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DOSSIER - PRODUCTEURS-NÉGOCIANTS : La tension monte - Enquête dans les régions

ANJOU-SAUMUR « Ici, on se parle »

Patrick Touchais - La vigne - n°216 - janvier 2010 - page 58

Le négoce commercialise l'essentiel des rosés et des bulles d'Anjou-Saumur. Les relations avec les producteurs sont rythmées par des rencontres régulières. Parfois tendues, parfois apaisées.

Deux, trois ou quatre fois par an, selon les appellations, vignerons et négociants d'Anjou-Saumur se mettent autour d'une table. Ces réunions ne concernent que les appellations majoritairement commercialisées par le négoce : Cabernet-d'Anjou, Rosé d'Anjou, Saumur Mousseux et Crémant de Loire. Pour cette dernière, il s'agit de rencontres régionales, puisque la Touraine voisine produit un tiers de l'appellation.

On discute volumes, marchés et prix

Ces commissions paritaires sont organisées sous l'égide de l'interprofession. On y discute volumes, marchés et prix. « La viticulture demande un prix minimum, qu'elle recommande aux producteurs de suivre. Le négoce annonce le sien. Et le marché fait le reste », résume un vigneron aguerri. Illustration parfaite cette année, avec une demande de la production à 148 €/hl pour le cabernet-d'anjou, une proposition du négoce à 145 €/hl et un prix moyen enregistré par l'interprofession légèrement supérieur à 150 €/hl, de septembre à novembre.

« Les problèmes sont parfois dûs à un manque d'échanges entre négoce et production. Il vaut toujours mieux s'expliquer autour d'une table que de s'envoyer des lettres recommandées. Ici, on se parle », estime Olivier Lecomte, président des producteurs de rosés.

La dernière rencontre concernant les appellations de rosés s'est déroulée mi-décembre. Négoce et production attendaient avec grand intérêt les premières données fournies par la Fédération viticole de l'Anjou sur les volumes de la récolte 2009.

Le millésime 2008 avait été plombé par un gel de printemps, provoquant des baisses de sorties de 11 % en cabernet-d'anjou et une hausse des cours de 20 %, à plus de 155 €/hl.

L'offre est équilibrée

Avec quelque 450 000 hl de rosés annoncés lors de la réunion de mi-décembre, le millésime 2009 ne devrait pas reposer les mêmes problèmes. L'offre est équilibrée. Les cours restent fermes. La situation économique des rosés angevins semble plutôt sereine. On est loin des années 1990 où ils s'achetaient à bas prix et où les vignerons manifestaient bruyamment dans les réunions ou à la porte des négociants.

Depuis cette époque, plusieurs éléments ont modifié la donne dans les relations entre négoce et production. Les ventes de rosés ont pris des couleurs au plan national. L'Anjou et ses rosés demi-secs ont su prendre leur part du gâteau. De même, les bulles de Loire ont su emboîter le pas aux champagnes. Parallèlement, le niveau qualitatif de ces vins a fortement progressé.

Troisième élément : les dernières récoltes, dont celle de 2008 frappée par le gel, ont été peu abondantes. Elles ont provoqué un déséquilibre à l'avantage des vignerons entre l'offre et la demande.

Enfin, la venue des Grands chai s de France et de Castel a bousculé les vieilles pratiques. Dès son arrivée dans le Val de Loire en 2007, via le rachat de Sautejeau et Friedrich, Castel s'est positionné sur le créneau du cabernet-d'anjou en créant la marque Plessis-Duval, avec l'objectif d'être leader sur ce produit en grande distribution. A l'en croire, il a réussi son pari. Le leader français du vin annonce deux millions de cols vendus en 2009, et compte bien ne pas en rester là. Il faut donc du volume.

« Une relation adulte »

En bulles, la situation est parfois plus tendue. Depuis des années, les producteurs estiment que leurs moûts ou leurs vins de base ne sont pas achetés assez cher. Après une année 2008 déficitaire en volume qui a provoqué une hausse des cours, les négociants ont laissé entendre durant l'été qu'ils achèteraient à la baisse.

