Les bulletins de santé du végétal s'appuient sur les réseaux de surveillance des bioagresseurs et participent à la gestion des risques phytosanitaires. Exemple du mildiou et des maladies du bois.

Concilier mesures prophylactiques et traitements raisonnés implique pour les conseillers viticoles et les producteurs de connaître la biologie et l'épidémiologie des bioagresseurs de leur vignoble. Cet ajustement des pratiques à la pression biotique est optimisé grâce à la lecture régulière des bulletins de santé du végétal (BSV), du débourrement à la vendange.

Mise en place du réseau d'épidémiosurveillance

Des Avertissements Agricoles aux BSV

Avec la fin des Avertissements Agricoles, il a fallu passer de réseaux de parcelles pilotés par des agents de l'État à des fins de situations sanitaires mais aussi de conseil, à un réseau professionnel structuré, mutualisé et financé au niveau national, permettant de fournir des éléments objectifs d'analyse de risque pour réduire l'utilisation des produits phytosanitaires conventionnels. C'est ainsi que, dès 2009 avec la mise en place du réseau d'épidémiosurveillance et des premiers BSV, a été exprimé le besoin d'une co-construction des protocoles d'observations harmonisés en vigne entre les personnes ressource des Sral (anciens rédacteurs des Avertissements Agricoles) et les nouveaux animateurs filières afin que ces derniers puissent bénéficier de l'expérience acquise par les services de la protection des végétaux tout en tenant compte de dispositifs déjà mis en place par certaines structures professionnelles.

Le réseau d'épidémiosurveillance a été instauré dans le cadre du plan Écophyto(1), mais aussi en application de la loi relative à la surveillance biologique du territoire (SBT) dans le domaine végétal(2), elle-même découlant de la directive européenne 2009/128/CE (voir Encadré 1).

Le partage d'expérience au sein du réseau des animateurs « filière » régionaux, la supervision des Sral et l'acquisition de nouveaux outils, dont les modèles épidémiologiques, ont permis une évolution des BSV vers une information plus précise en termes d'analyse de risque, avec notamment davantage d'éléments prédictifs aptes à favoriser la lutte intégrée.

Représentativité du réseau

Plus de 2 000 parcelles composent le réseau « vigne » : parcelles de référence représentatives du vignoble, parcelles témoins non traitées pour le suivi de l'évolution naturelle de l'état sanitaire et parcelles d'alertes pour détecter les premiers foyers notamment. La bonne représentativité des terroirs ou zones pédoclimatiques et des cépages permet de suivre les bioagresseurs les plus courants, mais aussi de favoriser la détection précoce des foyers d'organismes nuisibles émergents et/ou réglementés. C'est le cas, par exemple, de la flavescence dorée de la vigne et de sa cicadelle vectrice Scaphoideus titanus, qui mobilisent de nombreux piégeurs et observateurs sur le terrain (relevés des captures de l'insecte vecteur, notations visuelles des symptômes de cette maladie à phytoplasme).

Adapter la surveillance et évaluer les risques phyto

En viticulture, l'épidémiosurveillance vise surtout à suivre :

- les bioagresseurs générateurs de traitements, à savoir le mildiou, l'oïdium et le Botrytis, mais aussi des ravageurs comme les tordeuses de la grappe ;

- les organismes nuisibles réglementés soumis à des mesures de lutte obligatoire tels que la flavescence dorée de la vigne, la nécrose bactérienne de la vigne (Xylophilus ampelinus) ou la maladie de Pierce (Xylella fastidiosa subsp. fastidiosa), qui font l'objet d'une vigilance particulière et de signalements auprès de la Draaf-Sral, en cas de suspicion de détection ;

- d'autres bioagresseurs, comme les agents pathogènes responsables des maladies de dépérissement (esca, eutypiose, excoriose, bois noir, viroses...).

Chaque animateur filière régional, rédacteur du BSV, recueille chaque semaine en période végétative les données brutes d'observation visuelle et de piégeage de son réseau, grâce aux outils informatiques Epicure (IFV), Latitude ou VGObs (Apca-Fredon France), interopérables avec la base de données nationale Epiphyt, agrégeant l'ensemble des informations validées. Il utilise en complément les modèles épidémiologiques disponibles (mildiou, oïdium, tordeuses de la grappe...) pour étudier l'expression théorique des risques, en lien avec les prévisions météo. La restitution de ces informations dans le BSV se décline idéalement en trois parties complémentaires pour chaque organisme nuisible :

- un état des lieux ; description de la situation phytosanitaire locale (stades phénologiques de la vigne, détection précoce des foyers, fréquence, intensité ou classe d'attaque du bioagresseur, stades dominants du ravageur et des auxiliaires, éléments de diagnostic, risques de confusion...) ;

- une analyse du risque phytosanitaire ; sensibilité des cépages, éléments de biologie du bioagresseur, données issues des modèles épidémiologiques ;

- la gestion du risque phytosanitaire ; ce volet contient une description des méthodes alternatives aux traitements chimiques conventionnels et si nécessaire, un lien hypertexte renvoyant les lecteurs du BSV vers la note de service descriptive des produits de biocontrôle, ainsi que des liens avec certaines pages du site ÉcophytoPIC.

