«Cela fait au moins vingt ans que des densimètres automatiques sont annoncés les uns après les autres, sans être au final diffusés, faute d'être au point », rappelle Vincent Gerbaux, directeur de l'IFV de Beaune. Celui de Systel Électronique sera-t-il le premier à conjurer le sort ? Au dernier Sitevi, Frédéric Escalle, président de cette entreprise, assurait que oui. « Notre densimètre automatique est fiable, ses mesures aussi », affirmait-il. La commercialisation débute cette année.
Lors des dernières vendanges, l'IFV de Beaune l'a testé sur quelques cuves tout au long des fermentations alcooliques. Vincent Gerbaux observe que « les mesures de densité étaient justes, à deux ou trois points prêts ». Mais, par manque de recul, il refuse de se prononcer sur la fiabilité de ce nouveau dispositif. Basée à Cersot, en Bourgogne, Systel Électronique est connue pour ses systèmes de régulation des températures des cuves vendus sous la marque Dionysos. Mais l'entreprise travaille aussi de longue date sur la mesure automatique de la densité. Elle commercialise depuis 2012 un mustimètre automatique, l'appareil qui a préfiguré son densimètre.
À Pommard, le domaine Coste-Caumartin a testé cette innovation et contribué à sa mise au point. À ce titre, il a bénéficié de conditions avantageuses pour son achat. Installé en 2014, Benoît Sordet y exploite 12 ha de vignes pour un total de trente-trois cuves. En 2011, son père Jérôme s'est équipé d'une thermorégulation Dionysos. À cette occasion, il acquiert un mustimètre. Cet appareil marche selon le même principe que le nouveau densimètre automatique. À l'aide d'une pompe, il prélève du moût dans une cuve pour remplir un grand tube de verre d'environ 1 litre. Puis il pèse ce volume pour en déduire la densité. Il renvoie le moût dans la cuve de départ et enclenche un cycle de lavage. Le prélèvement s'opère via une canne amovible ou installée à poste fixe sur les cuves.
Chez Benoît Sordet, les cannes sont amovibles. Le vigneron en possède treize qu'il plonge dans les cuves dont il veut suivre la densité et qu'il laisse là le temps nécessaire. De même, il utilise des drapeaux amovibles pour la régulation des températures. Il a dû se résigner à faire des économies, ayant perdu l'équivalent de trois récoltes entre 2012 et 2016 à la suite de plusieurs épisodes de gel et de grêle.
« Ce n'est pas évident : à chaque fois qu'on déplace une canne d'une cuve à l'autre, il faut l'enregistrer dans le logiciel pour qu'elle attribue la densité à la bonne cuve », regrette Benoît Sordet, qui a l'intention de poser des installations fixes dès que sa trésorerie le permettra. « En priorité pour les rouges (10 ha) qui nécessitent plus de surveillance », précise-t-il.
Car ce vigneron est conquis par cette innovation. « Le logiciel programme nos températures en fonction de la chute de densité que l'on veut obtenir », se réjouit-il. De plus, il suit mieux ses cuves, surtout aux moments critiques. « Je veux oxygéner mes blancs entre 1060 et 1040. Avec le mustimètre automatique, je ne loupe pas cette fenêtre. Lorsqu'on mesure la densité manuellement, cela peut arriver car on la prend seulement deux fois par jour », détaille-t-il, ajoutant que la machine ne fait pas d'erreur de mesure contrairement à l'homme. « On court moins, on dort mieux la nuit, on est plus serein », poursuit-il.
Benoît Sordet apprécie également de conserver les courbes de densité de toutes ses cuves. Aujourd'hui, il souhaiterait que le logiciel de supervision de Dionysos puisse réguler la température de fermentation d'une cuve de manière à lui faire suivre la même courbe de chute de densité qu'un vin particulièrement réussi par le passé. « On verra s'il est possible de reproduire un vin. Si l'on obtient des vins plus souples, plus faciles à déguster et qu'ils se vendent mieux, alors on rentabilisera le système. »
À Vosne-Romanée, Nicole Lamarche dirige un domaine de 11 ha. En 2012, elle a acheté deux mustimètres, en même temps que la thermorégulation Dionysos. Elle a ainsi équipé ses vingt cuves de fermentation pour le suivi de la densité et la régulation de la température. Tous les équipements - cannes, drapeaux... - sont à poste fixe. Les moûts sont prélevés automatiquement au rythme voulu par la vigneronne. Mais Nicole Lamarche rouspète encore contre tous les problèmes qu'elle a rencontrés avec ses deux mustimètres. « J'ai servi de cobaye. Les techniciens de Dionysos ont dû régler plein de choses au fil des ans », proteste-t-elle.
Après cette longue période de mise au point, les instruments se sont avérés fiables et ont fourni des mesures justes lors des dernières vendanges. Ils ont fonctionné sans se mettre en défaut, ni se colmater. Reste un point à améliorer : leur nettoyage. La vigneronne déplore qu'il reste des traces de moût ou de vin oxydé dans le tube du mustimètre et dans les tuyaux qui acheminent le moût vers l'appareil.
Maintenant que son équipement fonctionne, elle peut l'apprécier : « Par rapport aux prises de densité manuelles, on se libère du temps en plein rush. Lorsque les fermentations ont démarré, je dois aérer ma cuverie le matin avant de pouvoir y entrer. Avant, il fallait attendre ce laps de temps pour aller prélever les densités. Maintenant, je peux consulter les densités par Internet et planifier le travail pendant que le cuvier s'aère. Dès qu'on peut entrer dans la cave, chacun sait ce qu'il a à faire. »
Nicole Lamarche apprécie également de pouvoir jeter un oeil sur ses cuves le soir, depuis chez elle. Cela la rassure.
À 10 000 € le mustimètre, le retour sur investissement est-il possible ? Oui, répondent les deux vignerons, à condition que le système soit parfaitement fiable. Dionysos s'emploie à résoudre les dernières imperfections soulevées par Nicole Lamarche. L'entreprise assure que le nouveau densimètre en est dépourvu et qu'il bénéficie de toute l'expérience acquise sur ces deux domaines.
Logé dans une armoire
Le densimètre automatique se cache à l'intérieur d'une armoire métallique que l'on place au centre de la cuverie, contrairement au mustimètre de Dionysos qui se pose bien en vue sur une paillasse. C'est en ouvrant la porte qu'on découvre l'instrument de mesure : une grande colonne de verre reposant sur un système de pesée. Ce densimètre peut suivre jusqu'à 36 cuves. Comme son nom l'indique, il mesure la masse volumique des moûts après les avoir prélevés automatiquement dans les cuves au travers d'une canne équipée d'une crépine. Après chaque prélèvement, l'automate renvoie l'échantillon dans la cuve d'origine, puis il inerte à l'azote le tube par lequel le moût est arrivé et enclenche un cycle complexe de nettoyage du densimètre. Prix du système : 70 000 €, hors installation.
La patte du vigneron demeure
Nos deux vignerons ne conçoivent pas d'arrêter de surveiller leurs cuves : c'est ce qu'ils affirment, même si le densimètre couplé à la thermorégulation permet une certaine automatisation et un confort de travail. « C'est important d'être au-dessus de sa cuve. Si elle déborde, le système ne va pas nous prévenir », donne en exemple Benoît Sordet. Il en va de même pour Nicole Lamarche qui considère la vinification comme un moment créatif, voire artistique. Il est hors de question « de perdre la patte du vigneron ». La machine et le logiciel aident, mais ils ne remplacent pas le savoir des vignerons.