– 1- Pistosia dactyliferae adultes, au milieu de leurs dégâts, sur un coeur de Washingtonia. Photos : Vegetech
Pistosia dactyliferae, petit coléoptère de la famille des Chrysomelidae originaire d'Inde, avait été observé pour la première fois en France fin 2004 sur la presqu'île de Saint-Jean-Cap-Ferrat (Alpes-Maritimes) puis en 2006 en Italie dans une pépinière à Pistoia (Toscane). Une lutte chimique immédiatement engagée avait permis de l'éradiquer dans ces deux sites durant les années suivantes. Mais P. dactyliferae a fait son retour en 2012, de nouveau à Saint-Jean-Cap-Ferrat.
Observations de terrain
Alerte donnée
En raison du dépérissement de certains palmiers et de l'observation de symptômes caractéristiques sur d'autres, à nouveau dans un jardin botanique de Saint-Jean-Cap-Ferrat, une étude a été réalisée par la société Vegetech, après sollicitation pour expertise du Comité de pilotage azuréen sur les ravageurs des palmiers (COPIL CRP). Ce dernier est présidé par Christian Estrosi, Maire de Nice, Président de la métropole Nice-Côte-d'Azur, représenté par M. Benoît Kandel, Premier adjoint.
Nombreuses espèces de palmiers attaquées
De nombreuses espèces de palmiers de ce jardin botanique ont montré des symptômes typiques de ce ravageur : Phoenix canariensis, Sabal minor, Sabal palmetto, Sabal causiarum, Trachycarpus fortunei, Chamaerops humilis, Washingtonia sp., Rhapidophyllum hystrix et Butia sp. Certains genres, notamment Washingtonia, Phoenix et Trachycarpus, semblent plus attaqués que d'autres.
En raison de l'étendue du parc, toutes les espèces n'ont pu être inspectées mais l'insecte semble toutefois attiré par une grande variété de palmiers. De plus, on ne peut exclure qu'il s'attaque aussi à d'autres espèces végétales. Les palmiers infestés avaient pour caractéristique d'être situés en zone ombragée. Par ailleurs, leur hauteur de stipe était variable, comprise entre 20 cm et 4 m. Ainsi ce ravageur, pour l'instant signalé en espaces verts, a toutes les capacités pour infester aussi des pépinières et établissements horticoles.
Indicateurs de présence
Les indicateurs de présence de l'insecte sont en accord avec ceux identifiés par Drescher & Martinez en 2005 :
décapage des rachis des palmes avec la présence de sciure fine menant à un dessèchement de la palme,
brunissement lié aux prises alimentaires et/ou encroutement du coeur qui s'atrophie,
sur Phoenix sp., petites perforations des pinacules,
présence d'insectes adultes dans les pliures des palmes (côté ombre) ou à la base des rachis,
présence de larves à la base des palmes (point d'insertion).
Observations en laboratoire
Des plaies attractives pour le charançon rouge
Les plaies de décapage sur Phoenix peuvent s'avérer attractives pour le charançon rouge Rhynchophorus ferrugineus.
Cela a pu être démontré en mettant en présence, au laboratoire, des charançons rouges, un morceau de Phoenix (leur hôte préférentiel) et un Washingtonia atteint par Pistosia. De façon surprenante, les charançons sont attirés vers le Washingtonia.
Il est donc possible d'imaginer que ce phénomène attractif sera amplifié sur le terrain d'autant plus fort que le palmier attaqué par Pistosia sera un Phoenix...
Ces plaies peuvent aussi entraîner l'apparition de maladies fongiques secondaires.
Mise en place d'une étude sur la biologie
Le ravageur n'a été que très peu étudié et aucun élément bibliographique ne fait état de son cycle de développement. Or, il est essentiel de mieux connaître Pistosia afin d'être en mesure d'organiser une lutte biologique cohérente et de surveiller son expansion. Lors des visites réalisées sur site, des insectes adultes et des larves ont pu être prélevés. Des procédures de confinement identiques à celles utilisées pour le charançon rouge du palmier ont été employées.