En moyenne, dix-huit BSV hebdomadaires paraissent de mi-mars à début août. En fin d'année, un BSV établit le bilan phytosanitaire annuel par vignoble.

BSV, mode d'emploi

D'une tendance épidémiologique à une application terrain

Le BSV délivre des tendances d'évolution épidémiologiques valables à l'échelle des bassins de production viticoles. Cela implique que chaque producteur ou conseiller doit adapter l'analyse de risque phytosanitaire (ARP) aux caractéristiques et aux objectifs de son exploitation.

Pour être acceptables, les traitements doivent être justifiés, raisonnés, ponctuels, localisés et rentables. C'est là qu'intervient la notion de seuil (Encadré 2 page suivante), une limite théorique au-dessous de laquelle un professionnel est censé ne pas intervenir. Cette appréciation doit être considérée comme un indicateur et adaptée dans la pratique aux caractéristiques de l'exploitation selon les critères considérés dans l'ARP.

Seuils indicatifs de risques phyto

En 2016, une enquête réalisée au sein des régions a permis de recenser les seuils. Pour la vigne, on retiendra :

- seuils existants et valables (mildiou, black-rot, cicadelle verte, cochenilles, cigarier, thrips...) ;

- seuils à améliorer (oïdium, tordeuses de la grappe - surtout la première génération -, coupe-bourgeons, excoriose).

Dans les BSV, les seuils indicatifs de risques peuvent se présenter sous la forme de grilles de risques, grâce auxquelles chaque lecteur peut identifier les facteurs à considérer pour raisonner et protéger la vigne.

Mildiou de la vigne : réduire les traitements avec les BSV

Diminuer l'IFT fongicides en vigne

Avec 785 000 ha de superficie, la vigne représente 2,7 % de la SAU en 2018. L'IFT (indice de fréquence de traitement) moyen est de 15,3 (entre 8,9 et 22,3 selon les vignobles) en 2016(3). Il est de 13,5 si on enlève les produits de biocontrôle. Les fongicides représentent 83 % de l'IFT avec un IFT moyen de 12,7 dont plus de la moitié est consacrée aux traitements antimildiou.

Pour diminuer l'IFT des fongicides conventionnels, les leviers disponibles sont :

- les méthodes prophylactiques comme l'élimination des pampres ou l'adaptation de la vigueur de la vigne au potentiel de production ;

- les produits de biocontrôle (ces derniers sont en progression et représentent 14 % de l'IFT global) ;

- des matériels performants permettant de réduire la dose de produit (certains matériels seront prochainement labellisés dans ce sens).

Le BSV est un outil utilisable dans un objectif de réduction du nombre de traitements en l'adaptant à la pression des bioagresseurs. Concernant le mildiou, les informations obligatoires sont la fréquence de ceps atteints, la fréquence de feuilles touchées, la fréquence de grappes touchées et, en fin de cycle, l'intensité d'attaque des grappes.

Prenons le BSV Nord Aquitaine du 4 juin 2019(4) pour le mildiou. L'Institut français de la vigne et du vin (IFV) fournit à l'animatrice du réseau des simulations de modélisation en fonction d'hypothèses météorologiques. La plus probable est retenue pour donner une fréquence théorique d'attaque en fonction des épisodes pluvieux de la semaine écoulée ainsi que des simulations en fonction des hypothèses météorologiques. Ces données sont confrontées à l'apparition de nouvelles taches sur les réseaux de parcelles, les lieux d'observation hors réseau et sur les parcelles témoins non traitées. Le viticulteur peut ainsi réaliser sa propre analyse de risque à partir de la situation sanitaire de ses parcelles, des pluies passées et de prévisions météo. Dans le cas où le modèle relève des contaminations épidémiques dans sa zone, il pourra confronter cette information avec la présence ou non de nouvelles taches dans ses parcelles et leur faculté de sporulations. En cas de risque élevé donné par le modèle et de présence de taches, toute nouvelle pluie pourrait être contaminatrice, ce qui pourrait l'amener à prendre une décision de traitement. En l'absence de pluie ou en l'absence de taches sur sa parcelle, il pourra décider de décaler son prochain traitement (Figure 1).

Épidémiosurveillance des maladies du bois

Un dispositif particulier

Les maladies du bois (MDB) au vignoble ne sont ni des maladies suivies dans le cadre de la surveillance officielle des organismes réglementés, ni des organismes nuisibles suivis dans un contexte de réduction des intrants comme le mildiou et l'oïdium qui font l'objet d'une analyse de risque dans les BSV. Elles sont la principale source d'affaiblissement et de baisse de production(5), les enjeux de la surveillance sont donc importants.

En 2002, un dispositif multipartenarial dénommé « Observatoire national des maladies du bois » a été mis en place sous l'égide de l'Onivins (devenu FranceAgriMer) pour évaluer les conséquences de l'interdiction de l'arsénite de soude en novembre 2001. Il devait également permettre de réaliser un état des lieux sanitaire en estimant la prévalence et la gravité de ces maladies, et rechercher les variables explicatives de l'évolution de l'expression de ces maladies. Ce dispositif était constitué de 700 parcelles. Une trentaine de cépages étaient suivis sur des placettes fixes de 300 ceps selon un protocole élaboré par les chercheurs et techniciens.

