«Chez nous, le négoce fait partie du paysage viticole », affirme Baudoin de Chassey, directeur du CIVJ, l'interprofession des vins du Jura. Tous les contrats, écrits ou oraux, se traitent en direct avec la production. « Ici, pas de courtier ni de mercuriale », assure Philippe Bulabois, viticulteur à Arbois, qui vend une partie de sa production au négoce.
Les achats portent surtout sur des moûts et des raisins, en particulier pour la production de crémant du Jura qui se vendange à la main. Les viticulteurs semblent y trouver leur compte. « Nos vins ont une période d'élevage longue de 18 mois minimum pour les crémants, jusqu'à sept ans pour les vins jaunes. Le retour sur investissement est long. En vendant au négoce, les producteurs se font plus vite de la trésorerie », précise Arnaud Van der Voorde, responsable de la Maison du vigneron, principal négociant de la région qui n'achète que du raisin.
Pour simplifier la traçabilité et l'acheminement de la vendange jusqu'à son chai, cette maison fournit les caisses aux viticulteurs et se charge du transport. « Ce service contribue aussi au climat serein qui règne avec la production », précise le responsable. Mieux encore, un syndicat d'apporteurs à la Maison du vigneron a été créé pour faciliter les discussions entre les deux parties. « Nous envisageons d'ailleurs d'effectuer des achats groupés avec le syndicat », indique Christian Melet, viticulteur à Mesnay, qui vend une partie de sa récolte à ce négociant.
Cette filiale des Grands Chais de France produit surtout des crémants avec un million de cols vendus par an. Elle propose aux viticulteurs des contrats de trois, six ou neuf ans avec une prime de fidélité croissante selon la durée de l'engagement.
Chez André Bonnot et à la Cave de la Reine Jeanne, les achats s'effectuent via des contrats annuels. « Nous ne vinifions que des vins tranquilles. Nous achetons peu de vrac, uniquement des rouges et du macvin », précise Thierry Bonnot, de la maison André Bonnot.
Côté prix, les producteurs sont en position de force. Les vins du Jura ont la cote. Leurs ventes à l'export progressent. Depuis 2013, la Maison du vigneron a augmenté son prix moyen d'achat de raisin au kilo de 13 %. Ces hausses concernent surtout les raisins pour la production de crémant et de vin jaune Château-Chalon. « Et avec les faibles récoltes de ces dernières années, les cours ne peuvent être qu'à la hausse », indique Philippe Bulabois. Ces niveaux vont-ils se maintenir en cas de bonne récolte 2018 ? « À la Maison du vigneron, nous nous y sommes déjà engagés », assure Arnaud Van der Voorde.
Pourtant, le négoce craint une baisse du nombre de ses fournisseurs. « Les viticulteurs vieillissent. Il faudra trouver des remplaçants à ceux qui partiront à la retraite dans les années à venir », avertit Arnaud Van der Voorde.
Surtout qu'un nouvel acteur va revenir sur le marché : la maison Henri Maire qui n'achète presque plus de récolte depuis le début des années 2000. « Depuis le rachat par Boisset, en 2015, nous nous sommes concentrés sur la production du domaine. Nous devrions repasser aux achats de vins d'ici deux ou trois ans », assure Denis de la Bourdonnaye, responsable de la maison Henri Maire.
Le Point de vue de
LES RAPPORTS ENTRE PRODUCTION ET NÉGOCE ONT-ILS CHANGÉ ?«J'ai toujours eu de bonnes relations avec la Maison du Vigneron. J'ai un interlocuteur privilégié que je peux joindre rapidement si besoin et nos discussions sont constructives. Nous avons un objectif commun : répondre aux exigences de l'offre et de la demande. Pour ma part, la vente au négoce me permet de dégager de la trésorerie rapidement, contrairement à mes vins qui ont un long temps d'élevage. Pour faciliter la gestion de mes stocks de vins, je préfère travailler avec des contrats courts (trois ans). »
Le Point de vue de
LES RAPPORTS ENTRE PRODUCTION ET NÉGOCE ONT-ILS CHANGÉ ?«Dans le Jura, il n'y a jamais eu de tensions particulières entre les producteurs et le négoce, la confiance règne. De mon côté, je livre chaque année environ 150 hl de moût au négoce. Je passe des contrats annuels, oraux ou écrits. En général, nous convenons d'un prix en juillet. Je reste donc libre de modifier les surfaces engagées chaque année selon mes stocks. En cas de mauvaise récolte, je fournis toujours un peu de jus à mes négociants (Domaine Rickaert, André Bonnot et parfois avec la Cave de la Reine Jeanne). Je ne les lâcherais pas du jour au lendemain. »