Bernard Jacob, directeur général d'Ackerman, premier opérateur de vins effervescents de Loire (saumur mousseux et crémant) reconnaît qu'il y a eu « des tensions provoquées par la faible récolte de 2008 ». Pour autant, avec un peu de recul, et sur le long terme, il juge la situation plutôt apaisée. « C'est une relation adulte. Dans l'ensemble, on travaille sereinement. »

Point de vue plus tempéré d'Hubert Deffois, président des producteurs de saumur mousseux : « D'une façon générale, c'est une relation amicale, mais plutôt tendue. »

Très tendue même en crémant de Loire, où les viticulteurs ont claqué la porte de la commission paritaire d'été, devant des annonces de prix d'achat par le négoce jugées « indécentes », car inférieures au cours du moment. Finalement, à 150 €/hl en moyenne, les prix pratiqués sur les trois premiers mois de la campagne sont plus ou moins conformes aux attentes des producteurs. Le syndicat avait demandé à ses adhérents de « ne rien vendre en dessous de 150 euros ».

Ces tensions sont aussi le reflet de relations commerciales établies au coup par coup. La contractualisation des volumes entre négoce et production est une affaire récente en Anjou-Saumur. Mais les choses évoluent fortement depuis cinq ans. Des négociants ont la volonté de sécuriser leurs approvisionnements. Parallèlement, des vignerons veulent assurer la vente de leur récolte. Il en résulte un développement conséquent des signatures de contrats pluriannuels, le plus souvent pour trois ans.

En bulles, la région est passée de cinq contrats en 2005 à 233 en 2008, soit un gros tiers du volume. Même chose en rosés, où désormais 27 % des transactions sont effectuées sous contrats par 250 vignerons.

« Des deux côtés, nous avons eu du mal à contractualiser », souligne Olivier Lecomte. « Je reste persuadé que les deux parties ont besoin l'une de l'autre. On est dans le même bateau des appellations. Nous avons intérêt à ramer dans le même sens. »

Le Point de vue de

Laurent Gautier, vigneron sur une quarantaine d'hectares au Vaudelnay (Maine-et-Loire), dans le Saumurois

« Je tiens à rester maître chez moi »

 © P. TOUCHAIS

© P. TOUCHAIS

« Je vends 99 % de ma production au négoce depuis près de vingt ans, essentiellement en vrac, un peu en tiré-bouché. Je fais un peu de moût parce que je manque de cuverie, et aussi pour la trésorerie. Je produis 2 400 hl en moyenne. Sur ce volume, je réalise 1 000 hl de vin de base pour le saumur mousseux, 700 hl de vins rouges, 400 de blancs secs et 300 de rosés. Je limite le nombre d'appellations pour proposer des lots assez importants qui intéressent le négoce. Je vends mes vins à quatre acheteurs régionaux et à un embouteilleur de MDD. J'ai signé un contrat pluriannuel, uniquement sur les vins de base. Pour le reste, je tiens à rester maître chez moi.

Ce n'est pas le négociant qui décide de la date des vendanges ou qui choisit mon œnologue.

Je suis plutôt fidèle dans les affaires. Mais quand le vent est porteur, il m'arrive de changer de client. En 2008, tout le monde cherchait du rosé. Un courtier m'a proposé un contrat plus intéressant que celui que j'allais signer avec mon client habituel. Ce dernier n'a pas voulu s'aligner. Il n'a pas eu le vin.

Lorsqu'on travaille comme moi, il faut bien gérer sa trésorerie pour pouvoir attendre. Je vends toujours mes vins au-dessus de la moyenne des cours. Mes vignes sont enherbées. Je maîtrise les températures de fermentation et de conservation. J'ai une table de tri pour les rouges. Je ne lâche rien sur la qualité. C'est ce que recherche le négoce. »

52 %

Le poids du négoce 52 % des AOC d'Anjou-Saumur sont sortis des chais des négociants en 2008-2008. Et le négoce a commercialisé 60 % du Cabernet d'Anjou, 73 % du Rosé d'Anjou et 79 % du Saumur Mousseux. Ces appellations sont les trois principales en volume (source InterLoire).

Les trois premiers acheteurs

1. Ackerman

2. Besombes (Groupe Loire Propriétés)

3. Castel Loire

Evaluation « La Vigne » d'après les chiffres des entreprises

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :