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DOSSIER - VITICULTURE, NÉGOCEDES RELATIONS APAISÉES

ANJOU-SAUMUR Un business apaisé

PATRICK TOUCHAIS - La vigne - n°304 - janvier 2018 - page 53

L'équilibre entre l'offre et la demande apaise les relations entre production et négoce. Ce dernier cherche à s'approvisionner de plus en plus en moûts et en raisins.Pour convaincre les producteurs, il leur propose des contrats triennaux.
LES SORTIES DE CHAIS de cabernet-d'anjou ont atteint un record durant la dernière campagne. C. WATIER

LES SORTIES DE CHAIS de cabernet-d'anjou ont atteint un record durant la dernière campagne. C. WATIER

Un clash comme l'Anjou-Saumur en connaît peu. Nous sommes à l'été 2009, les viticulteurs et les négociants sont réunis en commission paritaire. Au menu des discussions : le prix et le volume de crémant de Loire pour la campagne à venir. Le négoce propose des prix jugés bien trop bas par les vignerons. Ceux-ci se lèvent et claquent la porte. « Inutile de discuter », « manque de respect »... Les mots fusent. L'épisode a marqué les esprits ; certains en parlent encore car, dans cette région tempérée - la douceur angevine n'est pas qu'une affaire de climat -, on n'a pas l'habitude des coups de théâtre. Les relations sont plutôt sereines.

« C'est une évidence, on a besoin les uns des autres, rappelle Bernard Jacob, directeur général d'Ackerman et président de l'UMVL, le syndicat des négociants. Il y a une maturité dans la relation entre la viticulture et le négoce. »

Depuis cet épisode, la donne a changé. À la suite d'un rappel à l'ordre des Fraudes, la production et le négoce bannissent toute discussion des prix lors de leurs rencontres afin de ne pas être suspectés d'entente. Les commissions paritaires autour des appellations principales de l'Anjou-Saumur que sont, en rosés, Cabernet-d'Anjou et Rosé d'Anjou et, en bulles, Saumur et Crémant de Loire, continuent de se réunir tous les ans durant l'été. Mais elles portent désormais le nom de Mep (Commission marchés, économie et prospectives).

« On ne se focalise plus sur les prix. Cela nous a permis de prendre de la hauteur. Nos réunions sont moins frontales, sans doute. On essaie de travailler sur l'avenir de nos appellations, résume Laurent Ménestreau, président de la Fédération viticole de l'Anjou. Toutefois, il faut être lucide. Les rapports entre la production et le négoce, ce n'est pas le monde des Bisounours, c'est du business. Certains opérateurs veulent encore gagner de la valeur sur le dos des vignerons. Dès qu'il y a un peu de stock, ils ont la tentation de baisser les prix. »

Exemple très concret avec le cabernet-d'anjou, dont il restait un peu de stock fin juillet. Immédiatement, des opérateurs ont voulu baisser les prix, provoquant des débats au sein même du négoce où tous n'étaient pas d'accord. Une fois les premières bennes rentrées et la faiblesse des rendements avérée, les cours se sont réinstallés dans les pas de l'année précédente. « Ça fonctionne pas mal, parce qu'on maintient un équilibre entre l'offre et la demande », poursuit le vigneron saumurois. Les sorties de chais de cabernet-d'anjou ont atteint un record durant la dernière campagne, avec plus de 310 000 hl. Le crémant de Loire continue à bien se porter, avec 15,8 millions de cols vendus en France et à l'export en 2016, un record.

« La production doit réfléchir à des régulations pour maintenir ces équilibres. Par le rendement annuel ? Le VCI ? L'affectation parcellaire ? Il faudra mettre en place un modèle à la champenoise », poursuit Laurent Ménestreau.

