, avec un indice de révision calé sur la hausse des coûts, ainsi qu'une fourchette qui encadre les fluctuations de prix pour les années suivantes », détaille Florence Barthès, directrice d'Inter Oc.

Le conseil d'administration de l'interprofession a voté ce contrat en décembre. Il doit encore être validé par l'assemblée générale d'Inter Oc en janvier, puis étendu par le gouvernement.

« Les négociants veulent sécuriser leur approvisionnement. Nos membres se sont fixé l'objectif d'utiliser ce contrat pour 50 % de leurs achats », assure Florence Barthès. Castel et Grands Chais de France ont déjà pris des engagements de prix pour trois ans avec des coopératives, dans des avenants privés adossés à l'ancien contrat interprofessionnel. « En décembre, cela concernait 500 000 hl », précise Florence Barthès.

Des partenariats existent depuis longtemps dans les appellations et les autres IGP, même s'ils sont rarement écrits. « Ils représentent près d'un tiers des volumes échangés en vrac », estime Jérôme Villaret, directeur du Conseil interprofessionnel des vins du Languedoc (CIVL). Cette interprofession prépare elle aussi un modèle de contrat avec des engagements de prix. « C'est le bon moment pour franchir cette étape. La demande des négociants augmente pour le haut de gamme. Par ailleurs, les ODG ont rétabli un équilibre entre la production et les sorties. Dans ce contexte stabilisé, le négoce peut prendre des engagements de prix tenables à moyen terme », analyse-t-il.

L'objectif reste de continuer à monter en gamme, en revalorisant progressivement et durablement les prix. Des partenariats montrent que c'est possible ! « Depuis cinq ans, nous avons un contrat à l'export avec les Grands Chais de France pour nos vins en appellation Fitou. Ce négoce a su développer les ventes et redistribuer ensuite de la valeur ajoutée. Nous avons alors décidé de lui confier aussi la vente de nos vins dans la grande distribution en France », explique Vincent Llasera, président de la cave Mont Tauch, à Tuchan, dans l'Aude.

Ce nouveau contrat de neuf ans comporte des engagements de prix avec une hausse sur les trois premières années, puis un prix à négocier les années suivantes, avec un minimum garanti. La coopérative, qui avait voulu prendre sa commercialisation en main, revient au vrac. « Nous ne gardons que la vente en bouteilles au caveau et en CHR. Ce partenariat nous met à l'abri des variations de prix. Nous savons combien nous pourrons payer nos adhérents. »

À Pézenas, dans l'Hérault, c'est l'ODG de l'appellation Languedoc Pézenas qui a conclu un partenariat avec les Domaines Paul Mas, à Montagnac. « Les caves intéressées envoient des échantillons à ce négociant-vigneron, qui sélectionne les vins, les assemble et les élève pour les vendre sous sa marque Côté Mas », souligne Jacques Bilhac, président de l'ODG. Le prix d'achat est de 250 €/hl. « Ce négociant possède une force de vente et de communication que nous n'avons pas. Il nous aide à gagner en notoriété », justifie-t-il.

Si ces partenariats sur le vrac sont porteurs, il n'est pas question de tout contractualiser pour autant. « Nous devons garder des volumes pour de nouveaux acheteurs ou de nouveaux marchés », estime Ludovic Roux. Les négociants ont, eux aussi, besoin de réaliser des achats ponctuels pour ajuster leur approvisionnement.

« Les relations entre la production et le négoce restent dépendantes de la conjoncture. En 2016, elles se sont compliquées. La GD s'est tournée vers l'Espagne. Des vins en entrée de gamme n'ont plus trouvé preneur, ce qui a pesé sur le marché », observe Louis Servat, courtier à Gruissan, dans l'Aude.

Après la petite récolte en Espagne, les cours remontent là-bas, ce qui réduit la concurrence. « Nous devons en profiter pour contractualiser aussi sur les entrées de gamme afin de stabiliser la filière dans son ensemble », affirme Ludovic Roux. Les débouchés bien valorisés - en appellation ou IGP - ne représentent que 7 à 8 Mhl alors que la production moyenne se situe entre 11 et 12 Mhl. « Nous avons besoin de reconquérir des parts de marché sur tous les segments pour préserver le vignoble à son niveau actuel. »

Le Point de vue de

Patrick Chabrier, domaine Chabrier, 146 ha à Bourdic. 75 % en vrac.

SELON VOUS, LES RAPPORTS ENTRE PRODUCTION ET NÉGOCE ONT-ILS CHANGÉ ?

«Oui. Les négociants se rapprochent de la production et sont plus soucieux d'assurer leur approvisionnement. Depuis vingt ans, j'ai des partenariats informels en IGP Pays d'Oc avec trois acheteurs pour des qualités bien définies. Avec eux, je n'ai pas besoin de signer de contrat car nous travaillons en confiance. Ils m'achètent 50 à 60 % de mes volumes à des prix variant peu. Mais si la contractualisation pluriannuelle se développe, cela stabilisera plus largement les cours dans la filière. »

Le Point de vue de

Marc Robert, président de la coop Alma Cersius, à Cers. 75 000 hl, 65 % en vrac.

SELON VOUS, LES RAPPORTS ENTRE PRODUCTION ET NÉGOCE ONT-ILS CHANGÉ ?

«Oui. La filière a besoin de prix stables. En 2015, les cours ont trop grimpé, et les négociants ont perdu des marchés. Dans notre cave, nous travaillons déjà en partenariat sur des qualités ciblées en IGP Pays d'Oc. Nous nous connaissons mieux avec les négociants grâce au travail commun au sein d'Inter Oc. Le contexte est favorable pour développer la contractualisation et regagner des parts de marché. Si nous y arrivons, ce sera un tournant dans l'histoire du Languedoc ! Et cela enverra un signal positif aux jeunes prêts à s'installer. »

Le Point de vue de

Bernard Pitié, directeur de la coopérative Néotera, à Ouveillan. 120 000 hl, 90 % de vrac.

SELON VOUS, LES RAPPORTS ENTRE PRODUCTION ET NÉGOCE ONT-ILS CHANGÉ ?

«Oui. Nous avons deux partenariats en IGP Pays d'Oc et un en IGP Coteaux de Narbonne, qui représentent 50 % de nos volumes. Avec ces négociants, nous sentons une envie de construire ensemble. Ils se rapprochent et nous informent davantage sur leur demande, mais aussi leurs préoccupations et stratégie. Cela nous aide à adapter notre offre. Ils ont commencé à s'engager sur des prix dans la durée. Il faudrait que cette contractualisation se développe pour tous les segments. Nous aurions alors l'avenir devant nous en Languedoc ! »

Le Point de vue de

Laurent Lechat, directeur de la maison Jeanjean, à Saint-Félix-de-Lodez (Hérault)

SELON VOUS, LES RAPPORTS ENTRE PRODUCTION ET NÉGOCE ONT-ILS CHANGÉ ?

«Oui. Cette année, ces relations sont fermes ! Les caves veulent obtenir une revalorisation des prix pour compenser la petite récolte. C'est légitime. Mais encore faut-il faire accepter des hausses à nos clients. Il faut penser à la pérennité des débouchés. Nous avons déjà des engagements de prix avec nos caves partenaires. Et nous sommes prêts à passer des contrats avec les caves avec lesquelles nous travaillons de façon régulière, en nous engageant sur des prix qui permettraient de regagner des parts de marché. »

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