dossier - Bonnes pratiques en zones non agricoles

Palmier, efficacité préventive d'une glu

Jean-Benoît Peltier*, Maïlis Huguin** et Pauline Gaborit** - Phytoma - n°637 - octobre 2010 - page 18

Contre le papillon Paysandisia archon, résultats en ville de l'application une fois par an de cette barrière physique
 ph. J.-B. Peltier

ph. J.-B. Peltier

Palmier des Canaries (Phoenix canariensis) traité en 2010. Sur cette espèce, il faut engluer la base des palmes des trois couronnes externes ainsi que les cicatrices encore vertes des palmes coupées. ph. J.B. Peltier

Palmier des Canaries (Phoenix canariensis) traité en 2010. Sur cette espèce, il faut engluer la base des palmes des trois couronnes externes ainsi que les cicatrices encore vertes des palmes coupées. ph. J.B. Peltier

Mâles de P. archon : ci-dessus à gauche en position normale de guet sur palme ; ci-dessus à droite après émergence sur un palmier traité à la glu : avec les ailes engluées donc figées dans cette position, cet individu aura quelque peine à voler ! Photos : M. Huguin

Mâles de P. archon : ci-dessus à gauche en position normale de guet sur palme ; ci-dessus à droite après émergence sur un palmier traité à la glu : avec les ailes engluées donc figées dans cette position, cet individu aura quelque peine à voler ! Photos : M. Huguin

Femelle engluée et ses œufs. Certes elle a réussi à pondre... mais en surface et non dans les fibres du palmier : les œufs ne pourront jamais éclore.

Femelle engluée et ses œufs. Certes elle a réussi à pondre... mais en surface et non dans les fibres du palmier : les œufs ne pourront jamais éclore.

Pièges anti-insectes standards comparés à la glu en 2010 : en haut, ruban de glu anti-fourmis ; en bas, piège chromatique jaune. La glu semble au moins aussi sélective. Photos : J.B. Peltier

Pièges anti-insectes standards comparés à la glu en 2010 : en haut, ruban de glu anti-fourmis ; en bas, piège chromatique jaune. La glu semble au moins aussi sélective. Photos : J.B. Peltier

Un des moyens de protéger les palmiers du papillon palmivore est d'opposer une barrière physique à l'infestation de ces végétaux (effet préventif) et à leur ré-infestation (effet préventif au sens strict(1) mais curatif sur le végétal). Quelle barrière ? Une glu tout simplement, plus facile à utiliser qu'à mettre au point...

L'histoire de la glu contre Paysandisia archon est récente. C'est début 2006, devant l'ampleur des dégâts constatés sur la collection de palmiers de Montpellier Supagro, que la décision est prise d'agir. Après contact avec deux personnes compétentes sur la biologie de l'insecte, à savoir Jean Drescher (INRA) et Victor Sarto i Monteys (Gencat), une ligne directrice apparaît : le cycle du papillon, essentiellement annuel, s'effectue sur une partie relativement restreinte du palmier (2 stades clés : ponte et émergence). Protéger cette zone revient de facto à casser le cycle.

La réflexion s'orienta un instant vers les mousses expansives, mais elles étaient trop cassantes. L'idée de la glu fut donc retenue.

De 2006 à 2010

Pourquoi une glu ?

SupAgro est un domaine public fréquenté par de nombreux chercheurs et étudiants qui se délectent souvent des noix du coco du Chili (Jubea chilensis) et de la pulpe des fruits aromatiques du coco capitata (Butia capitata) présents sur place. Tester un produit phytopharmaceutique obligeait à interdire l'accès aux végétaux durant l'expérimentation. De plus la liste des produits envisageables en 2006 était courte. Enfin, pour tout avouer, nous voulions éviter les insecticides de synthèse.

Les impératifs au départ étaient clairs : matières premières bon marché, abondantes (pas de risque de pénurie), non toxiques, non hydrosolubles (pas de risque de lessivage) et résistant à des amplitudes thermiques fortes et surtout à de fortes chaleurs durant au moins trois mois. La liste, discutée avec un collègue (M. Tauzin) fut au final assez mince.

Du projet au brevet

Sans attendre un quelconque financement et grâce aux dons de matières premières de collègues du CIRAD, nous avons opté pour une première glu, extrêmement collante, mise au point en trois mois.

Cette glu est une émulsion d'huiles végétales, de résine de pin (colophane), de cire d'abeille, de latex naturel et d'eau. Le latex a la particularité remarquable d'être miscible à la fois dans l'eau et les huiles. Il structure donc les autres éléments en les relarguant petit à petit au cours du vieillissement du produit sur le support. En 2006, un brevet INRA-SupAgro a été déposé. La glu de 2006 était collante, épaisse et résistait mal à la compression. Le matériel adopté était une projeteuse à gouttelettes utilisée pour appliquer les surfaces d'enduits divers comme de la pâte à papier.

