Le DFF, alias diflufénican, est utilisé notamment pour désherber les céréales. Cet antidicotylédones est réputé augmenter l'effet des antigraminées auquel on l'associe. Est-ce vrai ? Si oui, à quel niveau ? Et quel est l'effet de la nouvelle formulation dite Oxatech ? Réponses.
Pourquoi ce travail
Une réputation flatteuse, mais à vérifier
L'évolution des techniques culturales et des rotations et l'émergence de populations de graminées moins sensibles aux herbicides sont à la base d'une augmentation des populations de graminées dans les champs cultivés. Agriculteurs, techniciens, instituts se mobilisent autour de la lutte contre ces adventices dans les céréales d'hiver.
Or, les techniciens relatent de fréquentes interactions positives entre les antigraminées de modes d'action variés (urées substituées, inhibiteurs de l'ALS, etc.) et les herbicides à base de diflufénican aux doses présentes dans les produits de prélevée et en application foliaire de postprécoce et de sortie d'hiver. Mais personne n'avait récemment mené d'études spécifiques sur ce sujet.
Que se passe-t-il avec la nouvelle formulation ?
Parallèlement, lors du développement de la nouvelle formulation EC Oxatech, nous avons mis en évidence que le diflufénican sous cette formulation est plus actif à la dose N (100 g/ha) que le diflufénican SC à la dose 2N sur les dicotylédones étudiées (Armengaud et al., 2010). Qu'en était-il côté graminées ?
Notre étude a pour but d'analyser l'interaction du diflufénican solubilisé dans la formulation EC Oxatech avec différents antigraminées disponibles et d'en analyser le fonctionnement.
Matériel et méthode
Des parcelles choisies chez des agriculteurs
Les essais sont implantés dans des parcelles agriculteurs naturellement infestées par des populations de graminées suffisamment denses (> 10 pieds par m²) et homogènes.
Les densités très importantes (supérieures à 200 ou 300 pieds par m²) sont écartées car non représentatives de la majorité des situations rencontrées par les agriculteurs. De plus, elles ne permettent pas d'évaluer la sélectivité visuelle sur la culture ni de contrôler les interactions éventuelles sur l'activité antidicotylédones de l'association herbicide utilisée.
Herbicides et doses (Tableau 1)
Les essais portent sur des applications d'automne et sortie d'hiver. Concernant les antidicotylédones, à l'automne nous utilisons soit la dose couramment utilisée, soit deux doses, celle autorisée et celle, inférieure, couramment utilisée. En sortie d'hiver, on a choisi la dose autorisée.
Pour les antigraminées, à l'automne 2010 nous avons appliqué les doses préconisées. Puis nous avons évolué pour mieux déceler d'éventuelles synergies/antagonismes, avec des doses permettant une efficacité « moyenne » des herbicides.
Protocoles (Tableaux 2 et 3)
Les essais comprennent deux ou trois répétitions, en blocs randomisés (parcelles élémentaires de 12 à 20 m²) avec témoins « semi-adjacents » et bandes témoins de contrôle entre blocs. On a réalisé les notations selon la méthode CEB013 (Curé et al., 2012). Le stade des cultures et des adventices est noté selon l'échelle BBCH. Les pulvérisations sont réalisées à l'aide de pulvérisateurs expérimentaux (pression de 2 bars, 250 l/ha de bouillie environ).
Résultats des applications d'automne
Deux difficultés face aux résultats
À l'automne, le DFF a été testé avec des antigraminées à action principalement racinaire : prosulfocarbe (Figure 1 et 2) ou isoproturon (Figure 3).
Dans les résultats présentés, on note deux difficultés.
D'une part, l'amélioration d'efficacité est d'autant plus visible que l'efficacité de l'antigraminée utilisé en solo est faible.
D'autre part, on note une variabilité des efficacités de l'antigraminées utilisé seul. Ainsi, dans l'essai TL111H33 avec du prosulfocarbe, les différences observées sur Avena fatua sont statistiquement significatives (Figure 1) mais, pour des différences de même ordre et le même antigraminées, on n'a pas de différence sur Alopecurus myosuroides en regroupant les essais CE111H33 et CE311H33 (Figure 2). C'est dû à la variabilité d'efficacité du prosulfocarbe (75 % dans un essai, nulle dans l'autre, probablement due au stade des vulpins) : elle rend la différence des résultats non significative alors que l'efficacité augmente bien dans les deux essais.
