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DOSSIER - VITICULTURE, NÉGOCEDES RELATIONS APAISÉES

BOURGOGNE De nouvelles moeurs

CÉDRIC MICHELIN - La vigne - n°304 - janvier 2018 - page 42

Jadis, les familles de Beaune avaient l'habitude de se marier avec celles de Nuits pour parfaire leur carte de vins et répartir les risques climatiques et économiques. Aujourd'hui, il n'est plus question d'alliances matrimoniales, mais commerciales.
PORTÉS PAR UNE DEMANDE SOUTENUE, la production et le négoce travaillent de concert.  C. THIRIET

PORTÉS PAR UNE DEMANDE SOUTENUE, la production et le négoce travaillent de concert. C. THIRIET

Depuis une dizaine d'années, de plus en plus de vignerons prennent le statut de négociants et achètent des vins ou de la vendange à des confrères. Les Douanes estiment qu'ils sont 400 en Bourgogne sur un total d'environ 4 000 producteurs. Ce mouvement s'observe surtout dans les villages réputés de Côte-d'Or. Il répond au besoin ou à la volonté de ces vignerons d'étoffer leur gamme ou d'assurer leur production après plusieurs années de petites récoltes.

À Magny-lès-Villers, Claire Naudin a dû prendre une carte de négociant : « Mon cas est simple : j'ai gelé à 70 % en 2016 alors que j'avais perdu quasiment 50 % de ma récolte en 2015 à cause de la sécheresse. En 2016, j'ai pu acheter du raisin en dehors de la Bourgogne que j'ai vinifié en vin de France. Cela m'a permis d'avoir une entrée de gamme pour mes clients. J'ai rempli trois cuves. C'était bon pour le moral car c'est dur de travailler dans une cuverie presque vide. »

Une initiative appréciée par sa clientèle. « Ils tiennent à ces deux nouvelles cuvées qui me donnent envie de rêver, de vinifier de la mondeuse ou du grenache », explique cette vigneronne, cogérante du domaine Naudin-Ferrand

Ces nouveaux négociants cherchent davantage la qualité que la quantité. « Mais en les additionnant, leurs achats finissent par compter », fait remarquer un acteur important du marché. Ils interviennent surtout sur les AOC les plus renommées. « S'il faut payer 4 000 euros au lieu de 3 000 pour emporter une pièce de pommard, ils le font, au risque de déstabiliser le marché », note notre interlocuteur. En revanche, ils se portent rarement acquéreurs d'appellations régionales. Sur ce terrain, les acheteurs restent les négociants traditionnels qui entretiennent des rapports du même tonneau avec les producteurs. Les contrats signés sans qu'un prix y figure sont encore monnaie courante pour les ventes de moûts ou de raisins ainsi que pour les premières ventes de vins en début de campagne. Ces échanges « se concluent avec une simple tape dans la main », signale un courtier. L'acheteur ne connaît le prix qu'il obtiendra que vers le mois de mars, lorsque cette information finit par apparaître dans les contrats et que l'interprofession peut établir un cours.

Les élaborateurs de crémants de Bourgogne veulent sortir de ces usages. Ils tentent de faire signer des contrats pluriannuels à leurs fournisseurs. « Mais c'est difficile », regrette Nathalie Boisset, du groupe Boisset, qui cherche à sécuriser ses approvisionnements, notamment pour sa marque Louis Bouillot. En face d'elle, les vignerons sont réticents à s'engager pour une longue durée. Les marchés étant en croissance et les prix en hausse, ils veulent être sûrs d'en profiter.

Après la très petite récolte 2016, les négociants se sont pressés dans les caves pour obtenir des vins. Ils s'y sont souvent cassé les dents, faute de disponibilités. La bonne récolte 2017 change-t-elle la donne ? Pas encore. « En bourgogne rouge, les marchés se sont à nouveau faits rapidement et sur une base de prix identique à celle de l'an dernier, à savoir 910 €/pièce [399 €/hl, NDLR] », se réjouit Gérard Maître, président du Syndicat des bourgognes. Fin décembre, il n'y avait pratiquement plus de vins à la vente.