Formulation et matériel, une évolution positive

Pour 2010, des améliorations importantes ont été réalisées avec la société SBM formulation/Provalis : la glu Biopalm est désormais plus fluide et homogène. De couleur brune, elle a maintenant la consistance d'une peinture.

Ces améliorations ont eu un effet immédiat sur les appareils utilisables. Une gamme d'appareils variée a été testée avec succès en 2010, allant du pistolet à peinture à la projeteuse à enduit en passant par de simples cuves sous pression.

Mode d'application

Quand et où l'appliquer

La glu s'applique par projection, une seule fois par an peu avant l'émergence des papillons, soit vers le mois de juin. Il peut y avoir un léger décalage de dates, de fin mai dans l'est de Provence-Alpes-Côte-d'Azur jusqu'à début juillet dans le nord du Languedoc-Roussillon.

Globalement, le produit peut être projeté sur palmiers Phoenix à partir du 15 mai et sur Trachycarpus à partir du 15 juin. Au 15 juillet, les pulvérisations doivent avoir été effectuées.

La glu s'applique sur la zone du stipe comprise entre les premières feuilles et la base des dernières feuilles vertes.

Sur Phoenix, seule la base des feuilles des trois couronnes les plus externes doit être engluée. La glu n'est pas projetée au cœur de ce palmier car le papillon n'y a pas accès à cause de la densité des palmes. C'est une des raisons plaidant contre l'élagage excessif (type ananas) des Phoenix qui facilite l'accès rapide du papillon au cœur du palmier. Sur jeunes Phoenix, il faut engluer toutes les bases de palmes coupées mais encore vertes (photo).

Sur Chamaerops et Trachycarpus, la glu est appliquée depuis la base des plus jeunes feuilles jusqu'à la base des feuilles vertes les plus basses sur le stipe. Il faut noter que des sujets jeunes, à croissance rapide, peuvent devoir être englués jusqu'à la base du stipe.

En quelles quantités

Les quantités appliquées de la formulation 2010 ont été globalement divisées par un facteur de 3 à 10 par rapport aux glus précédentes. Ces quantités varient, bien sûr, suivant l'espèce de palmier et, au sein de chaque espèce, entre sujets jeunes et adultes.

Pour un Chamaerops ou un Trachycarpus, on applique en général moins de 1 l de produit. Pour des Phoenix, c'est entre 3 et 7 l. La 2e année, les quantités sont en général divisées par 2 car la glu de l'année précédente couvre encore une partie de la zone à protéger. Sur palmiers de type Chamaerops, on n'englue que la partie qui a crû entre 2 applications.

Mode d'action

Immédiatement préventif

La glu a une action préventive immédiate en empêchant l'infestation de palmiers sains.

En effet, elle produit un écran physique entre l'insecte et son hôte. Une femelle venant pondre va en général repartir. Si elle reste, elle sera piégée dans la glu et ne pondra pas ou expulsera ses œufs sans pouvoir les positionner correctement dans les fibres du palmier. Les œufs, englués en surface, ne pourront se développer (photo). C'est l'effet préventif.

Curatif à terme pour les arbres

La glu n'a pas d'action curative vis-à-vis des larves ayant pénétré dans le palmier. En revanche, sur un palmier infesté l'année précédente et traité avant l'émergence des nouveaux adultes, ceux-ci émergeront dans un environnement délicat. Toute trace de glu sur leurs ailes entrave leur capacité à voler (photo).

Cela bloque leur faculté d'accouplement et de ponte donc la réinfestation du palmier par des papillons sortis de ses propres fibres. Comme la glu stoppe la ponte de papillons venus de l'extérieur, elle améliore à terme l'état des palmiers infestés si elle est réappliquée tous les ans à la bonne saison. C'est un effet curatif.

Étude de l'efficacité

L'efficacité de ces modes d'action a été majoritairement étudiée en milieu naturel car le comportement des femelles est très perturbé dès qu'elles sont placées en milieu contrôlé (serre, filet...). De plus, cela a permis la récolte de données sur un ensemble d'espèces de palmiers de toutes les tailles et sur plusieurs années. L'expérience a permis de rectifier le mode d'application de la glu sur des palmiers comme les Jubea, ou de restreindre la zone à engluer.

Suivi des palmiers de SupAgro

Les applications ont débuté en 2006 sur le campus SupAgro où 15 % des palmiers étaient touchés. Après application fin juillet, seulement 6 % supplémentaires des 342 palmiers englués présentaient des symptômes (donc avaient été infestés), contre 30 % des 125 palmiers non englués, soit une efficacité préventive de 80 % malgré la date tardive de l'application.

