En vergers de pommiers, les acariens prédateurs ou phytoséiides sont des agents de lutte biologique par conservation : présents naturellement, ils sont capables, si on les ménage, de maîtriser les populations des ravageurs que sont les acariens phytophages.
Nous avions mené un inventaire en France dans 130 parcelles en 2011 (Tixier et al., 2012). En 2012, nous l'avons enrichi par de nouveaux comptages et travaillé sur la méthodologie de comptages. En voici les enseignements.
Protection gratuite
Polyphagie, recolonisation, présence permanente
Avant cela, un rappel utile : plusieurs espèces d'acariens de la famille des Phytoseiidae sont considérées comme les prédateurs les plus efficaces d'acariens ravageurs, mais aussi de quelques insectes comme les thrips ou les cochenilles dans certaines cultures (McMurtry et Croft, 1997).
La grande majorité de ces Phytoseiidae est constituée des prédateurs généralistes capables de survivre et même de se développer dans les parcelles cultivées lorsque leurs proies préférentielles sont absentes. Ce régime alimentaire polyphage constitue un véritable atout de lutte biologique.
En effet, présents naturellement dans les abords des parcelles, ils peuvent facilement coloniser les parcelles cultivées. Cette présence permanente leur permet d'agir tôt et efficacement contre les pullulations d'acariens phytophages tout au long de l'année. Ils offrent ainsi une protection biologique gratuite et efficace ; ce sont de réels alliés de l'agriculteur.
Des pratiques qui les favorisent
Cependant, la plupart des espèces sont relativement sensibles aux interventions phytopharmaceutiques ou autres pratiques culturales. Il convient donc de raisonner ces interventions pour favoriser la présence et le développement de ces auxiliaires.
Inventaire en France
Rappel sur les espèces échantillonnées en 2011
Afin de déterminer les espèces présentes dans les vergers de pommiers français et les effectifs d'acariens Phytoseiidae rencontrés, un inventaire a été initié en 2011 (Tixier et al., 2012). 130 parcelles avaient été échantillonnées dans 26 départements de 12 régions administratives.
Les principales espèces rencontrées étaient Amblyseius andersoni (Chant), Kampimodromus aberrans (Oudemans) et Typhlodromus (Typhlodromus) pyri Scheuten (Tixier et al., 2012). La prédominance de ces espèces variait en fonction des régions. Mais certaines régions avaient été peu échantillonnées.
2012, un travail pour deux buts
Le travail réalisé en 2012 et présenté ici vise tout d'abord à enrichir ce premier inventaire de la faune des Phytoseiidae en France.
De plus, les données accumulées sur les densités observées ont permis de proposer des méthodes d'échantillonnages optimales pour caractériser au mieux les Phytoseiidae dans cette culture.
Poursuite de l'inventaire en 2012 : collecte et identification des espèces
En 2012, 40 parcelles ont été échantillonnées dans 14 départements de 7 régions administratives (Tableau 1). Dans chaque parcelle, 50 feuilles ont été prélevées entre mai et septembre 2012. Chaque feuille a été observée séparément. Tous les Phytoseiidae ont été comptabilisés et collectés.
Puis les femelles ont été montées entre lame et lamelle dans du liquide de Hoyer. Elles ont été identifiées à l'aide d'un microscope à contraste de phase, en utilisant la bibliographie adéquate pour chacun des genres rencontrés.
Caractérisation de la distribution, regroupement de 2011 et 2012
Afin de déterminer la distribution des Phytoseiidae dans les parcelles de pommiers en France, les données 2011 et 2012 ont été utilisées.
Les indices a et b de la loi de Taylor qui met en relation la moyenne (m) et la variance de toutes les parcelles échantillonnées (S2) (S2 = amb) ont été calculés. La valeur b de cette équation est directement dépendante de la distribution de l'organisme en question. Lorsque b = 1, la distribution est aléatoire. Lorsque b > 1 la distribution est agrégée (autrement dit : en foyers). Enfin lorsque b < 1, la distribution est uniforme.
Caractérisation de la taille de l'échantillonnage optimal
Afin de déterminer le nombre de feuilles à échantillonner pour caractériser les effectifs de Phytoseiidae dans les vergers de pommiers, nous avons utilisé la relation suivante : N = am(b-2)/E2, dans laquelle a et b sont les variables de la loi de Taylor, m la moyenne des individus et E2 l'erreur standard fixe en fonction de la moyenne.
