DOSSIER - Qualité sanitaire des grains

Tirer parti de la ventilation de refroidissement des grains

MAUD MATHIE* - Phytoma - n°696 - août 2016 - page 28

Ventiler, aérer, sécher, refroidir les grains de blé, orge, maïs, colza... Certaines idées reçues empêchent ces actions d'être correctement réalisées. Explications.
1. Ventilateur centrifuge fonctionnant « en pression », comme la plupart des systèmes de ventilation de refroidissement en France. Photo : M. Mathie

1. Ventilateur centrifuge fonctionnant « en pression », comme la plupart des systèmes de ventilation de refroidissement en France. Photo : M. Mathie

2. Le thermostat permet de déclencher la ventilation de refroidissement lorsque les températures de l'air extérieur sont propices. Il est nécessaire de le coupler à une sonde de température d'air ambiant, et de le piloter en fonction de la température du grain. Photo : M. Mathie

2. Le thermostat permet de déclencher la ventilation de refroidissement lorsque les températures de l'air extérieur sont propices. Il est nécessaire de le coupler à une sonde de température d'air ambiant, et de le piloter en fonction de la température du grain. Photo : M. Mathie

3. La flèche peinte sur le ventilateur, si elle est toujours visible, montre le sens de rotation correct. Utile à consulter, plus qu'on ne le croit. Photo : M. Mathie

3. La flèche peinte sur le ventilateur, si elle est toujours visible, montre le sens de rotation correct. Utile à consulter, plus qu'on ne le croit. Photo : M. Mathie

4. Prenez le temps de regarder si la feuille reste collée, ou si elle glisse vers le bas, tout doucement... Photo : M. Mathie

4. Prenez le temps de regarder si la feuille reste collée, ou si elle glisse vers le bas, tout doucement... Photo : M. Mathie

Le grain est un organisme vivant. Il arrive plutôt chaud au silo. Pour bien le conserver, il faut le mettre en vie ralentie en le refroidissant. De plus, cela freine le développement des insectes. Une panoplie de solutions complémentaires existe pour « veiller au grain ». Outre l'usage d'insecticides de stockage et la fumigation, une solution est la ventilation de refroidissement à l'air ambiant, à l'aide de ventilateurs, aspirateurs, turbines, moteurs... Mais elle est souvent mal utilisée.

Cet article, en se basant sur des idées reçues et témoignages de terrain, propose des pistes concrètes pour en améliorer la conduite.

Refroidir le grain, pourquoi ?

Diminuer la freinte physiologique

Durant la période de stockage entre récolte et utilisation (autoconsommation, première transformation, export...), le grain est vivant. À humidité commerciale et en présence d'oxygène, il respire.

Ce phénomène, tout à fait normal, engendre une consommation des réserves du grain. Par exemple, pour une céréale, il s'agit d'une transformation de l'amidon en gaz carbonique. La conséquence est une perte de poids et éventuellement de qualité technologique du lot stocké.

Ce phénomène est qualifié de « freinte physiologique ». Son intensité varie en fonction de l'humidité, de la température et de la quantité d'oxygène disponible. Refroidir le grain permet de diminuer l'intensité de cette freinte.

Ralentir les ravageurs

Un autre intérêt du refroidissement est de ralentir le développement de ravageurs (insectes et acariens) qui pourraient pénétrer dans la cellule de stockage en même temps que le grain ou avoir subsisté (à l'état d'oeufs ou de formes mobiles) dans les installations vides après l'enlèvement des grains précédents. Moins il fera chaud dans la masse de grains, moins le développement de ces animaux nuisibles sera rapide.

L'air ambiant refroidit-il vraiment ?

« Mais avec le réchauffement climatique, il fait trop chaud pour ventiler ! » Qui n'a jamais entendu cette affirmation ?

Si l'on s'intéresse à la moyenne des températures de la campagne qui vient de s'achever, effectivement, refroidir le grain à l'air ambiant est compliqué. Prenons un instant pour observer ce qu'il se passe...

En France, la majorité des silos sont ventilés. Il a été estimé que, selon les modes de conduite actuelle, la durée de ventilation inutile (= durant laquelle l'air ne permet pas de refroidir le grain, voire le réchauffe) est de 76 % de la durée totale de ventilation(1).

Donc, repérer les conditions propices à la ventilation et n'agir que quand elles sont réunies représentent une piste de progrès.

Peut-on ventiler sous la pluie ?

Si l'installation est « en pression »

« Moi, quand il pleut, surtout, je ne ventile pas ! » À tort ou à raison, nombre de chefs de silo ont appris à ne pas ventiler par temps humide, et continuent à mettre cette pratique en oeuvre.