Ces insectes ont été répartis de la manière suivante :
3 adultes ont été adressés au SRAL (Service régional de l'alimentation) dans de l'alcool pour identification et déclaration de l'espèce ;
6 adultes ont été déposés sur un milieu nutritif artificiel identique à celui utilisé pour le charançon rouge ;
les adultes restant ont été placés en élevage, en cage claire, en présence de deux Washingtonia d'environ 30 cm de hauteur de stipe en pots : 13 adultes ont été déposés manuellement sur un sujet, les autres ont été laissés dans les boîtes ouvertes placées contre le stipe de l'autre palmier, pour observer le processus d'infestation. Un troisième palmier a été placé dans la cage un mois plus tard, toujours pour étudier le pouvoir d'infestation de l'espèce.
Deux notations par jour ont été réalisées : une de jour et une de nuit afin d'acquérir des données sur le comportement de l'insecte. En raison de la faible quantité de matériel, il n'a pas été fait d'étude morphologique sur le dimorphisme sexuel. Il a toutefois pu être observé que les femelles sont pourvues d'un ovopositeur de 2,5 mm de long environ.
Résultats : régime des adultes différent de celui du charançon...
Les six adultes positionnés sur le milieu nutritif sont tous morts rapidement : les exigences alimentaires de l'insecte adulte diffèrent donc de celles du charançon rouge. C'est cohérent avec le fait que les adultes se nourrissent aux dépens de la partie épigée (verte) du coeur, par décapage de la cuticule. Rappelons que les adultes de charançon se nourrissent, eux, plus en profondeur.
Ces adultes morts de P. dactyliferae ont été étalés et placés en collection de référence.
Activité nocturne et vie en colonie
Les adultes posés manuellement sur le palmier se sont vite installés dans les pliures des palmes, à l'abri de la lumière. Ceux déposés à son pied sont restés dans les boîtes jusqu'à la tombée de la nuit, puis ont grimpé le long du stipe pour rejoindre la partie épigée du coeur. Après quelques jours, les premiers dégâts sont observables sur le coeur du palmier avec présence de sciure fine.
Les notations réalisées les jours suivants montrent que les adultes sont actifs la nuit et évitent la lumière du jour. C'est sans doute pourquoi les palmiers situés à l'ombre ont été préférentiellement attaqués. Il conviendra de tenir compte de ce paramètre pour la détection des palmiers atteints sur les sites contrôlés ainsi que dans la stratégie de positionnement des traitements.
Les adultes, comme les larves, vivent en groupe ; les colonies peuvent être de taille importante. Aucun cannibalisme n'a été observé chez les larves.
Plusieurs générations par an, potientiel dévastateur important
Les générations sont rapides, environ un mois à 20 °C. Elles semblent se succéder tant que les conditions météorologiques sont favorables. Chapin & Germain ont évoqué, dans un article paru en 2005, que l'insecte avait survécu aux températures de l'hiver 2004-2005 de Saint-Jean-Cap-Ferrat lors de la toute première infestation.
Toutefois, la forme de conservation hivernale n'a pas encore été déterminée. Un travail est actuellement en cours.
Au laboratoire (température ambiante 22 °C), six générations d'adultes et cinq générations de larves ont ainsi pu être étudiées entre les mois de juin et décembre 2012. Sur les jeunes palmiers utilisés au laboratoire, une génération d'adultes et une génération de larves suffisent à tuer le végétal, d'où un potentiel dévastateur très important.
Mi-janvier 2013, des insectes vivants sont toujours observables grâce à l'amélioration des techniques d'élevage. Leur suivi régulier permet peu à peu de compléter les données concernant leur cycle de reproduction et leur biologie.
Comportement alimentaire : attiré par l'odeur
Des premières observations ont permis de caractériser le comportement alimentaire de Pistosia dactyliferae ainsi que son pouvoir invasif :
Le démontage d'un palmier a montré que les adultes comme les larves de cette espèce se nourrissent aux dépens de la partie épigée du coeur. Cependant, des traces de nutrition sont également visibles sur les bases des palmes encore vertes, et ce sur toute la hauteur du stipe.