Résultats 2012
Sur 40 parcelles, 31 occupées
Parmi les 40 parcelles échantillonnées en 2012, 31 étaient occupées par au moins un Phytoseiidae. Les 9 parcelles sans phytoséiides ont été observées dans plusieurs régions et pour plusieurs variétés.
Des Phytoseiidae ont été trouvés dans 6 des 7 régions échantillonnées, la seule parcelle échantillonnée en Picardie n'ayant révélé aucune présence.
Des effectifs variables
Les effectifs rencontrés étaient assez variables (Fig. 1). Le minimum était de 0,02 phytoséiide/ feuille et le maximum de 3,22 (moyenne de 0,62 et écart-type = 0,83).
Les parcelles présentant des effectifs faibles ont été observées essentiellement en régions Basse-Normandie, Pays-de-la-Loire, Centre et Haute-Normandie.
En région PACA, la majorité des parcelles échantillonnées présentait des effectifs moyens à très élevés (0,2 à 3,22 phytoséiides/feuille).
La seule parcelle présentant des phytoséiides en Rhône-Alpes avait des effectifs importants (2,56 phytoséiides/feuille).
Cinq espèces identifiées
Cinq espèces ont été identifiées dans les 31 parcelles dans lesquelles des acariens prédateurs ont été trouvés en 2012 (Fig. 2). L'espèce majoritaire était K. aberrans suivie d'A. andersoni et, dans une moindre mesure, de T. pyri. Neoseiulus californicus (McGregor) et Euseius gallicus Kreiter & Tixier n'ont été observées que très rarement (seulement en région PACA, dans un seul verger).
Les espèces étaient cependant différentes en fonction des régions. Amblyseius andersoni a été observée dans toutes les régions considérées, excepté dans l'unique verger où nous avons trouvé des phytoséiides en Rhône-Alpes, dans lequel seule l'espèce T. pyri a été rencontrée (Fig. 3).
Dans toutes les parcelles dans lesquelles A. andersoni a été observée en dehors de la région PACA, cette espèce était la seule dans la parcelle, excepté dans un verger de la région Pays-de-la-Loire dans lequel elle était accompagnée de T. pyri.
Fait provençal pour K. aberrans
En 2012, K. aberrans doit sa dominance (Fig. 2) à sa présence en effectifs importants dans 12 parcelles de la région PACA où, dans la majorité des cas, elle a été observée seule. Mais K. aberrans a été observée uniquement en PACA (Fig. 3). Or l'effort d'échantillonnage a été important dans cette région : 18 parcelles sur les 40 échantillonnées, dont 14 des 31 parcelles « occupées » En 2011, l'effort d'échantillonnage avait lui aussi été important dans cette région, mais c'est A. andersoni qui y était l'espèce la plus fréquente.
Dans les deux autres parcelles « occupées » de la région PACA en 2012, l'unique espèce présente était A. andersoni.
Typhlodromus pyri a été observée en Rhône-Alpes, Pays-de-la-Loire et Basse-Normandie. Un seul individu de cette espèce a été identifié en PACA, et aucun ailleurs.
Comparaison entre 2011 et 2012
De 130 à 161 parcelles
Le travail réalisé en 2012 a permis de compléter le panorama de 2011.
Une seule parcelle avait été échantillonnée en Basse-Normandie en 2011. Avec les sept de 2012, on est passé à 8 parcelles.
En région Centre, seules 2 des 6 parcelles échantillonnées en 2011 présentaient des Phytoseiidae. Les échantillonnages de 2012 (deux parcelles occupées sur trois échantillonnées) ont monté à 4 le nombre de parcelles considérées dans cette région.
Pour les régions PACA, Pays-de-la-Loire et Rhône-Alpes, les données de respectivement 14, 4 et 1 parcelles se rajoutent à nos connaissances.
Enfin, une nouvelle région a été échantillonnée en 2012, la Haute-Normandie. Ainsi, 31 parcelles accueillant des typhlodromes s'ajoutant aux 130 de 2011, ce sont 161 parcelles qui sont désormais analysables en termes de diversité.