C'est à tort si leur installation ventile en pression (voir photo 1). En effet, dans ce cas, l'air est comprimé par le ventilateur pour traverser la colonne de grain et, de ce fait, il est réchauffé. Or, ce réchauffage a pour effet d'abaisser l'humidité relative de l'air poussé dans le grain. L'hygrométrie de l'air ambiant, quand on ventile en pression, ne pose donc pas de problème.

Par conséquent, avec ce mode de ventilation, qu'il pleuve ou non, la ventilation peut être mise en route - bien entendu, tant que la pluie ne rentre pas dans l'aube du ventilateur. En revanche, il est important de ventiler avec de l'air plus frais que le grain. Nous y reviendrons...

Si le système est en dépression

C'est à raison, si l'on ventile en dépression, que l'on ne ventilera pas par temps de pluie. Ces systèmes en dépression existent avec les cheminées ou colonnes de ventilation pour du stockage à plat et dans certains silos verticaux. Ce type de ventilateur aspire et extrait l'air qui traverse le tas de grain, où il crée donc un appel d'air ambiant. Si cet air ambiant présente une hygrométrie élevée, il risque de réhumidifier le grain par contact direct avec lui.

Ceci étant, la majeure partie des ventilateurs utilisés pour refroidir le grain en France compriment l'air pour lui faire traverser la colonne de grain. La plupart des silos sont donc dans le premier cas.

Mais cette façon de fonctionner en comprimant l'air pose une question... une belle et grande inconnue : le réchauffage de l'air.

Est-il possible de refroidir avec de l'air réchauffé ?

Le rapport débit/pression

« Comment peut-on refroidir du grain si on réchauffe l'air avant même qu'il entre en contact avec le grain ? C'est une histoire à tourner bourrique(2) ».

Les ventilateurs utilisés dans les silos pour refroidir le grain sont des ventilateurs centrifuges. Ils sont caractérisés par une courbe débit/pression propre à chaque modèle. La Figure 1 en montre un exemple.

Le ventilateur va produire un certain débit sous une certaine pression, en fonction de trois types de facteurs :

- les installations (présence de coudes, de rétrécissement dans les gaines de diffusion d'air) ;

- le type de grains ventilés (masse de grains poreuse comme le maïs, ou peu poreuse comme le colza, les céréales à paille comme le blé et l'orge ayant une porosité intermédiaire) ;

- la contrainte mécanique positionnée derrière le ventilateur (ouverture des trappes d'une ou de plusieurs cellules simultanément).

Ce couple débit/pression est le point de fonctionnement du ventilateur. Ce dernier réchauffe l'air de deux à plusieurs dizaines de degrés selon la configuration.

Plus le ventilateur doit comprimer l'air, plus il le réchauffe, et plus il deviendra difficile de refroidir le grain en utilisant l'air ambiant. Cela peut être le cas du colza qui, constituant une masse peu poreuse, demande au ventilateur une mise en pression de l'air importante pour traverser la masse de grain.

Évaluer la température de l'air passant dans le grain

« Pousser de l'air dans le grain, ça le réchauffe, mais de combien ? »

Le réchauffage dépend de plusieurs facteurs. Analyser les causes est intéressant, mais piloter son installation de manière empirique, ce n'est pas mal non plus. Et c'est possible. Il s'agit tout simplement d'allumer le ventilateur en condition de fonctionnement habituel, de mesurer la température de l'air extérieur et celle de la température de l'air en sortie de ventilateur dans les gaines et dans les galeries. Ce test permet d'obtenir une valeur, certes approchée mais déjà utile, du réchauffage dans la configuration testée.

S'équiper d'un thermostat

« Il paraît qu'il faut ventiler avec de l'air plus frais que le grain de 10 °C. »

Effectivement, pour que la ventilation soit efficace et économiquement performante, il faut un écart de température de 7 à 10 °C entre l'air en contact avec le grain et le grain lui-même. Attention, cet air en contact avec le grain est celui qui sort du ventilateur. Il a donc été précédemment réchauffé.

Donc il faut un écart de « 7 à 10 °C + le réchauffage » entre la température de l'air ambiant et celle du grain(3).

Équiper les groupes moto-ventilateurs de thermostats (voir photo 2) permet - s'ils sont bien réglés - de ne ventiler que lorsque les températures de l'air ambiant permettent de refroidir efficacement le grain. Coupler ce déclenchement à un suivi du refroidissement par le biais de la thermométrie dans le silo permet d'arrêter la ventilation lorsque toute la masse de grain est refroidie.

Rappelons que lorsque le ventilateur pousse l'air dans la masse de grain, celle-ci se refroidit du bas vers le haut. La durée nécessaire au refroidissement de l'intégralité de la masse de grain est de plusieurs dizaines d'heures.

Une sonde de thermométrie placée en haut du tas informera utilement du moment où la température du grain a baissé et s'est approchée de la température de consigne.

