Le phosphonate de potassium pourrait bientôt offrir une nouvelle solution de lutte contre la septoriose du blé et le mildiou de la pomme de terre.

Les phosphonates de potassium entrent dans la formulation de produits fongicides autorisés en France sur différentes cultures, notamment maraîchères, fruitières et vigne(1). La société De Sangosse développe un fongicide à base de cette substance active pour lutter contre la septoriose du blé et le mildiou de la pomme de terre(2).

De quoi est-il fait ?

Phosphonates de potassium

Codé DSPF 016, le produit est composé à 730 g/l de phosphonates de potassium : phosphonate mono-potassique KH2PO3 et phosphonate dipotassique K2HPO3 dans une formulation en concentré soluble (SL). Cet équilibre assure au produit un pH proche de la neutralité pour une bonne assimilation par les plantes. La formulation SL spécifique a été travaillée pour garantir la miscibilité dans l'eau de bouillie et la compatibilité avec de nombreuses autres spécialités.

Une origine naturelle

Les phosphonates de potassium sont des substances d'origine naturelle. De ce fait, la substance active de DSPF 016 entre dans les critères définis pour les spécialités de biocontrôle. De plus, le profil favorable de la spécialité lui permettrait d'être retenu sans classement toxicologique ni écotoxicologique dans les conclusions de l'évaluation et la décision de l'Anses et donc, sous réserve de disposer d'une autorisation de mise sur le marché en France, d'être ajouté à la liste des produits phytopharmaceutiques de biocontrôle éditée par la DGAL et d'être éligible aux certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques (CEPP).

Une confusion à éviter

Les phosphonates sont des sels de l'acide phosphonique (H3PO3) ; dans le cas de DSPF 016, l'acide phosphonique est neutralisé par de l'hydroxyde de potassium, ce qui permet d'abaisser son pH et de le rendre assimilable par les plantes. Les phosphonates sont différents des phosphates (H2PO4-, HPO42-) qui composent les engrais à base de phosphore.

Si les formules chimiques paraissent proches, les propriétés des phosphates et des phosphonates sont très différentes. Les phosphates sont assimilés par les plantes et utilisés pour la production d'énergie cellulaire (ATP) ou de divers composants cellulaires (ADN, membrane...). Les phosphonates quant à eux sont absorbés et assimilés par les cellules en ions phosphites puis acide phosphoreux, et n'ont pas d'effet sur le métabolisme du phosphore. Ainsi, les phosphonates de potassium sont clairement des fongicides sans activité de nutrition. À l'inverse, les phosphates entrent dans la composition des engrais et n'ont pas d'activité fongicide. Tout produit contenant des phosphonates doit donc être homologué en tant que produit phytosanitaire d'après le règlement 1107/2009 et la vente d'engrais contenant des phosphonates (parfois appelés phosphites) est interdite (note DGAL - 30 juin 2011).

Comment agit-il ?

Plusieurs modes d'action

L'efficacité de DSPF 016 vis-à-vis du mildiou de la pomme de terre Phytophthora infestans et de la septoriose du blé Zymoseptoria tritici a pu être visualisée en laboratoire, validant le fait que la substance active inhibe directement la croissance des pathogènes. Le mode d'action exact de cette action directe sur les différents pathogènes est inconnu à ce jour.

Cette action directe est accompagnée d'une action indirecte, via la stimulation des défenses des plantes. En effet, il a été prouvé que les phosphonates de potassium agissent comme potentialisateurs pour activer les défenses des plantes et ainsi les aider à lutter efficacement contre les pathogènes. Les phosphonates de potassium sont ainsi classés depuis 2018 dans le groupe Frac(3) P07 qui prend en compte ce mode d'action. La part de chacun des deux modes d'action dans l'efficacité finale des phosphonates de potassium est débattue depuis de nombreuses années et est très certainement dépendante des pathogènes, du végétal et des conditions extérieures notamment. Quels que soient les pathosystèmes évalués, ces deux modes d'action sont complémentaires et permettent d'amener un mode d'action original et nouveau dans la lutte contre le mildiou de la pomme de terre et la septoriose du blé.

Circulation dans la plante

DSPF 016, rapidement assimilé par la plante, circule via le xylème et le phloème. Il se diffuse vers les organes en croissance favorisant la protection des nouvelles pousses. De ce fait, il permet le contrôle des maladies sur les organes néoformés et s'avère intéressant par exemple en période de croissance active sur pomme de terre. Cela permet également au produit d'être rapidement à l'abri du lessivage, 2 heures après application.

Et la résistance ?

