dossier - BONNES PRATIQUES PHYTOSANITAIRES

Réglementer l'application, deux textes qui limitent

Marianne Decoin* - Phytoma - n°653 - avril 2012 - page 22

Limiter directement les traitements aériens, reconnaître des dispositifs qui limitent la dérive
 ph. Albuz

ph. Albuz

Interdire les traitements aériens sauf dérogation pour les limiter, reconnaître les buses anti-dérive pour limiter celle-ci. Ci-dessus, une des 12 buses qui viennent d'être reconnues (le modèle Avi Twin 110 04, d'Albuz), en médaillon p. 22, une CVI déjà reconnue avant. ph. Albuz

Interdire les traitements aériens sauf dérogation pour les limiter, reconnaître les buses anti-dérive pour limiter celle-ci. Ci-dessus, une des 12 buses qui viennent d'être reconnues (le modèle Avi Twin 110 04, d'Albuz), en médaillon p. 22, une CVI déjà reconnue avant. ph. Albuz

Un autre modèle de buse à limitation de dérive officiellement reconnu pour diviser cette dérive au moins par trois (Avi Twin 110 03). Il y en a désormais 150, tous reconnus pour une plage de pression précise. ph. Albuz

Un autre modèle de buse à limitation de dérive officiellement reconnu pour diviser cette dérive au moins par trois (Avi Twin 110 03). Il y en a désormais 150, tous reconnus pour une plage de pression précise. ph. Albuz

À côté du certiphyto et du contrôle des pulvérisateurs, six « paquets réglementaires » publiés depuis moins d'un an ont une influence sur les pratiques phytosanitaires. Concentronsnous ici sur ceux qui encadrent directement l'application des produits phytos en agriculture. Ils touchent, par ordre d'entrée en scène c'est-à-dire de publication officielle, l'épandage aérien qu'ils limitent et les buses à limitation de dérive. Aperçu.

Parmi la demi-douzaine de « paquets » réglementaires ayant pour effet d'encadrer les pratiques phytosanitaires (encadré), deux ont pour points communs de toucher l'agriculture, de ne pas être présentés par ailleurs dans Phytoma… et aussi de concerner directement l'application des produits en agriculture.

Les voilà tous les deux, par ordre chronologique de publication.

Limiter les traitements aériens

Article 103 de Grenelle 2, produits phytos et rien qu'eux

Le premier texte concerne la technique d'épandage particulière qu'est le « traitement aérien », autrement dit depuis un aéronef : avion, hélicoptère, ULM... L'article 103 de la Loi Grenelle 2(1) interdit cette technique sauf dans deux types de cas : d'une part ceux où on ne peut pas faire autrement (le danger « ne peut pas être maîtrisé par d'autres moyens ») et d'autre part ceux où, en fait, c'est mieux de faire ainsi (le traitement aérien « présente des avantages manifestes pour la santé et l'environnement qu'une application terrestre »).

À souligner : cet article 103 concerne l'épandage de tous les produits phytopharmaceutiques ayant une AMM (autorisation de mise sur le marché) délivrée par le ministère chargé de l'agriculture (produits concernés par l'article L- 253-1 du Code rural). Et rien que ces produits.

Ainsi, le largage par aéronef de produits phytos UAB (utilisables en agriculture biologique) est tout aussi limité que celui de n'importe quel autre produit phyto.

En revanche les épandages de produits biocides, lesquels sont autorisés par le biais du ministère chargé de l'environnement, ne sont pas limités par cet article 103 ni, forcément, par son arrêté d'application(2).

Arrêté du 31 mai 2011, raisons possibles pour dérogations

Cet arrêté du 31 mai 2011, paru le 8 juin, précise comment appliquer l'article 103 de la loi et notamment quels sont les cas où des autorisations peuvent être fournies par dérogation.

D'abord il liste les critères justifiant de telles autorisations par dérogations. Pour le fait de ne pas pouvoir maîtriser le bio-agresseur par d'autres moyens, ce sont « la hauteur des végétaux, la topographie (relief accidenté, fortes pentes), les enjeux pédologiques des zones à traiter (portance des sols), la réactivité ou la rapidité d'intervention sur des surfaces importantes ». Quant aux « avantages manifestes » par rapport à une application terrestre évoqués par la loi, ils doivent être « dûment justifiés ». Hors de ces cas, pas de dérogation.

Types de dérogations et cultures concernées

L'arrêté définit les deux types de dérogations possibles :

– celles autorisables annuellement, possibles uniquement pour quatre cultures et à demander avant le 31 mars de l'année concernée ;

– celles autorisables ponctuellement, en cas de problème nouveau et imprévu donc forcément non listé d'avance par cet arrêté ministériel.

