DOSSIER - Protection du colza

Hernie sur colza : la résistance variétale peut enfin être évaluée

GEOFFREY ORGEUR*, CHRISTOPHE JESTIN** MARIA MANZANARES*** ET VALÉRIE GRIMAULT* - Phytoma - n°684 - mai 2015 - page 14

La résistance variétale du colza est un des meilleurs outils de sa protection contre la hernie des crucifères. Mais les moyens manquaient pour caractériser cette résistance et la présence de la maladie. Cela a changé.
Plantes de colza atteintes de hernie. La maladie se traduit par un développement de galles sur racines et une croissance végétative réduite. G. Orgeur - Ceves

Plantes de colza atteintes de hernie. La maladie se traduit par un développement de galles sur racines et une croissance végétative réduite. G. Orgeur - Ceves

 G. Orgeur - Ceves

G. Orgeur - Ceves

La hernie ne touche pas encore toutes les zones de production de colza... mais déjà une bonne partie. Or il n'existe pas de produits efficaces contre le champignon du sol responsable de la maladie. Seules armes : l'agronomie et la tolérance variétale.  Photo : M.-F. Delannoy

La hernie ne touche pas encore toutes les zones de production de colza... mais déjà une bonne partie. Or il n'existe pas de produits efficaces contre le champignon du sol responsable de la maladie. Seules armes : l'agronomie et la tolérance variétale. Photo : M.-F. Delannoy

Sur les 70 échantillons testés de P. brassicae, l'agent de la hernie, 48 (69 % du total) contournent la résistance variétale de Mendel.  Photo : M.-F. Delannoy

Sur les 70 échantillons testés de P. brassicae, l'agent de la hernie, 48 (69 % du total) contournent la résistance variétale de Mendel. Photo : M.-F. Delannoy

Tableau 1 : Fréquence de présence des pathotypes dans les bassins de productions du colza, sur les 70 échantillons analysés

Tableau 1 : Fréquence de présence des pathotypes dans les bassins de productions du colza, sur les 70 échantillons analysés

Parmi les cultures attaquées par la hernie des crucifères, dite aussi hernie du chou, le colza peut être protégé par résistance variétale. Mais les connaissances manquaient nettement sur cette résistance... Et plus sournoisement sur la maladie.

Pourquoi faut-il se soucier de la hernie des crucifères ?

Une attaque par les racines

Cette maladie, certes déjà connue, est causée par un parasite obligatoire(1), Plasmodiophora brassicae, dont les plantes-hôtes appartiennent pour la plupart à la famille des brassicacées. Certaines de ces espèces ont un fort intérêt économique, ce qui est le cas du colza oléagineux d'hiver.

La maladie est caractérisée principalement par le développement de galles sur le système racinaire de la plante-hôte. Une forte humidité du sol favorise la colonisation des racines de la plante-hôte par les spores de P. brassicae.

Au cours de leur développement, les racines vont présenter de petits renflements qui grossissent rapidement, pour donner naissance à une masse hypertrophiée ou galle (voir cycle Figure 1).

Ces galles perturbent gravement l'alimentation hydrique et minérale de la plante. Celle-ci présente un feuillage sénescent, apparaissant flétrie et rabougrie (photos).

Une maladie localisée, mais très nuisible là où elle est présente

Sur colza, la hernie cause des pertes en termes de rendement (de quelques quintaux à la destruction complète de la culture) mais aussi de qualité (baisse de la teneur en huile et présence de chlorophylle dans les graines pouvant provoquer des difficultés de raffinage de l'huile).

Cette maladie est présente dans environ 20 % de l'ensemble des zones de production à l'échelle du territoire français où les plantes-hôtes sont cultivées, et particulièrement dans les zones à sols acides. En France, plusieurs des principales zones de production du colza (le Centre, la Bourgogne, la Lorraine et le Poitou-Charentes) et de crucifères légumières (Bretagne pour les choux), ont été durement touchées par cet agent pathogène ces dernières années.

La hernie a également été répertoriée dans d'autres zones de production dans le Cher, dans l'Ain et en Normandie.