Mise en évidence de l'effet cépage et de l'âge des parcelles

Les données collectées par les Draaf-SRPV entre 2003 et 2008 ont fait l'objet d'un important travail statistique, mettant en évidence l'effet cépage toujours corroboré par les notations actuelles (Figure 3), l'âge des parcelles (prévalence maximale d'expression entre 12 et 18 ans pour esca/black dead arm et 25-40 ans pour l'eutypiose) et une relation forte entre prévalence et mortalité.

Avec l'évolution des missions des Draaf-Sral depuis 2009 et la mise en place des réseaux d'épidémiosurveillance et du BSV, le suivi des maladies du bois a été intégré dans les protocoles nationaux d'observation harmonisés. Ces protocoles prévoient une notation obligatoire pour l'esca/black dead arm et facultative pour l'eutypiose sur les parcelles de référence. Le réseau d'épidémiosurveillance représente environ les deux tiers des parcelles suivies. Pour le tiers restant, quelques vignobles ont conservé le dispositif initial pour un meilleur suivi dans le temps (Alsace, Charentes, Beaujolais), ou ont recréé des observatoires locaux (Gironde, Val de Loire). Ces observatoires spécifiques ont pu adapter les protocoles selon les enjeux locaux. Pour diverses raisons, dont des raisons économiques, certains vignobles n'ont pas désiré poursuivre les observations (Sud-Est notamment) (Figure 2).

Des notations spécifiques

Les données suivantes sont issues d'une synthèse réalisée par la DGAL (Doublet, Grosman, 2018). Au total en 2018, 1 200 parcelles font l'objet d'une surveillance dans douze bassins viticoles pour vingt cépages. Globalement :

- les notations portent systématiquement sur esca/black dead arm (maladies non différenciées) et moins fréquemment sur eutypiose (500 parcelles sur 1 200), notamment pour les vignobles peu concernés (Champagne, Alsace...) ;

- les formes « lente » et apoplectique sont différenciées ;

- les résultats sont exprimés en fréquence de ceps touchés (prévalence) ;

- les ceps morts, manquants, jeunes plants (non encore productifs, en première ou deuxième année) sont comptabilisés afin d'estimer un impact agronomique au niveau de la parcelle.

Exploitation des données : une diversité de situations

L'exploitation des données, issues de parcelles qui diffèrent par l'âge, le cépage, le porte-greffe, le mode de conduite ou la situation pédoclimatique, permet de suivre l'évolution pluriannuelle des maladies et met en évidence des disparités importantes selon les situations. Elle confirme les différences de sensibilités entre cépages et des différences d'expression pour un même cépage, comme le chardonnay par exemple (Figure 3). Mais les choix établis dans les vignobles pour la constitution des réseaux d'observations peuvent générer un biais important, notamment si le choix se porte sur les situations les plus sensibles !

Quelques chiffres (en prenant en compte les biais évoqués ci-dessus) : 84 % des parcelles sont concernées par l'esca/black dead arm, avec des prévalences très variables dont la moyenne se situe à 4,9 % pour la période 2012-2017. Pour l'eutypiose, les parcelles suivies ont une prévalence de moins de 1 %, mais pouvant atteindre 4 % en Charentes sur le cépage ugni blanc.

Perspectives

Le plan national dépérissement du vignoble (cofinancement État/interprofessions vitivinicoles) prévoit dans son ambition 3 (« Coordonner les réseaux d'observation ») la construction d'un dispositif permettant une acquisition très large de données d'observations. Les éléments fournis par ce nouvel Observatoire national du vignoble ainsi créé viendraient alimenter la réflexion et la connaissance des acteurs du vignoble sur l'outil de production national et régional. En parallèle, le comité de pilotage de la plateforme d'épidémiosurveillance végétale (convention signée en juillet 2018 entre DGAL, Anses, Inra, Fredon France, Acta et Apca) a décidé d'intégrer les dépérissements du vignoble dans son champ de réflexion dans l'objectif d'alimenter la recherche et de mutualiser les expériences de terrain. En lien avec le plan national dépérissement du vignoble, cela devrait permettre de mieux formaliser une surveillance complexe allant au-delà des maladies du bois. Un groupe de travail réunissant des chercheurs de l'Inra, l'IFV, l'Anses, les interprofessions, les chambres d'agriculture et la DGAL a commencé ses travaux en septembre 2019.

(1) Le plan Écophyto se doit de « renforcer les réseaux de surveillance des bioagresseurs et des effets indésirables de l'utilisation des pesticides ».(2) Article L. 251-1 du code rural et de la pêche maritime.(3) Source Agreste, enquête des pratiques culturales en vigne.(4) http://draaf.nouvelle-aquitaine.agriculture.gouv.fr/Vigne-Nord-Aquitaine(5) Doublet, Grosman, Phytoma n° 651, février 2012, et étude BIPE, restitution au séminaire dépérissement juillet 2015.