Pour les dérogations annuelles, l'annexe de l'arrêté précise les quatre cultures possibles : la vigne, le maïs, le riz et le bananier ; il donne, pour chacune, la liste des bio-agresseurs contre lesquels des dérogations peuvent être accordées ; hormis cela, point de dérogation – sauf ponctuelle en cas de bio-agresseur inédit.

La vigne peut par exemple répondre aux critères « relief accidenté, forte pente » et/ou nécessité de « rapidité d'intervention », le maïs (une fois dépassé un certain stade) et le bananier au critère « hauteur des végétaux » et le riz à celui de « portance des sols ».

Formalités à remplir, informations exigées

L'arrêté précise les formalités réglementaires à remplir pour obtenir une dérogation, qu'elle soit annuelle ou ponctuelle : demande de dérogation avec sa justification. Ensuite il précise les obligations d'information dans le cas où une dérogation est obtenue.

En particulier pour tout traitement accepté, il faut, et ceci au moins 48 heures avant de le réaliser, baliser la zone et informer les mairies concernées en leur demandant d'afficher l'information. Il faut aussi, c'est nouveau, informer les syndicats apicoles (les conditions doivent être définies au niveau départemental) de façon qu'ils soient avertis au moins 48 heures avant.

Nombre de produits restreint

Enfin, l'arrêté précisait qu'à compter du 26 novembre 2011, le traitement aérien ne serait plus possible qu'avec des produits spécialement évalués, reconnus adaptés et listés comme tels. En attendant, il a pris soin d'interdire les produits classés T et T+ (toxiques et très toxiques) et ceux affectés des phrases de risque R45, R46, R49, R60 et R61. C'est donc la règle qui s'est appliquée de juin à novembre 2011. Ensuite il a fallu attendre les évaluations des produits ; les premières ont été achevées au début du mois de mars dernier.

Une première liste de sept produits a alors été diffusée aux préfets (qui gèrent les dérogations), permettant de réaliser à temps les traitements sur bananiers. Ils sont listés tableau 1. 16 autres produits étaient en cours d'évaluation début avril, notamment pour les vignes à fortes pentes et les traitements tardifs du maïs.

Compter les hectares et prendre de la hauteur

La « découverte » de cette liste a lancé un débat. Certains déplorent que le traitement aérien ne soit pas totalement interdit et parlent d'« assouplissement ». D'autres se plaignent qu'il soit de plus en plus compliqué à réaliser.

En pratique, les surfaces traitées par épandage aérien tendent à diminuer. C'est le cas sur vigne selon la revue La Vigne (n° 241, p. 36- 37). Globalement, un rapport interministériel de février 2010, donc basé sur la situation 2009, estimait les surfaces traitées à 192 501 ha en agriculture, soit 0,71 % de la SAU (surface agricole utile) française d'alors (en gros 27 millions d'ha), plus 10 265 ha de forêts. En 2011, on est à « à peine 100 000 ha » agricoles, soit moins de 0,4 % de la SAU, selon le ministère chargé de l'agriculture le 10 avril 2012 lors d'une audition publique sur le sujet au Sénat (les forêts, étant en fait traitées contre les processionnaires pour une raison de santé publique plus que de santé végétale, sont désormais gérées par le ministère de l'environnement, pas audité ce jour-là).

Le tableau 2 récapitule l'évolution de la réglementation. Pour prendre un peu de hauteur.

Reconnaître des moyens anti-dérive

Division par trois et règle des trois conditions

Il y a aussi du nouveau du côté des moyens officiellement reconnus pour réduire le risque de dérive au moins par trois. Utiliser ces outils est une des trois conditions pour avoir le droit de pulvériser jusqu'à 5 m des cours d'eau des produits à ZNT de 20 ou 50 m. Ceci peut permettre de sortir d'impasses techniques ou réglementaires sans augmenter le risque de polluer l'eau par rapport à une pulvérisation normale respectant les ZNT.

Attention, il est écrit plus haut que ces moyens permettant de réduire le risque de dérive sont « une des trois conditions » ! Il faut aussi que la parcelle soit bordée d'une bande végétalisée d'au moins 5 m de large entre elle et le cours d'eau – et qui ne sera pas traitée, 5 m est la largeur de ZNT minimale des produits. Pour une culture haute, cette bande doit porter une haie au moins aussi haute que la culture. Troisième point : quels que soient la culture et le traitement, il faut enregistrer ses pratiques.

