S. asparagi à l'oeil nu Femelles de S. asparagi photographiées en octobre 2012. Noter la coloration orangée avec les macules sombres. ph. A. Migeon
Dégâts observés 2- Culture d'asperges sous serre montrant des symptômes de S. asparagi : plantes jaunies, entoilements et accumulations de tétranyques. 3- Phénomène de « ballooning » à l'extrémité des tiges. Il s'agit d'un amas de tétranyques qui pourra ensuite être dispersé par le vent. Photos : A. Migeon
En France, les asperges étaient jusqu'ici cultivées surtout en plein champ ou sous tunnel plastique froid. Mais le récent développement des serres photovoltaïques, qui sont des serres verre non chauffées, amène à redéployer de nouvelles cultures sous ces serres.
Parmi ces cultures figurent les asperges. Or, de nouvelles méthodes de production peuvent entraîner l'émergence de nouveaux ravageurs, soit exotiques soit présents discrètement jusqu'alors mais favorisés par ces nouvelles conditions.
Serait-ce le cas avec l'acarien tétranyque Schizotetranychus asparagi, trouvé sur asperge en France en 2012 ? En tout cas, la découverte est à analyser.
Pour situer S. asparagi
Parmi 1272 espèces dont neuf sur Asparagus
Les tétranyques, ou plutôt Tetranychidae, constituent la principale famille d'acariens ayant une importance agronomique avec 1 272 espèces. Plus d'une centaine peuvent être considérées comme des ravageurs, et une dizaine comme des ravageurs de premier ordre de par le monde.
Sur l'ensemble des plantes du genre Aspara gus (Asparagaceae), seules neuf espèces ont été signalées (Migeon & Dorkeld, 2006-2012). Certaines sont plus ou moins généralistes comme Tetranychus urticae (Koch, 1836), espèce polyphage la plus répandue sur les cultures tempérées (« araignée rouge », « tétranyque tisserand », etc.). Mais il en existe aussi deux qui sont spécialisées sur ce genre végétal. Ce sont Tetranychus umalii Rimando, 1962, présent uniquement aux Philippines et Schizotetranychus asparagi (Oudemans, 1928) (photo 1) plus largement répandu de par le monde.
Octobre 2012, sous serre verre
Cette dernière espèce a été découverte en octobre 2012 dans le département des Pyrénées-Orientales sur une culture d'asperges cv. Vitalim (Asparagus officinalis) en serre verre non chauffée.
Éléments de biologie
Répartition géographique
Schizotetranychus asparagi a été décrit sous serre aux Pays-Bas (Oudemans, 1928) sur l'asparagus ornemental « Asparagus sprengeri ». Il a été mentionné en Allemagne (Jeppson et al., 1975), sans y être considéré comme un ravageur. Aux états-Unis (Californie et Floride), il a pu occasionner des dégâts entre les années 1930 et 1950 notamment sur Asparagus ornementaux (Pritchard, 1949 ; McGregor, 1950).
En plein champ, S. asparagi est commun en Afrique australe (Afrique du Sud, Malawi, Zimbabwe) (Meyer, 1974 ; Meyer, 1987) mais a aussi été trouvé à quelques reprises en Australie (Davis, 1968), à Puerto Rico et aux Iles Hawaï (Pritchard & Baker, 1955) et, plus près de nous, au Portugal (Carmona, 1970), au Maroc (Saba, 1973) et en Israël (Ben-David et al., 2007).
Plantes-hôtes : le genre Asparagus
Une étude exhaustive de la littérature disponible fait ressortir que S. asparagi est spécialisé sur les plantes du genre Asparagus.
Hors de l'Afrique australe, on ne le rencontre que sur A. officinalis, l'asperge cultivée verte ou blanche, et sur deux espèces ornementales : A. spinescens, nom valide actuel de l'A. sprengeri d'Oudemans et des fleuristes et A. plocamoides, nom valide actuel de l'A. plumosus des fleuristes. En revanche, dans le sud de l'Afrique, il est présent sur six autres espèces sauvages.
Signalons aussi qu'il est parfois cité comme un ravageur des pépinières d'ananas... Mais nous n'avons pas trouvé l'origine de cette information pourtant souvent reprise dans la littérature.
Origine, l'hypothèse Afrique du Sud
L'analyse :
1. de la distribution de cette espèce avec une prépondérance en Afrique du Sud,
2. du spectre des plantes hôtes avec la plus grande variété en Afrique du Sud,
3. et de la présence d'un foyer de diversité des Asparagus en Afrique du Sud (Fukuda et al., 2005) nous amène à émettre l'hypothèse d'une origine sud-africaine de cette espèce.