À l'échelle européenne, la hernie affecte des surfaces de production de colza bien plus importantes qu'en France. C'est le cas en particulier au Royaume-Uni et dans le nord de l'Allemagne ainsi que dans le nord de la Pologne.

Une interaction complexe

L'interaction entre les populations de P. brassicae et les plantes-hôtes est très complexe, ce qui rend difficile la caractérisation et la détermination de pathotypes (races) chez cet agent pathogène.

D'une part, les populations de P. brassicae présentent une grande diversité génétique, avec divers pathotypes pouvant coexister à l'échelle parcellaire.

D'autre part, deux types de résistance ont été décelés chez les plantes-hôtes, principalement brassicacées :

- des résistances qualitatives contrôlées par des gènes majeurs ;

- des résistances quantitatives plus complexes gouvernées par plusieurs portions de gènes ou QTL.

De plus, la résistance conférée par ces gènes peut être totale ou partielle et est considérée comme pathotype-spécifique.

La résistance variétale du colza : état des lieux

Lancement des deux premières variétés résistantes

Il existe très peu de méthodes de lutte efficaces contre la hernie. L'usage de variétés résistantes est considéré comme l'un des meilleurs moyens de combattre la maladie. Mais aujourd'hui, la majorité des cultivars de colza est sensible à la hernie.

Les deux premières variétés résistantes commercialisées, Mendel et Tosca, ont été créées par l'introduction de gènes de résistance à la hernie à partir d'un Brassica napus (colza)synthétique obtenu par croisements entre des variétés anciennes de navette (B. rapa) et de chou (B. oleracea).

La résistance de Mendel lui est conférée principalement par un gène majeur et deux gènes mineurs ou QTL (récessifs) et elle s'est montrée efficace dans la plupart des zones infestées par la hernie.

Cependant, en raison du caractère oligogénique de la résistance et de l'utilisation répétitive de cette variété dans les zones infestées, un risque de contournement était à craindre(2).

Trois nouvelles variétés

Dernièrement, de nouvelles variétés dites résistantes à la hernie sont préconisées par le Cetiom : Cracker, Sy Alister et Andromeda. Toutefois la résistance de Cracker est issue de Mendel. Pour les autres variétés, l'origine de la résistance (similaire ou non à celle de Mendel) ainsi que leur comportement vis-à-vis des différents pathotypes de P. brassicae ne sont pas connus.

L'utilisation de la lutte génétique couplée à d'autres méthodes de contrôle doit permettre de limiter les phénomènes de contournement. Il est notamment conseillé de ne pas utiliser plus d'une année sur quatre ces variétés sur une même parcelle.

Étude épidémiologique réalisée

Caractériser la résistance variétale

En 2010, un obtenteur a souhaité labéliser une de ces variétés « résistante à la hernie », or aucun test officiel d'évaluation de la résistance variétale n'existait encore à ce moment.

Afin de mettre en place une procédure standardisée de caractérisation de la résistance variétale, il est apparu nécessaire d'évaluer dans un premier temps le risque hernie en France et de caractériser les populations de Plasmodiophora brassicae dans les principales zones de production de colza.

Par la suite, des populations pathogènes représentatives des zones de production du colza et des variétés de colza de référence sensibles et résistantes ont été utilisées pour la mise au point d'un protocole d'évaluation de la résistance variétale à la hernie. Une étude épidémiologique sur le territoire français a été réalisée entre 2011 et 2013 dans le cadre d'un projet Casdar

Le Cetiom et l'échantillonnage

Différentes zones correspondant aux bassins de production de crucifères (colzas et choux) ont été échantillonnées pour réaliser cette étude. Le Cetiom a mis en place un questionnaire en ligne (www.cetiom.fr/hernie) afin de faciliter la géolocalisation des parcelles touchées par la hernie ainsi que la communication avec les coopératives et agriculteurs pour la réalisation des prélèvements. Deux types d'échantillonnage ont été réalisés : prélèvement de galles sur des plantes de colza infectées et prélèvements de sol dans les parcelles.

Le plan d'échantillonnage représentait différentes situations pédoclimatiques et contextes culturaux tout en ciblant les zones de production de colza : Centre (19 échantillons), Lorraine (17), Grand Ouest (20), Bourgogne/Franche-Comté (9), Poitou-Charentes (2), Île-de-France (2) et Sud-Ouest (1), soit 70 échantillons prélevés.

