Ci-dessus, Dryocosmus kuriphilus adulte, le cynips du châtaignier, hyménoptère occasionnant de gros dégâts. Vignette haut de page : frelon asiatique Vespa velutina. Photos : J.-C. Streito - Inra
Tuta absoluta adulte et larve (chenille : c'est un lépidoptère), très nuisible sur solanées. Photos : J.-M. Ramel - Anses
Pour terminer cette revue, voici l'évocation des sept espèces invasives qui se sont fait particulièrement remarquer depuis 2005 ou risquent fort de le faire dans un proche avenir, puis les conclusions générales à tirer de ces trois articles.
Sept invasions agronomiquement notables entre 2005 et 2014
Nous présentons brièvement ici les cas d'invasions que nous considérons comme les plus importants pour l'agriculture française sur la période 2005-2014.
Rhynchophorus ferrugineus (Olivier, 1790) (Coleoptera, Dryophthoridae) : espèce réglementée
Le charançon rouge du palmier est originaire de l'Asie du Sud-Est.
Il a été introduit accidentellement en Europe via l'Espagne en 1992. La France a été contaminée en 2006 avec des premiers signalements en Corse et en PACA.
Depuis, il a colonisé toute la côte de la région PACA, puis les côtes est et ouest de la Corse, le littoral des Pyrénées-Orientales et dans une moindre mesure celui de l'Hérault. Il est à présent établi dans la plupart des pays du Bassin méditerranéen. C'est un ravageur de nombreuses espèces de palmiers, ses larves sont responsables de la mort de milliers de palmiers avec un fort impact économique et environnemental.
Dryocosmus kuriphilus Yasumatsu, 1951 (Hymenoptera, Cynipidae) : espèce réglementée
Le cynips du châtaignier est originaire de Chine. Hors de son aire d'origine, il a été signalé d'abord au Japon d'où il a été décrit et où il a causé d'importants dégâts aux châtaigniers, puis aux États-Unis en 1974 ; premier signalement européen en Italie (Piémont) au début des années 2000.
En France, il a été intercepté à plusieurs reprises à partir de 2007 puis détecté dans le département des Alpes-Maritimes en 2010. Il s'est propagé rapidement dans d'importantes zones castanéicoles en 2010, de la Corse à l'Ardèche en passant par le Var. Il est présent dans toute la France métropolitaine sauf sur une bande frontalière au nord-est. Il se développe sur les espèces du genre Castanea, en Europe sur C. sativa.
Cet insecte provoque la formation de galles sur les bourgeons, ce qui perturbe la croissance des arbres et la production de fruits. Les pertes en production peuvent atteindre 80 %. Un programme de lutte biologique est actuellement développé par l'Inra.
Rhagoletis completaCresson, 1929 (Diptera, Tephritidae) : espèce réglementée
Cette « mouche du brou » est originaire d'Amérique du Nord. Introduite en Italie du Nord et en Suisse à la fin des années 1980, elle a été découverte en France en 2007, en région Rhône-Alpes. Depuis lors, elle a gagné toutes les régions du sud de la France, de l'Auvergne à l'Aquitaine, et a été signalée en Champagne-Ardenne, Alsace et Île-de-France. L'espèce a poursuivi son invasion vers l'Allemagne, la Slovénie et l'Autriche. Elle se développe sur les noyers (Juglans spp.). La femelle pond sur la noix et la larve se développe à l'intérieur des brous entraînant une déformation et un noircissement des fruits. En vergers non ou mal protégés, il peut y avoir jusqu'à 80 % de perte.
Drosophila suzukii Matsumura, 1931 (Diptera, Drosophilidae)
Cette drosophile est originaire d'Asie : Chine, Japon, péninsule coréenne.
Elle a été introduite en Amérique du Nord (2008) et Europe (Italie et France en 2009). En France, les premiers dégâts ont été observés en Corse et en région PACA en 2010. Depuis, elle a envahi tout le territoire métropolitain. Elle est très dommageable aux cerises, fraises, petits fruits (Rubus spp.), à diverses productions fruitières et à la vigne. Au contraire d'autres drosophiles qui s'attaquent à des fruits fragilisés par leur maturité voire leur surmaturité, elle se développe dans des fruits sains en cours de maturation. C'est une des raisons de sa nuisibilité. Elle a des conséquences économiques très importantes.