Par la suite, l'efficacité de la glu n'a pas été mesurée par rapport à un témoin car la modalité « témoin non traité » n'a pu être gardée, le directeur de SupAgro voulant conserver ses palmiers ! Mais les résultats en termes de taux de réinfestation, de 1 à 3 %, sont toujours meilleurs que ceux de 2006 (Tableau 1), indice d'une efficacité supérieure. En parallèle le nombre de papillons volant sur le campus n'a diminué qu'à partir de 2009 probablement par épuisement des ressources (Trachycarpus) autour du campus.

Suivi de palmiers en ville

Des tests ont été réalisés en partenariat avec la ville de Montpellier dans les rues Saint-Guilhem et du Courreau, situées dans le prolongement l'une de l'autre, la seconde servant de témoin. La glu s'est montrée efficace (Tableau 2).

Effet sur les émergences

Nous avons testé l'effet de la glu sur l'émergence des adultes en conditions contrôlées. En effet, récolter des individus était nécessaire pour comptabiliser les adultes émergeant, et leur comportement à ce stade avait peu de chance d'être perturbé par les conditions contrôlées.

Les résultats ont indiqué que plus de 90 % des adultes émergeant d'un palmier englué étaient inaptes au vol contre 2 % des adultes émergeant d'un palmier non englué (Tableau 3).

Essai Narbonne en 2010

En 2010, outre les tests à SupAgro, 18 Phoenix ont été englués à Narbonne-Plage fin juillet. L'infestation était stupéfiante avec plus de 60 papillons en vol à 10 h 30. En deux semaines, plus de 70 papillons ont été récoltés, pris dans la glu en venant pondre ou en émergeant. De jeunes larves ont été observées prisonnières de la glu. Après un mois, quelques individus, surtout mâles, ont été observés volant autour des palmiers. En résumé, l'efficacité de la glu avec un seul passage est excellente sur 5 années de tests en conditions naturelles, tous tests confondus.

La glu peut-elle sauver un palmier infesté ?

Oui, absolument, les exemples abondent sur le campus SupAgro ou ailleurs dans la région.

Le cycle du papillon étant essentiellement annuel (seules environ 15 % des larves passent 2 ans sur le palmier), l'application de glu en juin empêche la ponte et gêne très fortement l'émergence d'individus qui auraient eu tendance à répondre dans le voisinage immédiat de leur lieu de sortie. On assiste souvent au re-démarrage de palmiers infestés. Même si l'apex ne produit plus de feuille, en général nous estimons qu'un Chamaerops possédant entre 3 et 5 feuilles vertes est susceptible de repartir, souvent en ré-itérant sur le côté du stipe (médaillon p. 18).

Effets collatéraux

La glu a deux types d'effets collatéraux à éviter : phytotoxicité et atteinte à la faune non cible.

Phytotoxicité, amélioration

Concernant la phytotoxicité, avant 2010 les glus pouvaient, dans certains cas, entraîner des brûlures sur les feuilles en émergence et sur la base de feuilles en croissance, les rendant alors cassantes. L'application massive de glu dans le cœur des Butia pouvait poser problème.

Avec les améliorations réalisées en 2010, aucune phytotoxicité sur un quelconque palmier n'a été notée à ce jour. C'est probablement en grande partie dû à la meilleure tenue du produit et aux quantités plus faibles pulvérisées.

Faune non cible

Concernant les dégâts éventuels sur la faune environnante, les premières données recueillies en 2007 ne faisaient pas apparaître de biais dans les captures sauf au niveau des diptères (mouches surtout). Les prises d'abeilles et d'auxiliaires étaient exceptionnelles.

Parmi les questions posées par l'Anses (voir ci-après), des données plus précises ont été demandées. Nous avons donc mené en 2010 une étude pouvant raisonnablement donner une idée assez fiable des captures suivant les biotopes. Elle s'est déroulée sur 4 sites : campus de Montpellier SupAgro, Narbonne-Plage, bambouseraie d'Anduze et domaine du Rayol, dans le Var. Sur chaque lieu, le comptage et la détermination des insectes ont été comparés aux prises sur des bandes commerciales de glu anti-fourmis ou plaques chromatiques jaunes anti-mouche pour jardin (photos). Même si le dépouillement des résultats n'est pas fini, il apparaît que les prises récoltées sur la glu ne sont jamais supérieures à celles des deux autres supports, et qu'elles s'apparentent à un piégeage aléatoire d'insectes de taille presqu'exclusivement inférieure à 0,5 cm avec une dominante de diptères mais pas aussi biaisée que sur les bandes jaunes.