Le Geves et les tests

Au Geves, un test a été mis au point pour analyser les échantillons et caractériser les pathotypes de P. brassicae.

Une gamme d'hôtes différentiels, fournie par l'Igepp-Inra, composée d'un génotype sensible (ECD 5) et de trois génotypes de B. napus, portant différentes résistances aux populations de P. brassicae (Nevin, Wilhelmsburger et Brutor), a été utilisée pour permettre de caractériser jusqu'à huit pathotypes différents (P1 à P8). La variété Mendel a également été intégrée à ce « set d'hôtes ».

Au total, les pathotypes présents dans 70 sites ont été déterminés à partir d'échantillons de sol ou de galles. Six pathotypes (P1 à P6) sur les huit recherchés ont été mis en évidence en proportion variable selon les régions.

La géolocalisation et les informations transmises par les partenaires ont permis d'établir une cartographie des pathotypes identifiés en France (fréquence et répartition) (Figures 2 et 3).

Populations caractérisées

Une diversité dans chaque parcelle

Les résultats obtenus montrent une grande hétérogénéité intra et interparcellaire (mélange de populations/pathotypes de P. brassicae dans une même parcelle et entre parcelles voisines). Cette diversité « locale » est plus importante que l'hétérogénéité interrégionale. Il apparaît clairement que le choix variétal devra donc se raisonner à l'échelle de la parcelle.

Les trois principaux pathotypes rencontrés

Le détail des caractérisations réalisées par région est présenté dans le Tableau 1. Sur l'ensemble des régions étudiées, les pathotypes P1, P2 et P3 ont été observées dans 91 % des cas.

Ces trois pathotypes sont très présents dans les régions très représentées en termes de nombre d'échantillons (Centre, Lorraine et Grand Ouest).

Pour les régions moins représentées, les pathotypes P1 et P2 sont également les plus fréquents (Poitou-Charentes, Bourgogne et Île-de-France).

Le pathotype P1 est majoritaire sur le territoire (Figure 3), avec 53 % des isolats identifiés (37 sur 70). Il est plus particulièrement représenté dans la région Centre, la région Lorraine et le Grand Ouest (Normandie, Pays de la Loire et Bretagne).

Pathotype P1 : beaucoup d'isolats « contourneurs de résistance »

La plupart des isolats identifiés P1 (84 %, soit 31 isolats sur 37 analysés) ont infecté la variété résistante de référence, Mendel. La présence d'isolats appartenant à ce pathotype P1 est problématique pour les agriculteurs du fait de sa capacité à contourner les gènes de résistance disponibles actuellement ainsi que par sa présence en proportion majoritaire au sein de la population échantillonnée sur le territoire dans le cadre de cette étude.

Concernant les autres pathotypes

Le pathotype 2 est également fortement présent sur l'ensemble du territoire.

Identifié en grande partie dans la région Bretagne, mais également dans le Centre et le Poitou-Charentes, une majorité des isolats a été également en capacité de contourner la résistance de Mendel (76 %, soit 16 isolats sur 21 analysés).

D'autres pathotypes ont été identifiés de manière ponctuelle, comme le P4 et P6 en Lorraine et le P5 en Bourgogne.

Enfin un protocole français

Mise en place réalisée pour les semis d'automne 2014

À la suite de cette étude, un protocole d'évaluation de la résistance variétale a été proposé à la section CTPS (Comité technique permanent de la sélection des plantes cultivées), de manière à valoriser le progrès génétique obtenu pour la résistance à la hernie.

En effet, jusqu'à présent, la résistance à cette maladie était testée dans le cadre de l'inscription des variétés au catalogue dans plusieurs pays (Grande-Bretagne, Allemagne) mais pas en France.

Depuis l'automne 2014, chaque obtenteur peut, à sa demande, réaliser via le Geves une évaluation de sa variété de colza vis-à-vis d'un set minima de pathotypes considérés comme représentatifs du territoire français (P1*, P1, P2*, P3) ou même d'une gamme élargie de pathotypes.

