1. Pommes piquées. 2. Jeune adulte femelle tout juste sortie de sa chrysalide (exuvie à gauche). Photos : A. Matteo
Classification et composition des CpGV commercialisés en France Pour mieux appréhender la diversité génétique des CpGV, les scientifiques allemands les ont regroupés en se basant sur le degré de ressemblance de leur génome (Gebhardt, Eberle et al., 2014). Sur cette figure, on peut voir que CpGV-M est classé dans le groupe A. Le CpGV-R5 et le CpGV-V15 sont constitués en réalité de mélanges de génotypes. Les insectes porteurs de la résistance de type 1 (voir p. 49) sont insensibles aux génotypes des groupes A et D. Adapté par Andermatt de Gebhardt et al., 2014 et Eberle et al., 2009
Le carpocapse des pommes et des poires Cydia pomonella est un ravageur d'une grande adaptabilité. Il a développé des résistances d'abord à des insecticides chimiques puis à l'isolat mexicain du virus de la granulose (CpGV-M). Cet insecte aux formidables capacités évolutives n'a pas fini de donner du fil à retordre aux producteurs et aux scientifiques qui voient aujourd'hui l'émergence de nouvelles résistances à d'autres isolats viraux de CpGV.
Contexte : lutte biologique et résistance du carpocapse
Premier cas de résistance en 2004 en France
Le premier produit insecticide à base du virus de la granulose (CpGV) a été commercialisé en France dès 1991 pour lutter contre le carpocapse des pommes. L'isolat viral contenu dans ce produit est d'origine mexicaine. Il a été nommé CpGV-M. La bonne efficacité de ce produit, couplée à une très grande spécificité et une absence de résidu sur les fruits, est la clé de son succès en agriculture conventionnelle comme biologique. Des années d'utilisation ont prouvé qu'il était parfaitement inoffensif sur la faune auxiliaire et la santé humaine. Cependant, en absence d'autres produits insecticides efficaces et autorisés en agriculture biologique (AB), les vergers AB ont dû maintenir une cadence de traitement intensive durant plus de dix ans. En 2004 est apparu le premier cas de résistance à CpGV-M en France (Sauphanor, Berling et al., 2006). D'abord détectée dans le sud-est de la France, la résistance a fini par se propager dans tous les bassins de production de pomme. Pour tuer un insecte résistant, il faut dix mille fois plus de virus que pour tuer un insecte sensible. Les doses utilisées au champ deviennent donc partiellement inefficaces.
De nouveaux isolats viraux
À la suite de la découverte de la résistance à CpGV-M, les chercheurs et industriels se sont mobilisés pour essayer de trouver une solution à ce problème à la fois agronomique et scientifique. C'est ainsi que le nouvel isolat viral CpGV-R5 a été découvert et amplifié sur les insectes résistants afin d'atteindre une efficacité optimale. Cet isolat est pareillement efficace sur les insectes résistants et sensibles au CpGV-M. Il a été utilisé pour fabriquer un nouveau produit commercialisé à partir de 2012 par l'entreprise UPL (ex-Arysta Life-Science). Dans le même temps, deux autres produits à base de CpGV sont apparus sur le marché français, commercialisés par Andermatt Biocontrol : les isolats CpGV-V22 et CpGV-V15. Le premier s'est avéré être très proche de l'isolat CpGV-M ; les deux appartiennent entièrement au même groupe génotypique (groupe A) et les insectes qui résistent à l'un, résistent à l'autre. En revanche, CpGV-V15 est un mélange de génotypes B et E (respectivement 49 % et 51 %). Il est relativement éloigné, phylogénétiquement parlant, de CpGV-M et, dans une moindre mesure, de CpGV-R5 qui est un mélange de 36 % de génotype du groupe A et 64 % du groupe E. CpGV-V15 apportait donc, dans le panel de solutions disponibles, une diversité génétique additionnelle de durabilité des programmes de lutte, utilisant l'alternance des isolats contre C. pomonella. Ainsi le problème agronomique était transitoirement réglé alors que certaines questions scientifiques, comme le décryptage du mécanisme de résistance, restaient en suspens (voir encadré ci-dessus).
Une surveillance active du territoire
Après avoir observé le premier cas de résistance au virus de la granulose désarçonner toute la filière pomme biologique française, différents acteurs (DGAL, Inrae et UPL) ont décidé de maintenir une surveillance active des résistances de cet insecte aux trois groupes génotypiques de virus de la granulose commercialisés (Siegwart, Graillot et al., 2017). C'est ainsi que, tous les ans, des tests biologiques(1) sont réalisés sur des insectes prélevés sur le terrain, dans les parcelles les plus à risque, avec comme double objectif de suivre la propagation de la résistance au CpGV-M et de déceler le plus tôt possible d'éventuelles résistances aux nouveaux isolats.
