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DOSSIER - VITICULTURE, NÉGOCEDES RELATIONS APAISÉES

COGNAC La course à la contractualisation

ALEXANDRE ABELLAN - La vigne - n°304 - janvier 2018 - page 36

Viticulteurs et négociants affirment que tout le monde y trouve son compte. Mais, en coulisses, certains critiquent vivement le négoce.
FLORENT MORILLON, directeur       des approvisionnements       de Hennessy, a proposé       un contrat pluriannuel      à ses 1 600 viticulteurs. HENNESSY

FLORENT MORILLON, directeur des approvisionnements de Hennessy, a proposé un contrat pluriannuel à ses 1 600 viticulteurs. HENNESSY

LE BESOIN EN EAUX-DE-VIE inspire la stratégie       des géants du cognac.  J.-M. NOSSANT

LE BESOIN EN EAUX-DE-VIE inspire la stratégie des géants du cognac. J.-M. NOSSANT

À Cognac, « la contractualisation est une pratique très ancienne », se félicite Patrick Raguenaud, le nouveau président négociant du Bureau national interprofessionnel du Cognac (Bnic). Les contrats écrits concernent « au moins 70 % des volumes de cognac », estime Jean-Bernard de Larquier, l'ancien président viticulteur du Bnic. Tandis que Patrice Pinet, président du Syndicat des maisons de Cognac (SMC), évalue ce poids à 80 %. « S'il y a une région de France qui est convaincue par la contractualisation, c'est Cognac ! », s'enthousiasme-t-il.

« L'homme fait la parole, la parole fait l'homme », aime-t-on répéter dans les maisons de négoce. Alors que Cognac s'est bâti sur des accords oraux, les écrits se seraient déployés durant les années 1970-1980. « Au départ, une partie de la viticulture ne souhaitait pas signer des contrats, de peur d'être trop liée aux maisons. Mais les contrats n'empêchent pas la négociation et la discussion. Tout le monde y voit son intérêt. Même ceux qui étaient réticents y sont venus », assure Patrice Pinet, PDG de Courvoisier (Beam Suntory).

Cette tendance est d'autant plus lourde qu'elle est portée par le leader charentais : Hennessy (groupe LVMH). Pesant pour la moitié des volumes de cognac, l'entreprise développe depuis 2013 des contrats de cinq ans pour ses livreurs exclusifs, et de trois ans pour les « multimaisons ». Typique des pratiques locales, leur durée est glissante, avec un préavis de rupture équivalent à la durée du contrat. Le producteur s'engage à livrer un rendement à l'hectare, le négociant à l'acheter.

« À la fin 2017, nous avons proposé un contrat pluriannuel aux 1 600 viticulteurs avec lesquels nous travaillons », se félicite Florent Morillon, le directeur des approvisionnements de Hennessy. S'il reconnaît que la stratégie résulte d'un besoin en eaux-de-vie, il souligne qu'il s'agit aussi d'accompagner la production dans une évolution nécessaire. « Il faut renouveler le vignoble et prendre le tournant environnemental. Notre contrat est le seul à imposer l'arrêt du désherbage en plein », souligne-t-il.

Bien que le contrat soit la règle, les négociants se flattent tous de proposer une base différente à leurs fournisseurs. D'autant plus que s'y greffent les sociétés d'intérêt collectif agricole, liées aux grandes maisons. Ces Sica servent d'intermédiaires entre elles et les producteurs. Elles proposent aux apporteurs récurrents de devenir associés afin de bénéficier d'acomptes sur le paiement des jeunes eaux-de-vie et de plus-values au terme de l'élevage.

L'Union générale des viticulteurs de Cognac (UGVC) pousse ses adhérents à la contractualisation. « Un contrat offre au viticulteur une visibilité sur l'avenir de son exploitation. Les cours sont stables, avec de belles augmentations cette année, sans que cela soit dû aux aléas climatiques », souligne Alexandre Imbert, le directeur du syndicat.

