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Insectes ravageurs invasifs : le point sur les espèces introduites

MICHEL MARTINEZ*, JEAN-FRANÇOIS GERMAIN** ET JEAN-CLAUDE STREITO*** - Phytoma - n°677 - octobre 2013 - page 18

D'après la deuxième partie d'une communication au colloque AFPP « Ravageurs et insectes invasifs et émergents », à Montpellier, le 21 octobre 2014. Inventaire de 75 introductions signalées, dont 61 survenues depuis neuf ans.
Ci-dessus, Icerya seychellarum (cochenilles des Seychelles) femelles. Cet hémiptère (voir Tableau 3) a été introduit en 2006.      Vignette haut de page, adulte de Scyphophorus acupunctatus, coléoptère (voir Tableau 1) introduit en 2007. Photo : J.-F. Germain - Anses

Ci-dessus, Icerya seychellarum (cochenilles des Seychelles) femelles. Cet hémiptère (voir Tableau 3) a été introduit en 2006. Vignette haut de page, adulte de Scyphophorus acupunctatus, coléoptère (voir Tableau 1) introduit en 2007. Photo : J.-F. Germain - Anses

Rhynchophorus ferrugineus adulte et larve. Le palmier est l'hôte de ce charançon. Photos : J.-F. Germain - Anses

Rhynchophorus ferrugineus adulte et larve. Le palmier est l'hôte de ce charançon. Photos : J.-F. Germain - Anses

Après avoir défini, p. 14 à 17, les introductions d'insectes et les catégories d'espèces concernées puis comparé globalement les introductions en France sur trois périodes, citons certaines espèces sur une période. Il s'agit, parmi les introductions signalées entre juillet 2005 et juin 2014, des espèces dites « d'intérêt agronomique ».

Présentation de l'inventaire

Critères utilisés pour décider l'inclusion dans nos listes

Les critères choisis pour la sélection des espèces de notre liste sont fondamentaux et conditionnent le nombre et les espèces retenues.

Ici, c'est surtout « l'importance agronomique ». Ce critère est subjectif. Nous nous sommes efforcés d'appliquer les mêmes règles de choix que lors de notre synthèse en 2005, afin de pouvoir procéder à des comparaisons.

Dans la présente liste ne sont signalées que des espèces introduites, ravageurs d'intérêt agronomique, d'origine extra-européenne (ou non pour quelques-unes d'entre elles), disséminées ou non encore disséminées sur notre territoire, mais qui y ont accompli au minimum un cycle de reproduction.

Mise en forme choisie

Pour des raisons de lisibilité, nous avons fractionné notre liste en quatre tableaux :

– Tableau 1, les ordres des Blattodea (une espèce) et Coleoptera (coléoptères) ;

– Tableau 2, les Diptera (diptères) ;

– Tableau 3, les Hemiptera (hémiptères) ;

– Tableau 4, les Hymenoptera (hyménoptères), Lepidoptera (lépidoptères) et Thysanoptera (thysanoptères).

Chaque tableau présente par colonne les ordres et familles, puis les genres et espèces. Une troisième colonne donne la date de la découverte en France(1), une quatrième la région d'origine connue ou supposée.

Dans la cinquième colonne sont indiquées la ou les plantes-hôtes (famille, genre et/ou espèce) pour les espèces phytophages (de loin les plus nombreuses). Les espèces polyphages sont signalées dans cette colonne. Les données inédites qui à notre connaissance n'ont jamais fait l'objet de publication sont en caractère gras.

Bilan des 75 espèces listées

Avertissement de lecture : en fait, 61 introduites à partir de juillet 2005 et 14 en « session de rattrapage »

Outre les 61 espèces introduites durant la période allant de juillet 2005 à juin 2014, nos tableaux incluent 14 espèces introduites, en réalité, avant 2005 : articles qui nous avaient échappé ou bien données publiées après 2005 mais faisant référence à des introductions plus anciennes.

Dans les calculs statistiques qui suivent (voir Figures 1 à 4), nous n'avons pas intégré ces 14 espèces, mais uniquement les 61 introduites à partir de juillet 2005. Nous avons commencé notre statistique en juillet 2005 car notre précédente synthèse s'arrêtait en juin de cette année-là.

Évolution du nombre d'espèces introduites

Sur la période 2000-juin 2005 nous avions recensé l'introduction de 41 espèces d'intérêt agronomique, en très nette augmentation (environ 500 %) par rapport à la période précédente (1994-1999, Streito et Martinez, 2005).