Cette surveillance permet de cartographier les résistances à CpGV-M en France. Cette cartographie a montré que les programmes de lutte qui consistent à alterner les isolats sur les parcelles sans résistance au CpGV-M et proscrire CpGV-M ou CpGV-V22 dans les parcelles avec des baisses de sensibilité à CpGV-M au champ ont prouvé leur efficacité en empêchant la fixation de la résistance. Cependant, des insectes résistants sont toujours détectés dans tous les bassins de production, montrant qu'une stratégie de gestion des résistances est primordiale pour maintenir la fréquence d'individus résistants la plus basse possible en France.
Le deuxième objectif de ce plan de surveillance, détecter précocement de nouvelles résistances, a vu tout son intérêt cette année puisque les premiers cas de résistance aux isolats CpGV-R5 et CpGV-V15 ont été détectés.
Une situation nouvelle en France et en Italie
Trente-deux populations testées en 2020
Cette année, des individus provenant de trente-deux parcelles ont été testés pour la résistance aux trois groupes génotypiques. À l'aide de bandes pièges, des larves diapausantes ont été prélevées à l'automne 2019 dans des zones avec des échecs de traitement. En 2020, une fois leur diapause levée au laboratoire, les papillons émergeant de chaque parcelle ont été placés dans des bouteilles pour se reproduire entre eux, et leurs descendants ont été utilisés pour des tests biologiques. Le protocole suivi était le même que celui décrit par Sauphanor (Sauphanor, Berling et al., 2006). Brièvement, les jeunes larves néonates sont individualisées et placées sur du milieu artificiel infesté avec du virus. La mortalité est mesurée après sept jours d'incubation.
Pour chacune des trente-deux populations issues des trente-deux prélèvements de C. pomonella, au moins vingt larves ont été testées à la dose discriminante, c'est-à-dire la dose qui tue entre 95 et 100 % des individus de la souche sensible de référence. Cette dose s'établissait à 6 250 granules/µl pour CpGV-M et CpGV-R5, et 31 250 granules/µl pour CpGV-V15. Le résultat de ce test est présenté dans le tableau ci-contre. Sur les trente-deux populations testées, vingt-et-une étaient statistiquement résistantes à CpGV-M, d'après un test de <03C7>², avec des mortalités corrigées allant de 0 à 74 %. Parmi celles-ci, neuf étaient résistantes à CpGV-V15 et trois à CpGV-R5. Pour la première fois, des populations de C. pomonella résistantes aux trois isolats viraux actuellement commercialisés ont été trouvés. L'une d'entre elles vient de la région nantaise et les deux autres proviennent de deux communes proches au nord-est de l'Italie (Frioul - Vénétie julienne).
Résistances multiples
Tous les échantillons résistants à CpGV-V15 le sont aussi à CpGV-M, et ceux qui résistent à CpGV-R5 le sont aux deux autres isolats. Plusieurs hypothèses, non exclusives, peuvent expliquer ce résultat :
- il peut être la conséquence fortuite de la chronologie des pressions de sélection exercées sur ces populations. La pression de sélection avec CpGV-V15 et CpGV-R5 a été plus forte dans des vergers connaissant d'importants échecs de traitement avec CpGV-M. Il s'agirait d'une accumulation de gènes de résistance dans les populations dans lesquelles la résistance à CpGV-M était déjà fixée ;
- ce résultat pourrait être directement lié au mécanisme de résistance et à son architecture génétique. La résistance à CpGV-M serait nécessaire pour développer la résistance à CpGV-V15, tout comme la résistance à CpGV-V15 le serait pour développer la résistance à CpGV-R5. Les mutations responsables des résistances à CpGV-V15 et CpGV-R5 ne seraient pas viables chez des insectes sensibles à CpGV-M. Un tel phénomène a déjà été observé pour les pyréthrinoïdes : la mutation super-kdr est létale en absence de la mutation kdr. Des données complémentaires et une analyse génomique permettraient d'explorer ces pistes de recherche et de déterminer si les différents gènes impliqués dans ces résistances interagissent ou dépendent les uns des autres.