Dans ce marché parfois tendu, les négociants sont tous en quête de produits. En particulier de moûts et de raisins. C'est sur ce segment qu'ils ont lancé le plus de contrats pluriannuels qui durent généralement trois ans et portent sur une surface. Les viticulteurs y souscrivent de plus en plus. Si bien qu'en 2017, ils ont livré 105 000 hl de moûts et raisins toutes appellations confondues, soit 12 % de plus qu'en 2016. Les achats de vin fini sont beaucoup moins contractualisés, même si bon nombre de vignerons travaillent régulièrement avec les mêmes négociants par tacite reconduction. Pour certains producteurs, le volume de vin qu'ils mettent en vente en vrac est une variable d'ajustement en cours de campagne.

« Malgré les aléas climatiques, les vignerons ont joué le jeu et respecté les contrats de livraison en moûts et en raisins », se réjouit Bernard Jacob. Selon l'interprofession, qui a cadré ces accords, près de 25 maisons du Val de Loire proposent des contrats pluriannuels. « Dans notre entreprise, on contractualise les deux tiers de nos achats de moûts et de vins », souligne le directeur général d'Ackerman.

Des contrats qui ne règlent pas la question du prix, car ils n'en font pas mention. Ceux-ci sont négociés un peu avant la récolte. « En période de hausse, des viticulteurs refuseraient de nous livrer leur récolte s'ils devaient respecter des prix fixés à l'avance dans un contrat pluriannuel, souligne le négociant. C'est sans doute la fragilité du système. Il y a toujours un risque d'instabilité des prix dans un sens ou dans l'autre, mais c'est le marché... »

Aujourd'hui, l'heure est à la stabilité. « Le négoce ne souhaite pas baisser les prix », insiste Bernard Jacob. Ça tombe bien, la viticulture non plus !

Le Point de vue de

Laurent Gautier,Domaine des Vignes Biche,à Vaudelnay. 43 ha, toutau négoce.

SELON VOUS, LES RAPPORTS ENTRE PRODUCTION ET NÉGOCE ONT-ILS CHANGÉ ?

«Je vends tout au négoce depuis vingt-cinq ans. Ce qui a changé, c'est la contractualisation. Je me suis engagé récemment sur une surface en Cabernet d'Anjou et Crémant de Loire, deux appellations que recherche le négoce. Ça me sécurise. Je vends l'essentiel des autres AOC au même négociant depuis vingt ans sur un accord oral. On discute les prix chaque année en essayant de les faire augmenter un peu. Ça fonctionne plutôt bien, mais c'est vrai qu'en ce moment le négoce cherche du vin. »

Le Point de vue de

Jean-Bernard Chauvin,Domaine deClayou, Saint-Lambert-du-Lattay. 34 ha, 6 ha au négoce.

SELON VOUS, LES RAPPORTS ENTRE PRODUCTION ET NÉGOCE ONT-ILS CHANGÉ ?

«Mes relations avec le négoce sont stables. Quand on travaille régulièrement avec la même maison, une fidélité s'installe. Depuis dix récoltes environ, je vends - quand je ne gèle pas - quelque 350 hl de moût en rosé d'Anjou et crémant de Loire au même négociant. On n'a rien signé, mais on sait l'un et l'autre qu'on travaillera ensemble. On se met d'accord sur le volume en juillet et sur une fourchette de prix qu'on affine en septembre. C'est un contrat pluriannuel oral. »

Le Point de vue de

Laurent Bourdin,AlbertBesombes-Moc-Baril (Caves dela Loire), achète 135 000 hl.

SELON VOUS, LES RAPPORTS ENTRE PRODUCTION ET NÉGOCE ONT-ILS CHANGÉ ?

«La grande évolution, c'est la contractualisation. Notre maison propose des contrats de trois ans renouvelables tacitement dans lesquels les vignerons s'engagent à nous livrer une surface. Nous cherchons surtout du Cabernet d'Anjou. Nous achetons des moûts pour pouvoir proposer des lots homogènes et qualitatifs à nos clients. Ensuite,on ajuste en vin fini selon nos besoins. Autre point positif : les prix sont équilibrés. Ils ne jouent pas au yo-yo. »

L'essentiel de l'offre

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