Bien que le discours ambiant tresse des lauriers à la contractualisation charentaise, les critiques existent, mais sous couvert d'anonymat. « Les cours n'augmentent que très peu. Les maisons ne les ajustent qu'en réponse à la concurrence, soupire un bouilleur de cru de Grande Champagne. Les contrats sont à sens unique. Après la grêle de 2016, des producteurs n'ont pu honorer les leurs qu'à moitié. Les acheteurs ont reconduit ces demi-volumes en 2017... pour ceux qui fournissent plusieurs maisons. Il s'agit de les pousser à l'apport exclusif ou vers un distillateur agréé. »

En tendant l'oreille, on entend également que cette course à la contractualisation est alimentée par la volonté des uns de « siphonner » les fournisseurs de leurs concurrents. « Aujourd'hui, Hennessy chasse sur les terres de Martell. Le premier veut toujours être plus leader », analyse un autre bouilleur de cru.

Résultat de cette course, le marché libre se réduit à peau de chagrin. Sauf dans les crus dits périphériques : les Bons Bois et Bois Ordinaires. « Ce sont les parents pauvres du cognac. Le négoce n'a pas intérêt à y développer la contractualisation. C'est une zone tampon où il s'approvisionne en cas de pépin dans les crus principaux », tranche un oenologue charentais.

« Le marché libre demeure, nuance un bouilleur de cru. La contractualisation sécurise un fonds de roulement et donne de la visibilité aux exploitations, alors que les ventes libres reviennent à jouer en Bourse : soit on a les reins assez solides pour attendre que la demande se tende - comme cette campagne où les prix montent - soit on a besoin de trésorerie et on vend comme on peut. »

Les contrats apportent de la stabilité à tous les opérateurs, argumente Patrice Pinet : « Les contrats lissent les pics et les creux. Lors des années tendues, le système permet au négoce de s'assurer qu'il n'y a pas de mouvements erratiques des prix, qui sont difficiles à répercuter sur les marchés. Idem pour les viticulteurs lors des années excédentaires. »

Cette organisation, atypique en France, témoigne aussi d'une séparation historique et croissante des rôles entre les producteurs et le négoce. Les premiers commercialisent très peu et sont obligés d'investir toujours plus pour être productifs et dans les normes. Quant aux seconds, ils possèdent très peu de vigne par rapport à leurs besoins. Ils doivent donc investir dans leurs marques. Pour cela, ils s'assurent qu'elles reposent sur un approvisionnement solide.

Le Point de vue de

Philippe Joly,Clos Joly, à Jarnac, 66 ha, tout sous contrat

LES RAPPORTS ENTRE PRODUCTION ET NÉGOCE ONT-ILS CHANGÉ ?

«Toutes mes surfaces sont contractualisées à 9,5 hectolitres d'alcool pur par hectare sur trois ans glissants. Je travaille pour trois maisons et je compte continuer. C'est compliqué de quitter des gens avec qui l'on a de bonnes relations, qui deviennent amicales au fil du temps.Je maintiens un tiers d'apport pour chaque maison. Ce n'est pas compliqué au vignoble, mais c'est lors de la distillation qu'il faut gérer les choses. Hennessy veut des lies fines. Martell n'en veut surtout pas ! Et Courvoisier est entre les deux. Mais, dans leurs fondamentaux, les contrats ne sont pas différents. »

Le Point de vue de

Mélina Py, directrice des achats chez Martell

LES RAPPORTS ENTRE PRODUCTION ET NÉGOCE ONT-ILS CHANGÉ ?

«En 2010, nous avons mis en place des contrats de trois ans glissants, renouvelés tacitement tous les ans. Auparavant, les contrats pluriannuels étaient de durée fixe et renouvelés à échéance. Puis nous avons enchaîné avec les contrats de cinq et sept ans que nous proposons uniquement à nos apporteurs exclusifs. Ils doivent en plus être certifiés HQSE s'agissant des contrats de sept ans. Nous avons 1 200 apporteurs sous contrat. Cela représente une part très importante de nos approvisionnements et un engagement fort de notre part car nous sommes tenus d'acheter les volumes figurant dans les contrats. »

L'essentiel de l'offre

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