Dans cette étude, aucune abeille domestique ou bourdon n'ont été, à ce jour, collectés sur la glu.

Et demain

Réglementation, commercialisation

L'arrivée d'un ravageur s'adaptant aussi bien à ses nouvelles conditions fait penser que Paysandisia est en Europe pour longtemps. La disponibilité et l'application possible à large échelle d'un produit bon marché avec le moins de contraintes possibles (une application/an) va faciliter la lutte. La glu, faisant partie des écrans physiques dont l'action n'est pas fondamentalement de tuer l'insecte, n'a pas nécessité d'AMM car exclue de la directive 91/414/CEE. Malgré tout, un dossier a été déposé à l'Anses (ex-Afssa) dont certains compléments d'information sont en cours.

En 2011, la glu Biopalm sera commercialisée. De nombreuses étapes ont dû être franchies, tant administratives que techniques ; au final cinq années auront été nécessaires entre la conception et la commercialisation.

Et vis-à-vis du charançon rouge ?

La formulation actuelle a un rôle préventif contre le charançon rouge Rhynchophorus ferrugineus car elle restreint une partie de l'accès au palmier en masquant par exemple les cavités laissées par un passage éventuel de Paysandisia. Nous travaillons actuellement sur un gel aux propriétés spécialement étudiées contre Rhynchophorus. à suivre...

Retour sur l'application unique

Encore une fois, un intérêt essentiel de la glu est son application unique au cours de l'année. Economiquement, c'est un atout considérable face à l'asphyxie budgétaire des municipalités et des particuliers dans la lutte contre Paysandisia. Cette lutte ne peut être ponctuelle et devra perdurer et se pérenniser pendant des années.

Un passage unique, c'est un gain très substantiel avec la chance de pouvoir observer la bonne application du produit (sa coloration facilite le repérage des zones non engluées) et le maintien de son efficacité en cours de saison (test rapide au doigt), tout en respectant l'environnement en particulier les abeilles et bourdons et les autres papillons.

<p>* INRA.</p> <p>** Université de Montpellier.</p> <p>Plus d'infos sur : http://www1.montpellier.inra.fr/paysandisia</p> <p>(1) Pas d'action insecticide sur les adultes du ravageur ni sur les larves à l'abri dans les stipes. Mais un cassage du cycle.</p> <p><b>Ci-dessus, en médaillon : ré-itération d'un palmier.</b></p>

La glu, de Néanderthal aux fourmis

Dans l'épopée humaine, l'idée de coller apparaît très tôt : il semble que le premier fabricant de glu serait notre cousin Néanderthal. Il fixait les pierres sur les manches de ses outils avec des résines et goudrons obtenus à partir de sève d'écorce de bouleau chauffée.

Plus tard les Égyptiens les employaient pour coller des matériaux. Mais il semble que ce soient les Grecs qui, les premiers, les aient utilisées pour piéger des animaux, des oiseaux en l'occurrence. Ces glus furent exportées au gré des pérégrinations grecques vers la cité phocéenne.

Les recettes de fabrication se diversifièrent ensuite : baies de gui concassées puis écorce de houx macérée permettaient aux Romains de piéger grives et ortolans.

Aujourd'hui les glus sont toujours utilisées pour piéger des oiseaux dans certaines régions. Dans le monde végétal, elles sont essentiellement utilisées – appliquées sur l'écorce d'arbres à la spatule ou sur ruban – contre les fourmis qu'elles empêchent de monter entretenir leurs colonies de pucerons. À notre connaissance on n'avait jamais projeté de glu.

Résumé

Une glu à projeter a été testée comme moyen physique de protection des palmiers contre Paysandisia archon depuis 2006, en conditions naturelles, sur diverses espèces de palmiers sur le campus de Montpellier SupAgro (plus de 600 sujets) et dans des rues de Montpellier. D'autres tests ont été effectués sur divers sites ainsi que des tests d'émergence en conditions contrôlées. Les résultats montrent :

– les conditions d'efficacité du produit : une application annuelle au bon moment (peu avant les émergences d'adultes) avec de bonnes pratiques (variant selon l'espèce et la taille du palmier) ;

– une excellente efficacité préventive (barrière physique empêchant toute ponte efficace sur les surfaces engluées) ;

– un effet curatif à terme sur les sujets infestés (perturbation de l'émergence des adultes, empêchement des réinfestations) ;

– la sélectivité vis-à-vis des palmiers de la formulation finale ;

– sa probable (travaux en cours) sélectivité vis-à-vis des abeilles et de l'ensemble de la faune non cible.

Mots-clés : ZNA (zones non agricoles), palmier, papillon palmivore Paysandisia archon, lutte physique, glu à projeter, glu Biopalm.

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