Elle se serait dispersée à la faveur du commerce des Asparagus ornementaux (A. spinescens et A. plocamoides) originaires de cette région et aurait secondairement migré sur nos asperges.
On sait bien peu de choses...
Que savons-nous de sa biologie, de sa vitesse de développement, de ses préférences thermiques, de sa résistance au froid ? La réponse est rapide : rien ! En effet, aucune étude n'a été publiée sur ce sujet.
Les enjeux économiques n'ont certainement pas été suffisants pour les justifier. En effet, en Afrique du Sud d'où semble originaire cet acarien et où il est relativement fréquent, la culture des asperges est peu répandue avec une production annuelle de seulement 1 120 t (http://www.cherryfestival. co.za/asparagustrue.html).
Symptômes et dommages
Vu en fin de saison
Nous disposons seulement d'une description succincte des dégâts occasionnés et d'une liste de prédateurs observés (Meyer, 1996). Comme pour d'autres tétranyques, les attaques passent souvent inaperçues en début de saison. Les densités sont faibles et leur petite taille (500 μm) ne permet pas toujours de les déceler à l'oeil nu. Meyer (1996) signale des dégâts sur turions, mais les populations semblent se concentrer surtout sur les parties aériennes.
Nos observations, réalisées fin octobre sous serre dans le département des Pyrénées-Orientales, montrent des cladodes jaunies (photo 2), un entoilement important et de fortes densités aux extrémités des pousses (photo 3).
Ballooning et dispersion
Ce phénomène dit « ballooning » (Jeppson et al., 1975) intervient dans la dispersion des populations de tétranyques lorsque les conditions trophiques ou environnementales se détériorent. Nous ignorons les paramètres à l'origine de ce cas précis. Ce pourrait être une combinaison de plusieurs facteurs due à la fois à la sénescence des plantes, leur surexploitation par les acariens et/ou une baisse des températures et de la durée du jour.
Comment le reconnaître
À l'oeil nu
Schizotetranychus asparagi est présent le long des tiges et des cladodes. Sa couleur varie du vert foncé teinté d'orange pour les jeunes stades à l'orange foncé avec deux macules noires latérales allongées pour les adultes (photo 1). Les oeufs sont également orange. Cette coloration le rapproche de Tetranychus evansi, Baker & Pritchard (1960) signalé sur la tomate et l'aubergine, parfois en forte densité comme dans la région niçoise (Migeon, 2008). Cependant, les spectres de plantes hôtes sont différents.
Au microscope
Les femelles portent des soies dorsales courtes (photo 4), la forme de l'empodium, qui se trouve à l'extrémité des pattes, est typique du genre Schizotetranychus avec une griffe divisée en deux, et l'édéage du mâle est caractéristique (photo 5). Un montage entre lame et lamelle pour une observation au microscope est nécessaire pour une détermination fiable.
Risques potentiels et possibilités d'intervention
Dans un contexte d'introductions en hausse
Nous assistons à une augmentation des introductions d'espèces en Europe avec une proportion croissante d'espèces tropicales (Navajas et al., 2010). Schizotetranychus asparagi serait encore une espèce semi-tropicale, plutôt montagnarde mais avec des affinités méditerranéennes et tempérées sèches caractéristiques de l'Afrique du Sud. La découverte de ce nouveau ravageur dans les Pyrénées-Orientales ne doit pas susciter trop d'inquiétudes pour les cultures de plein champ. Il n'a été trouvé qu'à une occasion et sous serre.
Simulation : installation possible le long de nos côtes méridionales
Pour évaluer les risques d'installation nous avons effectué une simulation de sa répartition potentielle à l'aide du modèle Bioclim implanté dans DIVA (http://www.diva-gis.org/ ver. 7.5.0) en nous basant sur l'ensemble des occurrences recensées. Les conditions climatiques utilisées sont issues de Worldclim (Hijmans et al., 2005) et sont les moyennes 1950-2000.
Le faible nombre d'occurrences en dehors de l'aire native limite la portée de ces prévisions en n'explorant pas la totalité de la niche écologique de l'espèce mais seulement les zones climatiquement semblables à l'aire d'origine et aux quelques points étrangers à cette aire. Les résultats représentent donc l'aire minimale potentielle. À l'échelle de l'ouest du bassin méditerranéen (carte p. 39), ils font cependant ressortir des potentialités élevées d'installation sur les côtes.
En France, ces potentialités sont limitées à la Corse et à quelques zones des Pyrénées-Orientales, du Var, des Alpes-Maritimes et dans une moindre mesure à la côte basquo-landaise.