À ce moment-là, la ventilation peut être interrompue jusqu'au prochain palier.

Pour un bon fonctionnement

Trois pièges à éviter

« Moi... je ventile, je ventile et je ventile encore. Et mon grain, il ne baisse pas en température. »

Si la différence de température est suffisante pour que le refroidissement ait théoriquement lieu, mais que la température du grain ne baisse pourtant pas, trois hypothèses sont possibles :

- le ventilateur peut tourner à l'envers ; une flèche, peinte sur le ventilateur, montre dans quel sens ce dernier doit tourner (photo 3) ; on en sourit, mais cela arrive...

- le ventilateur, enfermé dans le silo, ne peut pas prendre d'air extérieur, et recycle l'air chaud et humide qui a déjà traversé la masse de grains ; et refroidir le grain avec de l'air déjà chaud, ça ne fonctionne pas ;

- la contrainte mécanique posée derrière le ventilateur lui demande un effort trop important, et le groupe moto-ventilateur est en zone de pompage ; cela peut être le cas en ventilant une cellule de colza de grande hauteur ; le ventilateur doit produire une pression trop importante au regard de ses caractéristiques.

Pour vérifier la réalité, de cette dernière hypothèse, c'est très facile : il suffit de placer une feuille de papier sur la grille de l'ouïe d'aspiration du ventilateur (photo 4). Si elle reste collée, le ventilateur fonctionne dans une plage de fonctionnement a priori normale ; si elle ne reste pas collée, le ventilateur est dans cette zone de pompage.

Trois bonnes pratiques

La ventilation de refroidissement à l'air ambiant ne résoudra sûrement pas toutes les problématiques liées à la conservation des grains. Du reste, elle n'est souvent qu'une première étape d'une bonne conservation. Néanmoins, des équipements existent dans les silos, alors autant en profiter !

Piloter la ventilation de refroidissement tout en limitant les coûts énergétiques demande des compétences. Et le respect de trois bonnes pratiques :

- vérifier que les ventilateurs fonctionnent (qu'ils soient hors zone de pompage) ;

- les déclencher lorsque les températures sont propices (à l'aide d'un thermostat) ;

- arrêter la ventilation lorsque le palier est terminé (information à suivre par l'intermédiaire de la thermométrie).

Le respect de ces trois règles permet de travailler dans de bonnes conditions. Bien entendu, plus le grain est propre, mieux il se conserve et meilleure est sa qualité sanitaire. Régler un nettoyeur séparateur en fonction du travail à effectuer, cela ne s'improvise pas non plus. Mais ceci est une autre histoire...

(1) Selon l'Observatoire de l'énergie de Coop de France.(2) Sic (Verbatim d'un témoignage recueilli quelque part dans le nord de la France). (3) Voir Ventilation des grains, guide pratique, 2008, éditions Arvalis.

Fig. 1 : Exemple de courbe de ventilateur

Chaque ventilateur possède une courbe caractéristique débit/pression et débit/puissance électrique. Dans chaque configuration, le ventilateur fonctionne à un débit, une pression et une puissance électrique donnés.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - La ventilation des lots de grains à l'air ambiant est la première action réalisée au silo pour leur conservation. Des idées reçues peuvent conduire à des pratiques diminuant son efficacité.

En revanche, la connaissance de certains faits et principes et le suivi de certains conseils permettent d'en tirer le meilleur parti.

EN PRATIQUE - Cette action est utile pour diminuer la freinte physiologique et ralentir le développement de potentiels insectes de stockage.

Au contraire d'une idée reçue, elle est réalisable par temps humide, voire pluvieux, mais seulement dans certains cas (ventilation en pression, non en dépression).

Contrairement à une autre idée reçue, la température de l'air parcourant le grain est différente de celle de l'air avant l'entrée des installations. Le réchauffage de l'air par les ventilateurs en pression doit être pris en compte. Des conseils sont donnés pour permettre de calculer ce réchauffage. Sachant que l'air parcourant le grain doit avoir une température inférieure de 7 à 10 °C à celle du grain, cela permet de savoir quand la ventilation peut être utilement déclenchée.

Des thermostats, judicieusement placés et utilisés, permettent de piloter le déclenchement mais aussi l'arrêt de la ventilation aux moments où cela est utile.

Le respect de règles de base permet d'éviter trois erreurs rencontrées sur le terrain.

MOTS-CLÉS - Qualité sanitaire des grains, sécurité alimentaire, silos, céréales, blé, orge, maïs, colza, freinte, refroidissement, ventilation à l'air ambiant, ventilateur, température, thermostat.

POUR EN SAVOIR PLUS

AUTEUR : *M. MATHIE, TechniGrain.

CONTACT : maud.mathie@technigrain.com

LIENS UTILES : www.technigrain.com

Ventilation des grains, guide pratique, 2008, éditions Arvalis.

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