Tuta absoluta (Meyrick, 1917) (Lepidoptera, Gelechiidae)
Espèce originaire d'Amérique du Sud où elle est largement répandue, sa présence a été décelée pour la première fois en Europe dans la région de Castellón en Espagne, puis en 2008 dans tous les pays de la partie ouest du Bassin méditerranéen.
Elle a progressivement et rapidement envahi le territoire métropolitain et gagné la plupart des pays d'Europe du Nord.
Ce Gelechiidae se développe aux dépens de Solanaceae dont Solanum tuberosum L. (pomme de terre) et surtout Solanum lycopersicum L. (tomate). À son introduction en 2008, il a été très dommageable aux tomates menaçant même la production, mais depuis il est bien contrôlé en cultures sous-abris.
Halyomorpha halys (Stål, 1855) (Hemiptera, Pentatomidae)
Un spécimen de H. halys, dite « punaise diabolique » en Suisse et « punaise marbrée » au Québec, a été capturé par un particulier en août 2012 en Alsace. Il s'agissait du premier signalement en France.
Cette espèce invasive est originaire d'Asie. Elle a été signalée aux États-Unis (2001), au Lichtenstein (signalement unique en 2004), en Suisse (2007), en Allemagne (signalement unique en 2011), en Grèce (2011), en Italie et en Hongrie (2013). Établie dans les pays proches de la France, son éradication est impossible.
Elle est très polyphage. Elle pourrait s'établir en France sur de nombreuses cultures comestibles et ornementales, sur plantes sauvages, et être nuisible notamment en vergers. À l'automne, des rassemblements de masse dans les maisons sont fréquents. Son établissement pourrait avoir un impact économique, environnemental et sociétal important. Détails pages 26 à 29.
Vespa velutina nigrithorax du Buysson, 1905 (Hymenoptera, Vespidae)
Dite « frelon à pattes jaunes » ou « frelon asiatique », cette espèce de Vespidae est originaire du sud-est asiatique : présente du nord de l'Inde à l'Indonésie en passant par le sud-est de la Chine.
Elle a été introduite en France (Lot-et-Garonne) au début des années 2000. Depuis lors, l'espèce a colonisé une grande part du territoire métropolitain au sud d'une ligne allant du Cotentin aux Alpes-Maritimes. Elle a traversé les Pyrénées vers la Catalogne et le Pays basque. Il existe un foyer dans le nord du Portugal et elle a aussi gagné l'Italie (Ligurie).
Son comportement prédateur vis-à-vis des abeilles domestiques constitue une menace pour l'apiculture qui n'est pas encore quantifiée. Ce frelon peut détruire des ruches affaiblies par ailleurs. Enfin, comme notre frelon européen, les adultes peuvent s'attaquer aux fruits mûrs.
Conclusion
Pas d'augmentation, mais...
Ce bilan met en évidence que, malgré les mesures de surveillance prises par divers pays de par le monde, les introductions non volontaires d'insectes exogènes (et d'autres organismes) restent un problème d'actualité. Problème lié au nombre élevé d'introductions et à l'importance économique de certaines espèces introduites.
Toutefois, les cas graves (sept espèces) sont heureusement en nombre relativement limité. Pour la période prise en considération ici (juillet 2005 à juin 2014), on ne note pas, par rapport au précédent bilan, d'augmentation du nombre d'introductions mais plutôt un léger ralentissement.
À noter également : parmi les 75 espèces listées ici, seules quatre sont réglementées.
Espèces, filières : confirmations
Les hémiptères représentent près de 60 % des introductions. Rappelons que cet ordre qui comprend, entre autres, les pucerons, cochenilles, punaises, psylles, aleurodes et cicadelles est l'un des plus importants sur le plan agronomique. Les filières à risques sont clairement mises en évidence et confirmées dans ce nouveau bilan. Elles concernent essentiellement des plantes ornementales arbustives ou ligneuses et les palmiers.
Origine : l'Asie monte en puissance
Avec 50,8 % des espèces introduites, l'Asie s'affirme comme étant l'une des principales régions de diffusion des espèces exogènes entrant sur notre territoire. Deux raisons peuvent en partie expliquer cela :
– cette vaste région du monde présente plusieurs types de climats et certains, tempérés, se rapprochent de ceux de l'Europe de l'Ouest. Or le climat est l'élément déterminant pour l'établissement d'une espèce ;
– l'Asie est devenue l'un de nos principaux fournisseurs de plantes ornementales arbustives ou ligneuses et de divers autres végétaux. En outre, de très nombreux produits manufacturés sont importés d'Asie, or certains d'entre eux peuvent héberger ou abriter donc transporter involontairement des insectes quand ils sont exportés (c'est probablement de cette façon-là qu'a été introduit le frelon asiatique...).