Il en est de même à Chablis, qui a subi deux gels de printemps consécutifs. « Nombre de vignerons sont dans une situation tendue », rappelle Vincent Laroche, président régional des Vignerons indépendants de Bourgogne. La demande des marchés reste toujours plus forte que l'offre.

Dans le Mâconnais, la tension est moindre. « Les courtiers viennent échantillonner normalement. Mais les acheteurs ne signent pas. Ils nous disent qu'ils vont revenir. Cela va se décanter début 2018 », espère Jérôme Chevalier, président de l'Union des producteurs de vins Mâcon (UPVM). Il faut dire que, cet automne, les négociants ont acheté davantage de moûts et de raisins blancs que d'habitude. Ce qui décale la vente des vins.

Face à la difficulté d'approvisionner les marchés, production et négoce ont le sentiment d'être dans le même bateau, portés par une demande soutenue. « J'ai le sentiment que la fracture négoce-viticulture n'existe plus vraiment. Chacun comprend mieux les attentes de l'autre », estime Nathalie Boisset, dont l'entreprise exploite plusieurs domaines.

« Nous avons tous besoin les uns des autres. Mais si les stocks se reconstituent après quatre ou cinq grosses récoltes, ce sera plus tendu », concluent - lucides - les viticulteurs comme les négociants, sans bien savoir d'ailleurs au nom de quelle famille ou métier ils s'expriment.

Le Point de vue de

Gaec des Murgers à Saint-Désert (71). 22,8 ha dont 75 % vendu en vrac

SELON VOUS, LES RAPPORTS ENTRE PRODUCTION ET NÉGOCE ONT-ILS CHANGÉ ?

«Nous ne voyons pas de changement avec les négociants. Nous travaillons toujours avec deux belles maisons beaunoises - à presque 50/50 - en passant par deux courtiers. C'est un partenariat incluant un suivi au vignoble du début de la maturité jusqu'à la fin des vinifications. On travaille pour valoriser les vins, on déguste ensemble et on donne nos ressentis. On explique la campagne, et eux, les marchés. C'est très intéressant. Ça se passe dans de bonnes conditions et parfois même autour d'un repas. »

Le Point de vue de

Julien Besse,domaine à Péronne (71). 15 ha, 100 % de vente en moûts.

SELON VOUS, LES RAPPORTS ENTRE PRODUCTION ET NÉGOCE ONT-ILS CHANGÉ ?

«C'est toujours pareil. Je travaille avec deux négociants en passant par le même courtier. Ils ne me donnent pas de direction à la vigne, mais exigent juste un degré minimum. Les courtiers viennent ramasser les moûts et je suis payé sur la base des cours moyens du BIVB, par tiers (janvier, avril, juillet) et toujours dans les temps. Jusqu'à maintenant, je n'ai jamais eu de souci. Ma production croît et j'ai besoin d'assurer. Je pense garder une partie pour le négoce, pour avoir de la trésorerie rapidement, et développer la bouteille. »

Le Point de vue de

Anne Parent,directrice du domaine Parent (10 ha) et de la maison Jacques Parent, à Pommard (Côte-d'Or).

SELON VOUS, LES RAPPORTS ENTRE PRODUCTION ET NÉGOCE ONT-ILS CHANGÉ ?

«Nous sommes producteurs, avec une activité de négoce. Nous réalisons 85 % de nos ventes à l'export. Avec la forte demande et les petites récoltes, les prix du vrac grimpent jusqu'à des niveaux très élevés. Il n'y a plus de prix d'amis et la notion de fidélité n'existe plus vraiment. Il faut en tenir compte. Bien que je sois un petit négoce, j'ai adhéré à la FNEB [syndicat du négoce, NDLR]. Je m'y sens à ma place. Avec le prix du foncier qui s'envole, le négoce, c'est la solution pour se développer. »

L'essentiel de l'offre

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