Un faible rapport de résistance
Pour estimer le rapport de résistance, c'est-à-dire leur niveau de résistance, il est nécessaire de réaliser un test complémentaire en appliquant des doses croissantes de virus. Ce test dose/réponse nécessite beaucoup de larves (24 par dose). Il a donc été impossible de réaliser ce test sur toutes les populations. Nous avons choisi de présenter ici les résultats du test dose/réponse pour trois échantillons prélevés en 2019 avec des profils typiques : un résistant aux isolats M et V15 (Bouches-du-Rhône), un uniquement résistant à l'isolat CpGV-M (Hérault) et un dernier résistant aux trois isolats viraux actuellement commercialisés en France (Loire-Atlantique). Ces trois échantillons ont été comparés à notre population sensible de référence (Figure 1).
La population d'insectes de Loire-Atlantique (en rouge sur les graphiques) est résistante aux trois isolats viraux : son rapport de résistance est de l'ordre du millier pour CpGV-M (échelle logarithmique sur l'axe des X) contre un dixième pour CpGV-R5 et CpGV-V15 ; c'est-à-dire qu'il faut mille fois plus de CpGV-M pour tuer la même proportion d'insectes résistants par rapport à la souche sensible de référence (en vert sur le graphique). En revanche il ne faut que dix fois plus de CpGV-V15 ou CpGV-R5. C'est ce que l'on a appelé la résistance de type 5.
On peut donc légitimement s'interroger sur les conséquences de ces nouveaux cas de résistance et sur l'efficacité des traitements actuels en champ. Selon le témoignage du producteur de la parcelle « Loire-Atlantique » il semblerait que cette résistance, même avec un faible rapport, entraîne bien une perte d'efficacité substantielle sur le terrain. La population d'insecte de l'Hérault (en bleue sur les graphiques) n'est résistante qu'à CpGV-M, il s'agit là de la résistance de type 1, et la population provenant des Bouches-du-Rhône (en gris sur le graphique) est résistante aux isolats M et V15 (résistance de type 4).
Vers des résistances de type 4 et de type 5 ?
Deux nouveaux types de résistance
La résistance historique de C. pomonella à CpGV-M a été qualifiée de « type 1 » (Sauer, Schulze-Bopp et al., 2017). C'est le profil de résistance que l'on peut observer pour la population en provenance de l'Hérault (courbes bleues sur la Figure 1). Cette résistance est suivie en France depuis 2010. Elle s'est propagée dans tous les bassins de production sans pour autant se fixer dans les populations (Siegwart, Graillot et al., 2017) ; c'est-à-dire qu'il existe encore des réservoirs d'individus sensibles. Une analyse détaillée à l'école des mines d'Alès de nos souches d'insectes de laboratoire plus ou moins résistants à CpGV-M nous avait poussé en 2013 à prédire l'existence d'autres gènes de résistance (Berling, Sauphanor et al., 2013). En 2017, un deuxième type de résistance, nommée « type 2 », a été identifié en Allemagne. Elle correspond à une résistance à CpGV-M et CpGV-R5 mais pas à CpGV-V15. Celle-ci ne s'est jamais propagée et n'a plus été détectée depuis. Enfin, les même chercheurs ont évoqué l'existence d'une résistance de « type 3 » qui montrait des facteurs de résistance très faibles à plusieurs isolats de CpGV (inférieurs à 5) n'entraînant pas de perte d'efficacité sur le terrain (Sauer, Schulze-Bopp et al., 2017).
Les résultats présentés dans notre étude suggèrent deux nouvelles formes de résistance avec des insectes capables de résister à la fois à CpGV-M et CpGV-V15 (résistance de « type 4 ») et aux trois isolats (résistance de « type 5 »). Elles sont différentes des précédentes car leurs niveaux de résistance sont suffisamment élevés pour induire des pertes d'efficacité sur le terrain. De plus, elles sont présentes en France et en Italie. Il est donc probable que ce ne soit pas un événement unique comme celle de « type 2 » mais bien une première alarme qu'il semble important de prendre au sérieux.
Perspectives de recherche de nouveaux isolats
En 2006, lors de l'apparition de la résistance historique à CpGV-M, notre équipe a fait évoluer un isolat viral sur les insectes résistants au laboratoire pour sélectionner les génotypes viraux les plus performants. Le principe que nous avions mimé est celui d'une coévolution naturelle qui a lieu entre l'hôte et son pathogène lorsqu'ils sont en contact permanent sur de longues périodes. Cependant, les chances de trouver un nouvel isolat efficace grâce à cette technique dépendent du mode d'action de ces nouvelles résistances. Si le mécanisme de résistance est actif sur tous les génotypes de CpGV, nous ne parviendrons pas à trouver une solution avec un autre de ces virus. En revanche, si ces résistances ne sont qu'une accumulation de mécanismes spécifiques, nous avons peut-être une chance d'y parvenir.