Sur un pas de temps comparable : 2005- 2010, nous avons recensé 47 espèces. On note donc une légère augmentation mais pas significative compte tenu des difficultés pour dresser une liste objective.

Sur la période 2011-2014 (durée de trois ans et demi), 14 espèces ont complété la liste. C'est relativement peu. On n'observe pas la progression exponentielle redoutée au vu des résultats précédents. Mais le nombre d'introductions reste à un niveau élevé.

À propos de la composition faunistique (Figures 1 et 2), les constats

Sept ordres d'insectes sont concernés par ces introductions et cinq d'entre eux (exceptés les hyménoptères et le Blattodea) figurent parmi les plus importants en tant que ravageurs (Figure 1).

Au contraire de la période précédente, plusieurs espèces de diptères (six dont deux très dommageables) ont été introduites. Avec 35 espèces introduites depuis juillet 2005(2), les hémiptères (Figures 1 et 2) gardent leur place prépondérante : presque 60 % des introductions.

Il y a d'abord les cochenilles (14 espèces), mais la plupart des groupes d'hémiptères phytophages (aleurodes, pucerons, psylles, hétéroptères, cicadelles) sont représentés ; ceci avait été constaté également sur des précédentes listes.

À noter : on a toujours peu d'hyménoptères (Tableau 4 p. 22), mais les deux espèces ont une importance majeure en agronomie. Ce sont le frelon asiatique (Vespa velutina nigrithorax), qui attaque les abeilles, et le cynips du châtaignier (Dryocosmus kuriphilus).

Les explications possibles

Concernant les introductions d'intérêt agronomique, la répartition des espèces introduites par ordre n'est pas en rapport avec la richesse faunistique mais reflète plutôt les circuits commerciaux et les filières d'introduction ainsi que les traits de vie des insectes concernés.

Les ordres comprenant des ravageurs sont mieux représentés que les autres (hémiptères : 60 % des introductions entre 2005- 2014 alors qu'ils ne représentent que 10 % des espèces d'insectes), ceux comprenant des espèces discrètes étroitement associées à leur plante-hôte (hémiptères Coccoidea) également, de même que ceux comprenant des espèces qui fréquentent les lieux anthropisés notamment à la recherche d'endroits propices pour hiverner (frelon asiatique, punaise Halyomorpha halys...).

Ces comportements qui favorisent le transport expliquent, au moins partiellement, que le nombre d'espèces de diptères invasifs ne soit pas plus important (9,8 % des invasions sur la période 2005-2014 alors qu'ils représentent plus de 22 % des espèces).

À l'échelle européenne, l'étude Daisie montre le même décalage entre la richesse faunistique et les invasions. Ainsi les thrips sont représentés par 573 espèces en Europe dont 52 espèces allochtones (9,1 %), ce qui est beaucoup plus que les diptères représentés par environ 19 400 espèces européennes dont seulement 98 allochtones (0,6 %).

Origine géographique des espèces (Figure 3), la croissance asiatique

L'importance des espèces asiatiques continue à augmenter et dépasse à présent les 50 % des introductions.

Les introductions ayant pour origine l'Amérique du Nord représentent 14,8 % alors qu'elles étaient de 35 % dans la liste établie en 2000 et seulement 5 % en 2005.

Celles ayant pour origine l'Australasie représentent 9,8 % (19,5 % en 2005 et 2 % en 2000).

Les espèces invasives sont toujours peu nombreuses en provenance d'Afrique : deux espèces dont une d'Afrique du Nord. Notons que sur la période 2005-2014 nous avons recensé sept espèces introduites en provenance de régions d'Europe (Balkans, Europe de l'Est ou îles Canaries).

Plantes-hôtes ou filières culturales touchées, l'ornemental reçoit les trois quarts des espèces (Figure 4)

Nous avons classé les introductions par filière. Comme lors de l'inventaire précédent, la majorité des introductions (près de 75 %) concernent des plantes ligneuses (arbres et arbustes) et des palmiers.

Il s'agit essentiellement d'essences ornementales. Pour mémoire, ce pourcentage était de 5 % pour la période 1950-1999, mais il atteignait 61 % sur 2000-2005. Les filières ornementales sont concernées par plus de 70 % des introductions, la forêt seulement 6,6 %. Les palmiers et les bambous continuent à être fortement impactés.