12 nouvelles buses

Douze nouvelles buses à limitation de dérive ont été officiellement reconnues dans une note de service du 21 février dernier, parue au BO du ministère de l'agriculture du 23 février. Ces buses, destinées à tout type de traitement de cultures basses et au désherbage des cultures hautes, s'ajoutent aux 129 déjà reconnues en 2011 pour ces usages. Avec les 9 buses destinées spécifiquement au désherbage de cultures hautes, on a 150 buses reconnues.

Les 12 nouvelles buses sont, d'une part, deux buses céramique de marque Albuz, nommées Avi Twin 110 02 et AVI Twin 110 04, utilisées à 4 bar et, d'autre part, 10 buses céramiques d'une nouvelle marque nommée ASJ (6 modèles AFC utilisables de 3 à 8 bar, ainsi que 3 SFA et une TFA toutes utilisables de 2 à 6 bar).

Ou plutôt buses/pression

Attention : ce ne sont pas des buses seules qui sont autorisées, mais bien des couples buse/pression. De même, les quatre systèmes de pulvérisation en vigne reconnus l'an dernier associent aux appareils un mode d'utilisation obligatoire en traitement face par face.

En grandes cultures, comment utiliser ces buses ? Peut-on les garder sur sa rampe tout le temps, sachant que beaucoup répugnent à changer leurs buses plusieurs fois par saison ? Leur usage est-il compatible avec la réduction de volume de bouillie et/ou de dose de produit ? L'article p. 46 répond à partir de travaux sur le blé, le maïs et la betterave.

Les vergers, ces oubliés

Bilan : en cultures basses, ainsi que pour le désherbage des vignes et vergers, les agriculteurs ont des moyens de réduction de dérive à disposition. Il faut les utiliser à bon escient, adapter les pratiques, mais les outils existent.

Pour les traitements fongicides, acaricides et insecticides sur vigne, il existe quelque chose depuis 2011 mais plus compliqué à adopter : on ne change pas de « pulvé » comme de buses.

Mais en vergers, sauf pour le désherbage, rien n'est reconnu… Et de nombreux fongicides et insecticides ont une ZNT de 20 m et plus.

L'article p. 40 donne espoir de trouver quelque chose, en associant des buses à réduction dérive (qui la réduisent nettement, mais pas assez à elles seules) à certains matériels face par face. Encore faut-il que ces dispositifs soient reconnus réglementairement.

Ce qui est une autre histoire.

<p>* Phytoma.</p> <p>(1) La loi Grenelle 2 est la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010, publiée au JORF le 13 juillet.</p> <p>(2) Si vous voyez un hélicoptère tournoyer en lâchant du produit, il y a de fortes chances qu'il s'agisse d'un traitement « réglementé biocide » (ex. démoustication ou bien lutte contre la processionnaire du pin ou du chêne pour raison de santé publique et non pas de santé végétale) et le monde agricole n'y sera pour rien : ni les agriculteurs, ni le ministère chargé de l'agriculture. En général il s'agit d'applications insecticides à base de <i>Bacillus thuringiensis</i> (souches différentes selon qu'elles visent des moustiques ou des processionnaires), une substance biologique et peu toxique (attention aux co-formulants cependant).</p>

Les six paquets, récapitulatif chrono

En fait, ce sont 6 textes ou paquets de textes réglementaires parus depuis un an, soit au JO – JORF, Journal officiel de la République française – soit au BO – Bulletin officiel du ministère chargé de l'Agriculture – qui peuvent concerner directement les bonnes pratiques phytosanitaires. Récapitulatif par ordre chronologique de parution.

Quatre en 2011

• Au JO du 8 juin 2011, arrêté du 31 mai sur l'épandage aérien, présenté dans cet article.

• Au JO du 21 juin 2011, paquet du 20 juin sur la certification environnementale : décret n° 2011-694 et ses deux arrêtés (N.B. Plus un arrêté rectificatif, lui aussi du 20 juin, paru le 14 juillet pour compléter une donnée manquante).

Pas commenté ici car, d'une part le volet phytosanitaire n'en est qu'une partie et n'est pas axé directement sur les pratiques et, d'autre part, il a été présenté dans Phytoma n° 645 de juin-juillet dernier, p. 8.

• Au JO du 28 juillet 2011, arrêté « Lieux publics » du 27 juin. Pas présenté ici bien qu'il encadre directement des pratiques phytosanitaires (application de produits phytos) car, d'une part, il ne s'agit pas d'agriculture et, d'autre part, il a déjà été présenté dans notre dossier « Bonnes pratiques en zones non agricoles », article « Réglementation, l'état met le(s) paquet(s) » Phytoma n° 648 de novembre 2011, p. 20 à 23.