Cette modélisation ne peut bien évidemment pas prendre en compte le facteur humain et principalement la dissémination passive de l'espèce à la faveur du commerce des turions ou des griffes. La découverte éventuelle de nouvelles populations françaises en 2013 permettrait d'affiner ce scénario.
Mesures à prendre : prophylaxie à appliquer aujourd'hui, prédateur, peut-être, à étudier pour demain
Pour limiter l'extension de ce ravageur et son incidence sur les cultures, plusieurs mesures peuvent d'ores et déjà être prises. En l'absence d'acaricide homologué sur cette culture, seules des techniques biologiques ou prophylactiques peuvent être envisagées.
La première mesure que nous puissions préconiser vise à limiter l'inoculum d'une saison à l'autre. Pour cela, les parties aériennes doivent être exportées et détruites et non pas laissées sur place lors de la coupe hivernale. Cette mesure nous paraît importante dans le cadre d'une culture pérenne pour éviter une possible amplification des infestations au fil des ans.
Dans les colonies de S. asparagi nous avons également observé plusieurs individus de Phytoseiulus persimilis Athias-Henriot, 1957, un acarien prédateur de la famille des Phytoseiidae. Ceci n'est cependant pas suffisant pour confirmer une possibilité de prédation par cet auxiliaire et pour envisager son utilisation en lutte biologique sans études complémentaires.
Surveiller et étudier, merci de signaler
Comme nous l'avons indiqué, rares sont les connaissances disponibles sur cet acarien. Le foyer détecté en 2012 est le premier en Europe depuis les années 1970.
Dans un contexte de réchauffement climatique, l'absence d'incidence passée ne préjuge pas de l'innocuité actuelle d'une espèce. Pour évaluer ce risque, la première étape sera de pouvoir poser un diagnostic précis de sa répartition actuelle en France. Pour cela nous invitons les lecteurs qui rencontreront des acariens inhabituels sur asperges à nous les signaler (tél. 04 99 62 33 67). C'est obligatoire et utile (encadré 1). Un site web donne des indications (encadré 2), mais il faudra transmettre un échantillon pour fiabiliser toute identification.
Cette année 2013 nous permettra de suivre la culture tout au long de son cycle et d'avoir ainsi une connaissance plus précise de la période de développement des populations, donc une meilleure idée des dommages encourus par la culture. En effet, si les densités restent peu élevées durant le cycle et n'explosent qu'en fin de saison lorsque la plante a reconstitué ses réserves, l'incidence sur la qualité de la récolte sera nulle.
Nous souhaitons aussi mettre en oeuvre des expérimentations en laboratoire, afin notamment de quantifier la résistance au froid et au stress hivernal de l'espèce en région méditerranéenne. Ce dernier facteur est en effet déterminant dans l'implantation des espèces tropicales ou subtropicales dans nos régions.
<p><b>Remerciements : </b>Nous remercions Mmes Felicia Fruhling (Agrisud Perpignan) et Emilie Martin pour leur réactivité dans la détection de ce nouveau ravageur.</p>
1- De l'utilité des déclarations
En France, la découverte d'un nouveau ravageur est soumise à une obligation de déclaration aux organismes de protection des végétaux (article L.251-6 du code rural).
Cette déclaration a pour but de déclencher la mise en place de mesures protection du territoire si nécessaire dans le but de protéger notre agriculture. Elle permet aussi de suivre les arrivées de nouveaux ravageurs et en analysant les causes possibles ou probables d'introduction, de limiter la pénétration de nouvelles espèces exotiques.
Enfin elle permet d'engager des travaux scientifiques qui aideront à mieux connaître ces nouvelles espèces et ainsi adopter des méthodes de lutte appropriées, plus efficaces et donc moins coûteuses.
2 - Spider Mites Web tous les liens sur les Tetranychidae
Spider Mites Web, base de données gratuite consultable sur le web, a été développée au CBGP de Montpellier par une équipe INRA (Alain Migeon et Frank Dorkeld). Son ambition : fournir l'intégralité des informations de plantes-hôtes, distribution et taxonomie relatives à la famille des Tetranychidae. Elle regroupe l'ensemble des 1 272 espèces actuellement connues.
Pour chacune des 1 272, sont disponibles la liste de toutes ses plantes-hôtes connues (12 352 liens) ainsi que sa distribution mondiale (5 561 liens). Les recherches peuvent être effectuées par espèce ou en croisant différents critères de distribution et plantes-hôtes.
Les mises à jour sont effectuées deux à trois fois par an. Cette base de connaissances sert de référence pour plusieurs organismes nationaux français mais aussi américains ou australiens de protection des cultures, ainsi que pour les organismes internationaux de réglementation et de protection des plantes.
http://www1.montpellier.inra. fr/CBGP/spmweb