Recherches sur la biodiversité des virus
Meilleure performance des mélanges viraux
À chaque nouvelle évolution des ravageurs, il faut trouver une solution efficace et non polluante grâce à une recherche innovante et réactive. Cette fois-ci, une des clés du succès dépendra de la capacité à acclimater une nouvelle souche d'insectes multi-résistantes au laboratoire. Cette étape difficile est pourtant primordiale pour développer une formulation virale capable de contourner les résistances. Une bonne exploitation des banques virales sera également cruciale pour profiter au maximum de la biodiversité des CpGV en notre possession. L'isolat CpGV-M est génétiquement très homogène, ainsi les insectes ont pu développer une résistance extrêmement spécifique. En revanche, d'autres isolats viraux ont une diversité génétique plus importante. Il semble qu'une des clés de l'infection des carpocapses par le virus soit cette diversité. Chaque génotype du virus attaque son hôte de façon légèrement différente, et même si l'hôte peut arriver à se défendre d'un type d'attaque, il a plus du mal avec plusieurs attaques simultanées. Des travaux de laboratoire ont montré qu'un mélange de génotypes viraux de la granulose est plus performant que la même quantité de chacun des génotypes pris séparément.
Assurer la double infection
Nous ne savons pas où l'insecte arrive à bloquer l'infection du CpGV-M, ni comment le CpGV-R5 arrive à contourner ce point de blocage, mais de façon surprenante, le CpGV-M est capable de se multiplier dans les insectes résistants s'il est accompagné du CpGV-R5 (Graillot, Bayle et al., 2014). Cela suggère une interaction entre génotypes viraux. Il s'agit là d'une stratégie différente de l'alternance des isolats, la diversité a une valeur en soi. Même si les préparations commerciales sont des mélanges de génotypes viraux, pour qu'une larve soit infectée par plusieurs virus, il faut qu'elle mange plusieurs granules. La question de l'occurrence d'infections doubles sur le terrain reste donc entière. Récemment, nous avons pu montrer la présence d'infections doubles en conditions de verger, et leur augmentation en fonction du temps de contact (Hinsberger, Blachère-Lopez et al., 2020). Ce temps de contact correspond à la période entre l'éclosion de l'oeuf et la pénétration dans le fruit. Lorsque l'oeuf est pondu sur les feuilles, le temps de contact est plus grand que lorsqu'il est pondu sur le fruit. Les mélanges seront donc plus efficaces sur la ou les premières générations de carpocapse des pommes où le « stade baladeur » est plus long.
Développer une stratégie proactive
La lutte contre le carpocapse des pommes évoque une course aux armements. Pouvoir évaluer en continu et pour chaque parcelle la solution la plus appropriée, en analysant les types de résistance pour adapter le meilleur mélange viral donnerait un avantage décisif aux conseillers agricoles. Cela impliquerait une très bonne communication entre le triptyque agriculteur/fournisseur de solutions phytosanitaires/chercheur. Dans la « course à l'isolat », nous serons toujours en réaction face au carpocapse, si nous n'arrivons pas à mettre en place une stratégie proactive. Nous pourrions par exemple utiliser nos connaissances sur les types de résistance l'année N-1 dans une zone donnée pour faire des prédictions d'efficacité de certains isolats pour l'année N et y préconiser finement les mélanges les plus performants.
(1) Tests d'activité biologique permettant de déterminer la dose virale qui provoque une mortalité donnée sur une population d'insectes.
RÉSUMÉ
CONTEXTE - Le carpocapse des pommes Cydia pomonella a développé une résistance au produit insecticide à base du virus de la granulose CpGV-M dans les années 2000. De nouveaux isolats viraux ont été développés : CpGV-R5 et CpGV-V15.
ÉTUDE - Inrae, la DGAl et UPL réalisent une surveillance active des résistances du ravageur aux trois groupes génotypiques de virus de la granulose commercialisés : tous les ans, des tests biologiques sont réalisés sur des insectes prélevés sur le terrain, dans les parcelles les plus à risque.
RÉSULTATS - Ce suivi a permis de mettre en évidence en juillet 2020 des résistances à CpGV-V15 et à CpGV-R5. Pour la première fois, des populations de C. pomonella résistantes aux trois isolats ont été détectées.
MOTS-CLÉS - Carpocapse des pommes, Cydia pomonella, lutte biologique, virus de la granulose CpGV, isolats viraux, résistance.
POUR EN SAVOIR PLUS
CONTACT : myriam.siegwart@inrae.fr
BIBLIOGRAPHIE : la bibliographie de cet article (cinq références) est disponible auprès de ses auteurs (contact ci-dessus).