Pour alléger ces pages, nous ne présentons qu'une sélection de tableaux et figures. Les autres sont disponibles dans Armengaud P. 2013 (voir « Pour en savoir plus » p. 50) ou auprès de l'auteur.
Des améliorations dans tous les cas testés
Les différences observées avec le prosulfocarbe et l'isoproturon sont notables quelle que soit la graminée considérée : A. fatua, A. myosuroides et Lolium multiflorum (Figures 1, 2 et 3). À l'automne, on a aussi testé un antigraminée à base de clodinafoppropargyl, mais sa très bonne efficacité (95 % si utilisé en solo) fait que les améliorations d'efficacités, réelles, sont minimes.
Différences entre la formulation EC « Oxatech » du DFF et la formulation SC
La quantité de diflufénican a un impact sur l'augmentation d'efficacité de la formulation SC. Les différences d'augmentation d'efficacité de Chamois utilisé à 0,8 l/ha (64 g/ha de diflufénican) comparées à celle obtenues à 1,5 l/ha (120 g/ha de diflufénican) sont faibles, mais une tendance se manifeste dans le même sens pour chaque trio, antigraminée (isoproturon, prosulfocarbe et clodinafop-propargyl), dose et graminée (A. myosuroides, L. multiflorum et A. fatua) : elle est en faveur de 120 g/ha contre 64 g/ha (Figures 1, 2 et 3).
Cette influence de la quantité de substance active ne se retrouve pas avec le diflufénican en formulation Oxatech. Brennus Plus (dit aussi Pirogue) utilisé à 1,125 l/ha (30 g/ha de diflufénican) et à 2 l/ha (54 g/ha de diflufénican) apporte toujours un plus en efficacité, mais le différentiel se manifeste tantôt en faveur de la forte quantité de substance active, tantôt en faveur de la faible. La formulation EC Oxatech joue un rôle : Chamois utilisé à 0,8 l/ha (64 g/ha de diflufénican en SC) et Brennus Plus à 1,125 l/ha (30 g/a de diflufénican en Oxatech) montrent une amélioration de l'efficacité tantôt en faveur de la formulation SC, tantôt en faveur de la formulation EC Oxatech, et deux cas d'égalité quasi parfaite.
La comparaison entre 120 g de diflufénican SC (Chamois 1,5 l/ha) et 54 g de diflufénican EC Oxatech (Brennus Plu s à 2 l/ha et PHF0925 à 2 l/ha) nous montre un différentiel entre les trois herbicides faible, avec un très léger avantage aux 120 g de diflufénican de la formulation SC.
Résultats obtenus lors des traitements en sortie d'hiver
Le DFF aide d'autant plus l'antigraminées... que ce dernier en a besoin
Au vu des résultats des traitements d'automne, nous avons modulé la dose d'antigraminée dans les essais de sortie d'hiver de façon à viser des efficacités moyennes pour mieux mettre évidence un éventuel effet sur l'efficacité antigraminées.
De fait, l'amélioration d'efficacité pour l'AG6 (mésosulfuron-méthyl + iodosulfuron-méthylsodium, Figures 5 et 7), l'AG7 (pyroxsulame, Figure 4) et AG2 (clodinafop-propargyl, Figure 6) utilisés en sortie d'hiver est d'autant plus visible que l'efficacité de l'antigraminée utilisé en solo est faible.
Résultats sur vulpin
Sur A. myosuroides, le DFF améliore l'efficacité du pyroxsulam (AG7, Figure 4) et du mélange de sulfonylurées (AG6, Figure 5) ; l'efficacité du clodinafop (AG2) seul était trop bonne pour être améliorée (figure non présentée).
La présence ou non de bromoxynil et ioxynil dans la formulation Oxatech n'a pas d'impact net sur l'amélioration d'efficacité antigraminées apportée par le diflufénican. Brennus Plus à 2 l/ha (soit 54 g de diflufénican plus les deux autres substances) ou PHF0925 (soit 54 g/ha de diflufénican seul) montrent une nette amélioration d'efficacité sur graminées, en faveur de Brennus Plus dans deux cas sur quatre.