Que peut-on faire ?
Surveillance aux frontières...
Toutes ces introductions sont en lien direct avec de multiples circuits commerciaux et suivent des sources et voies de diffusion extrêmement diversifiées et difficiles à contrôler.
La surveillance des organismes de quarantaine s'impose et doit être maintenue et amplifiée, ainsi que les contrôles aux frontières, aéroports, ports...
Mais il faut avoir à l'esprit qu'il est totalement illusoire de surveiller toutes les filières, tous les produits importés et tous les passagers, tant les risques d'introduction sont nombreux, via du matériel végétal ou d'autres produits (manufacturés ou non).
Détection pour la gestion :mobiliser tous les acteurs
La détection et l'identification dès leur arrivée de tels organismes restent déterminantes et fondamentales pour une gestion optimale (donc moins coûteuse) de ces introductions. Cette détection peut être le fait du personnel affecté à la surveillance officielle, d'instituts techniques œuvrant quotidiennement sur le terrain ou celui des producteurs ou d'autres personnes (techniciens agricoles...) ayant en charge le suivi ou la gestion de cultures.
Les particuliers, notamment au travers des réseaux sociaux, peuvent aussi détecter de nouveaux intrus. Ils peuvent aussi faciliter, dans certains cas, le suivi de leur dissémination (cas du frelon asiatique...).
L'identification : étape cruciale
L'étape suivante est l'identification. C'est la plus difficile et la plus importante.
En effet, c'est seulement si on connaît l'identité de l'espèce en cause (ravageur ou non) qu'on accédera, à partir de son nom, à la bibliographie nous renseignant sur sa biologie, son éthologie et son origine géographique. Ces éléments permettront d'appréhender la dangerosité de l'espèce donc de prendre les mesures les plus appropriées en s'appuyant sur une analyse de risque.
Dans la quasi-totalité des cas, ces identifications sont encore réalisées par des taxonomistes « classiques » qui utilisent des clés d'identification (quand elles existent !) et des collections de référence.
L'outil moléculaire permet dans certains cas de conforter ou d'infirmer l'identification. C'est très utile si les spécimens recueillis sont de stades immatures. Le projet européen Q-bol a ainsi abouti à la création d'une base de données moléculaire où sont disponibles les séquences diagnostiques permettant d'identifier la majorité des arthropodes de quarantaine pour l'Europe (voir lien utile). Mais des taxonomistes resteront indispensables dans les cas, non exceptionnels, d'espèces invasives passées inaperçues jusqu'alors, voire non décrites par la science. Il y en a deux dans notre liste 2005-2014 : Bruchidius siliquastri Delobel, 2007 ; Ctenarytaina peregrina Hodkinson, 2007.
À l'avenir, va-t-on manquer de systématiciens ?
Regrettons que l'entomologie soit une discipline délaissée. Elle n'est d'ailleurs plus enseignée en France. Les entomologistes systématiciens font cruellement défaut pour plusieurs ordres ou familles d'insectes et beaucoup de ceux encore en activité ne le seront plus d'ici dix ans.
Au regard des enjeux économiques, écologiques et environnementaux consécutifs à ces introductions, les institutions concernées devraient prendre conscience de ce problème et se doter des moyens humains suffisants pour maintenir voire augmenter le potentiel d'expertise entomologique.
Les systématiciens et taxonomistes sont les seuls à pouvoir fournir des données fiables pour alimenter les bases de données moléculaires en vue de la construction des outils de demain (barcoding...) ; de plus, ces outils ne remplaceront jamais totalement l'expertise d'un entomologiste face à la découverte d'espèces inconnues auparavant.
REMERCIEMENTS
Les auteurs remercient chaleureusementleurs collègues Christian Cocquempot(Inra), Valérie Balmès, Philippe Reynaud (Anses LSV),Anne-Isabelle Lacordaire (Koppert) et Fabien Fohrer(CICRP) pour leur aide à la réalisation de cet article.