Les cultures alimentaires sont moins touchées en nombre d'espèces (arboriculture : 6 ; viticulture : 2 ; maraîchage : 1 ; grande culture : 1).

L'arboriculture et le maraîchage subissent le plus de dégâts

Toutefois ces chiffres masquent la réalité agronomique. En effet si, en nombre d'espèces, l'arboriculture et le maraîchage sont relativement peu touchés, en termes de dégâts ce sont deux filières très fortement impactées par des invasions biologiques sur la période considérée.

Les arboriculteurs ont dû faire face à l'invasion très rapide de l'Europe par Dryocosmus kuriphilus, Drosophila suzukii et Rhagoletis completa ; les maraîchers à Tuta absoluta.

Enfin si Halyomorpha halys, encore très peu répandue, se comporte en France comme elle le fait aux États-Unis, les pertes en arboriculture voire en cultures protéagineuses pourraient être importantes.

<p>(1)Les années indiquées correspondent soit à la date de la première détection connue de l'espèce sur notre territoire (cette date peut être différente de celle de la publication qui fait état de la détection) soit à la date de la publication faisant référence.</p> <p>Parfois nous avons fait figurer les deux dates ; la première est alors la date de première détection, la seconde, entre parenthèses, la date de la publication.</p> <p>(2) Trois espèces supplémentaires sont listées dans le Tableau 3 car leur introduction était ignorée en juillet 2005, mais elles avaient en réalité été introduites auparavant.</p>

Fig. 1 : Les hémiptères fournissent la majorité des espèces introduites        Répartition par ordre des introductions d'insectes d'importance agronomique en France pour la période 2005-2014.

Fig. 1 : Les hémiptères fournissent la majorité des espèces introduites Répartition par ordre des introductions d'insectes d'importance agronomique en France pour la période 2005-2014.

Fig. 2 : Parmi les hémiptères, les cochenilles en tête        Répartition des introductions d'hémiptères d'importance agronomique en France pour la période 2005-2014.

Fig. 2 : Parmi les hémiptères, les cochenilles en tête Répartition des introductions d'hémiptères d'importance agronomique en France pour la période 2005-2014.

Fig. 3 : L'Asie, désormais l'origine prédominante        Origine géographique des introductions d'insectes d'importance agronomique en France pour la période 2005-2014.

Fig. 3 : L'Asie, désormais l'origine prédominante Origine géographique des introductions d'insectes d'importance agronomique en France pour la période 2005-2014.

Fig. 4 : Les filières ornementales touchées par la majorité des espèces introduites en France        Filières touchées par des introductions d'insectes d'importance agronomique sur la période 2005-2014. Les végétaux d'ornement (production et usage en espaces verts et jardins), bambous et palmiers compris, sont hôtes de 70 % des espèces introduites.

Fig. 4 : Les filières ornementales touchées par la majorité des espèces introduites en France Filières touchées par des introductions d'insectes d'importance agronomique sur la période 2005-2014. Les végétaux d'ornement (production et usage en espaces verts et jardins), bambous et palmiers compris, sont hôtes de 70 % des espèces introduites.

RESUME

CONTEXTE - Cet article est le deuxième d'une série de trois, chacun rendant compte d'une partie d'une communication des mêmes auteurs à la journée « Ravageurs et insectes invasifs et émergents » organisée par l'AFPP, à Montpellier, le 21 octobre 2014.

INVENTAIRE - Les auteurs dressent une liste de 61 espèces d'insectes d'intérêts économiques introduits ou nouvellement signalés en France métropolitaine durant la période allant de juillet 2005 à juin 2014 inclus. Des graphiques et des tableaux synthétiques commentés donnent le nombre d'espèces par famille pour chaque ordre (sept concernés) puis l'année et l'origine géographique des espèces, ainsi que les plantes-hôtes, catégories culturales concernées ou types de dégâts. Quatorze espèces introduites avant juillet 2005 mais inaperçues alors sont également signalées.

MOTS-CLES - Ravageurs invasifs, insectes, introductions, bilan 2005-2014, inventaire, ordres, espèces, origine géographique, plantes-hôtes.

POUR EN SAVOIR PLUS

AUTEURS : voir p. 17.

CONTACTS : voir p. 17.

LIEN UTILE : www.afpp.net

BIBLIOGRAPHIE : voir p. 25.

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