Par ailleurs, l'effet de Chamois montre une plus grande variabilité que ceux de Brennus Plus ou de PHF0925 (Figure 5).
Résultats sur ray-grass, Oxatech et SC
Sur L. multiflorum, l'amélioration d'efficacité se manifeste sur les différents antigraminées testés (AG2 et AG6) pour Brennus Plus et PHF0925. Chamois a un effet positif sur AG2 (clodinafop, Figure 6)... mais négatif sur AG4 et AG5 (contenant du pinoxaden, protocole 3, figures non montrées), AG6 (mésolsulfuron + iodosulfuron, Figure 7) et AG7 (pyroxsulame, figure non présentée). Ainsi, la formulation Oxatech apporte systématiquement un plus, la formulation SC a des effets variables.
Récapitulons
Une amélioration globale
L'efficacité des antigraminées ici utilisés en application foliaire à l'automne et en sortie d'hiver est améliorée par l'utilisation d'herbicides à base de diflufénican. Cette augmentation d'efficacité est plus marquée quand l'antigraminée a une efficacité médiocre avec, en sortie d'hiver, un poids marqué de la formulation.
À l'automne, DFF toujours utile, et Oxatech permet de baisser sa dose
À l'automne, avec les antigraminées testés (isoproturon, prosulfocarbe et clodinafop-propargyl), l'augmentation de la dose de diflufénican (64 g versus 120 g) a une influence positive sur l'augmentation des efficacités observées dans la formulation SC (suspension concentrée) de Chamois. Nous ne retrouvons pas cet effet dose pour la formulation EC Oxatech de Brennus Plus, 30 g de diflufénican apportant un gain d'efficacité comparable à 54 g.
Enfin, ce dernier produit utilisé à 1,125 l/ha apporte un gain comparable à Chamois utilisé à 0,8 l/ha. Autrement dit, 30 g/ha de diflufénican en formulation Oxatech apporte un gain d'efficacité comparable à 64 g/ha de diflufénican en formulation SC. Ce ratio avait également été observé sur dicotylédones (Armengaud et al., 2010).
En sortie d'hiver, résultats plus dispersés et Oxatech sécurise
En sortie d'hiver, avec les antigraminées testés (clodinafoppropargyl, mésosulfuron-méthyl + iodosulfuron-méthyl-sodium et pyroxsulame), les améliorations d'efficacité obtenues pour les formulations suspension concentrée et granulé dispersable sont plus fluctuantes. Elles varient en fonction de la graminée et de l'antigraminée utilisé. Mais la formulation Oxatech apporte une plus grande sécurité dans la biodisponibilité du diflufénican (il est dissous) que la formulation SC (il est sous forme de particules d'une taille proche du micron) dans laquelle le diflufénican a besoin de se solubiliser pour pouvoir pénétrer dans la plante et jouer son rôle. Cet aspect avait été précédemment mis en évidence sur dicotylédones (Armengaud et al., 2010 ; Kirby, 1991).
Quand le difluénicanil est dans la formulation Oxatech, la présence conjointe, dans cette formulation, de diflufénican sous forme dissoute et de l'ADJ2 (Armengaud et al., 2013), sécurise le gain d'efficacité obtenu en le rendant plus robuste. Il se manifeste quasiment dans toutes les situations.
Fig. 1 à 7 : Résultats d'essais
Dans toutes les figures : en jaune, efficacité d'un antigraminées appliqué seul ; en vert, effet de l'association avec un herbicide à base de DFF.
Figures 1 et 2. Désherbage d'automne, effet sur l'efficacité du prosulfocarbe sur folle-avoine (Fig. 1) et vulpin (Fig. 2).
Figure 3. Désherbage d'automne, effet sur l'efficacité de l'isoproturon (IPU) sur ray-grass.
Figures 4 et 5. En sortie d'hiver, effet sur l'efficacité du pyroxsulame (Fig. 4) et d'un mélange de sulfonylurées (Fig. 5) sur vulpin.
Figures 6 et 7. Sortie d'hiver, effet sur l'efficacité du clodinafop (Fig. 6) et de sulfonylurées (Fig. 7) sur ray-grass.
NS = pas de différence significative entre modalités.