• Au JO du 20 octobre 2011, décret du 18 octobre sur le certiphyto, suivi d'autres textes (arrêtés du 21 octobre parus le 22, etc.), le tout présenté dans ce dossier p. 14 à 17.

Et deux en 2012

• Au JO du 31 janvier 2012, le décret n° 2012-140 du 30 janvier sur les macro-organismes « non indigènes » de lutte biologique.

Pas présenté dans cet article car, d'une part ce n'est pas directement l'utilisation des auxiliaires (laquelle est une pratique phytosanitaire !) qu'il encadre mais plutôt leur importation et, d'autre part, il a déjà été présenté dans notre dossier « Méthodes alternatives », article « Outils alternatifs, des décrets et des taxes » Phytoma n° 652, mars 2012, p. 32 à 33.

• Au BO du 23 février 2012, la note de service sur les moyens anti-dérive, présentée dans cet article.

Par ailleurs, le catalogue et les taxes

À noter par ailleurs deux paquets réglementaires touchant les produits phytos, sans qu'il s'agisse d'encadrer directement leurs pratiques d'utilisation, en tout cas à la date de bouclage de cet article (le 11 avril 2012) :

• La publication au BO du 2 mars d'une note de service du 27 février publiant le nouveau catalogue des usages ; un (ou des) arrêté(s), pas encore paru(s) le 11 avril, devrai(en)t obliger les étiquettes à s'y conformer et donner un calendrier pour la période transitoire ainsi que les équivalences entre anciens et nouveaux usages.

Ce nouveau catalogue se veut simplifié par rapport à l'ancien et permettra d'avoir moins d'usages orphelins (= pour lesquels aucun produit n'est autorisé actuellement) ou mal pourvus ; à suivre.

• La fixation de la TVA des produits phytos au taux plein (19,6 % actuellement et en principe 21,2 % à compter du 1er octobre 2012… sauf nouvelle Loi de finances rectificative après les élections) sauf pour les produits UAB (utilisables en agriculture biologique) dont le taux de TVA est désormais de 7 %.

On trouve ces décisions dans la Loi de finances 2012(1) pour le passage au taux plein et dans la Loi des finances rectificative(2) pour les produits UAB.

(1) Loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011, publiée au JORF du 29 décembre.

(2) Loi n° 2012-354 du 14 mars 2012 publiée au JORF du 15 mars, article 2, alinéa VB.

Tableau 1 - Les sept produits autorisés en mars 2012 pour le traitement aérien.

Tableau 2 - Réglementation des traitements aériens, les étapes.

Résumé

Parmi les nouveautés réglementaires survenues depuis notre précédent dossier « Bonnes pratiques », figurent l'arrêté du 31 mai 2011 sur les traitements aériens et la note de service du 21 février 2012 actualisant la liste des dispositifs anti-dérive officiellement reconnus.

L'arrêté du 31 mai publié le 8 juin confirme l'interdiction des traitements aériens sauf dérogation instaurée par la Loi Grenelle 2, et fixe les conditions des dérogations possibles :

– cas pouvant les justifier (précisés par rapport aux indications de la loi) ;

– type de dérogations (annuelles ou ponctuelles) ;

– seuls couples cultures/bio-agresseurs autorisables pour les dérogations annuelles ;

– formalités pour les demandes de dérogations et obligations d'information du public ;

– exigences de se limiter, parmi les produits autorisés sur les couples cultures/bioagresseurs concernés, à des produits spécifiquement évalués pour le traitement aérien. Sept ont été autorisés en mars 2012 (liste, classements et usages dans l'article).

Concernant les dispositifs de réduction de dérive, 12 nouvelles buses céramique de marque Albuz et ASJ (précisément 12 couples buses/pression), ont été officiellement reconnues comme divisant cette dérive par trois, ceci par une note de service du 21 février 2012 parue le 23 février, pour tous les traitements des cultures basses et le désherbage des cultures hautes.

Elles s'ajoutent aux 129 déjà reconnues en 2011 pour ces usages ainsi qu'aux 9 buses spécialement destinées au désherbage des cultures hautes et aux quatre dispositifs dédiés à la vigne.

Mots-clés : bonnes pratiques phytosanitaires, réglementation, traitement aérien, arrêté du 31 mai 2011, interdiction, dérogations, exigences, formalités, dispositifs anti-dérive, buses, note de service du 23 février 2012.

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