À ce jour, il n'y a pas de résistance en pratique aux phosphonates dans le monde, malgré les utilisations répétées depuis plus de 40 ans sur certains pathosystèmes présentant un risque élevé au développement de résistances aux fongicides (ex. : Plasmopara viticola, Pseudoperonospora cubensis). En France, DSPF 016 sera proposé pour lutter contre la septoriose du blé et le mildiou de la pomme de terre, deux pathogènes classés par le Frac comme présentant un risque moyen au développement de résistance aux fongicides. Du fait du mode d'action particulier de DSPF 016 et de l'expérience acquise avec les phosphonates sur d'autres pathosystèmes, le risque de développement de résistance aux phosphonates de potassium devrait être faible. De ce fait, le produit sera un outil additionnel de gestion des risques d'apparition ou de développement de la résistance du mildiou de la pomme de terre et de la septoriose du blé. Des travaux sont en cours pour valider l'impact positif d'une association de DSPF 016 avec d'autres spécialités fongicides pour limiter le développement de résistances. Les résultats, prometteurs, demandent confirmation.

Quelles sont ses performances ?

Sur blé

Dans les essais d'homologation évaluant l'efficacité du produit utilisé seul à 4 l/ha (2 applications aux stades 1 à 2 noeuds puis dernière feuille étalée), DSPF 016 apporte en moyenne 40 % d'efficacité contre la septoriose. Ce niveau d'efficacité est régulier quels que soient les essais, les pressions maladies et les conditions climatiques. Au-delà de l'efficacité, les effets sur le rendement sont nets : DSPF 016 appliqué seul permet un gain de rendement proche d'une référence multisite conventionnelle et supérieure à un produit de biocontrôle.

Sur pomme de terre

De la même façon dans les essais d'homologation, DSPF 016 utilisé seul à 4 l/ha, soit neuf traitements à sept jours d'intervalle sur toute la saison, présente une efficacité intéressante contre le mildiou : sur seize essais dans un contexte de moyenne pression (témoin non traité présentant en moyenne 68 % d'intensité mildiou en fin de saison), l'efficacité est proche d'une référence conventionnelle (Figure 1).

Sur treize essais en pression élevée (témoin non traité présentant 98 % d'intensité mildiou en fin de saison), DSPF 016 seul appliqué toute la saison montre une efficacité moyenne, inférieure à une référence conventionnelle.

Tout comme sur blé contre la septoriose, l'efficacité de DSPF 016 contre le mildiou de la pomme de terre est régulière, présentant des variabilités du même niveau qu'une référence conventionnelle.

Comment l'utiliser ?

Sur blé, en association

La procédure de demande d'AMM de DSPF 016 est en cours en France ; sous réserve d'autorisation, son utilisation est prévue pour le printemps 2021 sur blé comme sur pomme de terre. Des essais sont menés par De Sangosse depuis plusieurs années pour définir les positionnements et doses.

Sur blé, le produit sera recommandé à la dose de 2 l/ha en association avec un partenaire fongicide. La Figure 2 présente les résultats, en efficacité septoriose et en rendement, avec une application d'une association DSPF 016 2 l/ha + partenaire à dose adaptée au stade 2 noeuds. Le partenaire sera choisi et sa dose adaptée selon la pression des maladies, la variété à protéger, le programme de traitement et le stade d'application de l'association. Il pourra contenir une substance active chimique de synthèse (triazole, SDHI...) ou de biocontrôle (Figure 3) ; en effet, DSPF 016 a été testé en mélange avec des spécialités à base de soufre pour proposer une association « 100 % biocontrôle » au stade 2 noeuds du blé. Cette association permet d'envisager une protection efficace contre la septoriose au T1 sans consommer d'IFT fongicide.

L'intégration de DSPF 016 à 2 l/ha dans les programmes de traitement fongicides sur blé permettrait de gérer le risque résistance sur les familles chimiques les plus à risque (triazoles, SDHI).

Sur pomme de terre, en association

DSPF 016 sera préconisé à la dose pratique de 2 l/ha en association avec un partenaire fongicide efficace sur mildiou et/ou alternaria. La demande d'AMM a été déposée pour trois applications par hectare et par an. Afin de respecter les bonnes pratiques fongicides, nous recommanderons d'appliquer au maximum deux traitements consécutivement ; les applications pourront être positionnées sur tout le cycle cultural, néanmoins les propriétés de la spécialité lui confèrent un intérêt particulier dès le début de saison, protégeant les organes néoformés dès la levée et en période de croissance active.

Le fongicide partenaire sera choisi et sa dose adaptée selon le stade cultural, les cibles visées et le programme de traitement (Figure 4). L'intégration de DSPF 016 dans les programmes de traitement contre le mildiou permettra non seulement de baisser les apports de fongicides conventionnels, mais également de gérer le risque résistance du mildiou sur les familles chimiques les plus à risque.

(1) Il existe aussi des spécialités sur cultures florales, agrumes, et arbres et arbustes.(2) Sous condition d'autorisation de mise en marché, la commercialisation est prévue pour une utilisation au printemps 2021.(3) Fungicide Resistance Action Committee.