Premières interprétations attendues après la récolte 2016

L'interprétation du comportement des variétés sera réalisée à l'issue de deux années d'expérimentations en conditions contrôlées, à raison d'un test par an ; un troisième test sera susceptible d'être effectué pour conforter le résultat. Cette carte d'identité du colza vis-à-vis de la hernie fournira des éléments de choix variétal pour l'agriculteur en fonction des pathotypes présents sur le territoire, y compris face à ceux contournant la variété résistante de référence « Mendel ».

Des résultats positifs

Ce projet de recherche, financé par le MAAF (ministère de l'Agriculture, de l'Agroalimentaire et de la Forêt), a permis de développer les outils nécessaires à l'identification des différents pathotypes de Plasmodiophora brassicae présents sur le territoire, mais aussi et surtout d'évaluer le risque hernie en France.

Il a également permis de proposer aux obtenteurs un test d'évaluation de la résistance variétale, adapté à l'épidémiologie de la hernie, pour l'inscription des nouvelles variétés de colza.

(1) Parasite capable de se développer uniquement sur les tissus vivants de l'hôte. Ne pousse pas sur un milieu nutritif artificiel.(2) Oligogénique = basé sur un faible nombre de gènes. Aujourd'hui, la variété 'Mendel' n'est plus commercialisée en France. Elle a été remplacée par 'Cracker', dont la résistance est issue de 'Mendel'.

Fig. 1 : Cycle de développement de l'agent pathogène

 Source : Ceves

Source : Ceves

C'est dans le sol et au niveau des racines du colza (ou d'autres crucifères) que se déroule le cycle de Plasmodiophora brassicae. Les galles se forment sur les racines qui paraissent ainsi porter des hernies, et toute la plante en est flétrie.

Fig. 2 : Répartition des pathotypes de Plasmodiophora brassicae sur le territoire français

 Source : Ceves

Source : Ceves

Le pathotype P1 est très représenté ainsi que le contournement de la résistance de la variété Mendel. Résultats obtenus sur 70 échantillons récoltés entre 2011 et 2013.

Fig. 3 : Fréquence de présence des pathotypes sur le territoire

 Source : Ceves

Source : Ceves

P* = pathotype en capacité de contourner la résistance de la variété Mendel.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - La hernie des crucifères s'attaque notamment au colza. Un moyen de la maîtriser est la résistance variétale, mais les variétés résistantes et la maladie étaient jusqu'ici mal caractérisées.

ÉTUDE - Le Geves et le Cetiom ont mené, à partir de 2010, un travail coordonné pour :

- mieux caractériser la maladie, avec localisation de sa présence et des pathotypes en cause ;

- évaluer le contournement de la résistance de la variété Mendel ;

- élaborer un protocole standardisé d'évaluation de la résistance variétale.

RÉSULTATS - Il en ressort la présence en France de six pathotypes de l'agent de la hernie P. brassicae, dont trois notablement, P1 étant le plus répandu.

Par ailleurs, même s'il existe des différences entre régions d'origine des échantillons, il y a une grande variété entre parcelles d'une même zone et entre échantillons d'une même parcelle.

La majorité des souches des pathotypes P1 et P2 ont pu infecter la variété Mendel, signe qu'ils avaient contourné sa résistance.

Grâce à ces connaissances acquises, un protocole français d'évaluation de la résistance variétale a été mis au point. Utilisable dès les semis de colza 2014, il permettra des premiers avis en 2016.

MOTS-CLÉS - Colza, hernie des crucifères, Plasmodiophora brassicae, résistance variétale, pathotypes.

POUR EN SAVOIR PLUS

AUTEURS : *G. ORGEUR, *V. GRIMAULT, laboratoire de pathologie Geves.

**C. JESTIN, Cetiom.

***M. MANZANARES, Inra de Rennes.

Partenaires du projet : Geves (Groupe d'étude et de contrôle des variétés et des semences), Cetiom (Centre technique interprofessionnel des oléagineux, des protéagineux et du chanvre), Inra (Institut national de la recherche agronomique), Ucata (Union céréalière des applications des techniques agricoles), les semenciers RAGT, Limagrain, NPZ et Syngenta.

CONTACT : geoffrey.orgeur@geves.fr

LIEN UTILE : www.geves.fr

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