La population d'élevage s'accroît rapidement dès la mise à disposition d'un nouveau palmier. La migration des adultes se fait dans les heures qui suivent, l'observation des décapages dans les trois jours. Il en est de même lors de l'ajout de matière végétale fraîche : celle-ci se traduit par une visite d'adultes très rapide.
La présence de palmiers visibles par l'insecte mais non détectables par l'odeur (extérieur de la cage ou boîte hermétique) n'entraîne pas de comportement migratoire d'adultes.
L'étude de la biologie continue
Des tests alimentaires vont être réalisés avec d'autres espèces de palmiers dans les semaines à venir.
La population d'insectes produits au laboratoire va également permettre de déterminer le sex-ratio et d'observer les accouplements.
Recherche de moyens de protection
Au laboratoire, Beauveria bassiana prometteur
La maîtrise de l'élevage doit permettre la réalisation d'expérimentations avec le champignon B. bassiana en milieu semi-naturel. Des premiers tests avec la souche 111 B005 (isolée d'un charançon et en cours de test sur le charançon rouge R. ferrugineus comme rapporté par S. Besse & al. en 2012) ont été réalisés au laboratoire. Ils ont conduit à la mort et à l'apparition de mycoses sur les adultes contaminés. Beauveria bassiana pourrait donc apparaître comme un bon candidat dans la lutte biologique contre P. dactyliferae.
Après la taille, broyage indispensable
D'autre part, le pouvoir invasif et polyphage de l'insecte ne doit pas être négligé. Etant de petite taille, il peut facilement être transporté dans les déchets de taille des palmiers. Le broyage paraît intéressant et recommandable avant évacuation.
Lors des inspections, il convient de s'intéresser aux sujets adultes mais aussi aux semis naturels (Phoenix et Chamaerops). Ces derniers peuvent héberger suffisamment d'insectes pour que l'invasion reprenne l'année suivante.
Enfin, le COPIL CRP a très rapidement organisé des inspections dans le secteur de Saint-Jean-Cap-Ferrat afin de déterminer l'étendue de ce nouveau foyer. Sa surface a, pour l'instant, été estimée à plus de 17 hectares suite aux deux premières campagnes de prospections effectuées de septembre à décembre 2012.
Information large
En accord avec la commune de Saint-Jean Cap-Ferrat, partenaire du COPIL azuréen, des réunions publiques d'informations ciblées ont été organisées pour sensibiliser et mobiliser les propriétaires privés d'une part, et les professionnels en charge de la gestion et de l'entretien de ces jardins d'autre part.
Projet de test de deux souches de B. bassiana
À l'issue de cette première phase d'information et d'alerte, et dans l'objectif d'empêcher la propagation de cette nouvelle infestation, un projet de mise en oeuvre d'un protocole expérimental de lutte biologique a été lancé. Il permettra de tester deux souches de Beauveria bassiana : la 147 (substance de l'Ostrinil, autorisé sur palmier contre le papillon Paysandisia archon et en cours de tests sur le charançon rouge) et la 111 B005. Il a été élaboré sous la supervision scientifique et technique de l'Astredhor (Institut technique de l'horticulture).
Le COPIL azuréen l'a soumis pour avis et validation à la commune de Saint-Jean-Cap-Ferrat, dans le cadre d'un processus transversal, et aux services compétents de la DGAL (Direction générale de l'alimentation).
Suite à l'accord de la Commune et à l'avis de principe favorable de la DGAL, le projet de protocole expérimental définitif (visant un organisme encore non réglementé) est en cours de préparation.
Il sera finalisé au printemps 2013. Il sera supervisé au plan scientifique et technique durant sa mise en oeuvre (3 ans sur les zones délimitées), par l'Astredhor. Il associera, dans le cadre d'une convention multipartite, le COPIL azuréen, la commune de Saint-Jean-Cap-Ferrat, les propriétaires et les professionnels agréés volontaires, ainsi que l'entreprise Natural Plant Protection (N.P.P., groupe Arysta LifeScience), fabricante des souches de Beauveria mentionnées, et le laboratoire Vegetech, expérimentateur.
Les résultats de ce travail seront soumis, au fur et à mesure de leur compilation, à la validation de la DGAL qui sera étroitement associée à ces travaux.