À noter : aucune donnée n'est disponible pour la Picardie (parcelle « vide »), et le nombre de parcelles de certaines régions (Centre, Franche-Comté, Haute-Normandie, Limousin, Poitou-Charentes) reste assez faible même en cumulant les deux années.
Typhlodromes identifiés : mêmes espèces mais certains taux évoluent
Les cinq espèces identifiées en 2012 font partie des 11 rencontrées en 2011. Et on trouve les trois mêmes espèces principales. Amblyseius andersoni a été observée dans de nouvelles régions, comme en Haute- et Basse-Normandie. À noter : cette espèce a été trouvée moins fréquemment en région PACA qu'en 2011, année où on l'avait comptée comme majoritaire en termes d'effectifs dans cette région : en 2012 c'est K. aberrans qui y est l'espèce majoritaire.
Cette dernière espèce n'a en revanche pas été observée dans la région Pays-de-la-Loire, alors qu'elle l'avait été en 2011.
Le travail réalisé en 2012 a également permis de confirmer la présence de T. pyri en régions PACA et Basse-Normandie et sa fréquence en région Rhône-Alpes.
Enfin comme en 2011, N. californicus et E. gallicus ont été trouvées de façon sporadique, et seulement en région PACA.
Grâce à ces données supplémentaires, de nouvelles cartes de distribution des trois principales espèces de Phytoseiidae dans les vergers de pommier en France ont été dressées (Fig. 4).
Résultats cumulant 2011 et 2012
Distribution des phytoséiides dans les vergers de pommiers : elle est agrégative
Une très bonne corrélation entre le logarithme de la variance (LogS2) et le logarithme de la moyenne (Log(m)) a été observée (R2 = 0,96). Ceci permet d'utiliser les variables de la relation de Taylor pour caractériser la distribution des Phytoseiidae dans les parcelles de pommiers échantillonnées. La pente de la droite obtenue est de 1,26 (Fig. 5). Cette valeur clairement supérieure à 1 montre que cette distribution est agrégative (ou en foyers). Le tableau 2 montre les résultats des régressions obtenues pour les régions dans lesquelles le nombre de parcelles était suffisant pour réaliser une telle analyse.
Pour toutes ces régions, la valeur de la pente b est supérieure à 1. Ceci montre une distribution agrégative des Phytoseiidae quelle que soit la région.
Cependant, très souvent, deux espèces dominent. Il est donc difficile de déterminer si les distributions des espèces en question sont différentes.
Nous avons donc considéré séparément les parcelles dans lesquelles une seule espèce était dominante à 80 %, et ceci quelle que soit la région. Les valeurs de b obtenues montrent que les trois espèces (A. andersoni, T. pyri et K. aberrans) ont, chacune, une distribution agrégative.
Cependant, il semble que l'espèce la plus agrégative soit K. aberrans et la moins agrégative T. pyri.
Conséquence de cette distribution sur les stratégies d'échantillonnage : nombre de feuilles à prélever...
La distribution des Phytoseiidae sur pommier étant agrégative, l'effort d'échantillonnage à fournir devra être important.
Nous avons déterminé que, pour estimer avec 10 % d'erreur les effectifs moyens de Phytoseiidae dans les vergers de pommiers, il faudrait échantillonner 260 feuilles/parcelle... C'est manifestement infaisable.
En revanche, avec une prévision de 20 % autour de la moyenne, ce nombre de feuilles à prélever est de 40. Ceci est réalisable et permettrait malgré tout une bonne estimation des effectifs présents.
En deçà de ce nombre, la précision des moyennes obtenues serait insuffisante.
Un abaque pour simplifier les comptages
Afin de simplifier les comptages sur le terrain, nous avons étudié la correspondance entre le nombre moyen de phytoséiides par feuille et le taux d'occupation d'une feuille par au moins un Phytoseiidae (Fig. 6).
La bonne corrélation observée a permis d'établir un abaque mettant en relation le pourcentage de feuilles occupées par au moins un phytoséiide et le nombre moyen de Phytoseiidae par feuille.
Discussion et conclusion
Le travail le plus poussé en Europe
Ce travail a permis de mieux caractériser les espèces présentes dans les vergers français et leur importance relative. C'est certainement le travail le plus poussé jamais réalisé en France mais aussi en Europe sur arbres fruitiers, où quelques résultats ponctuels ont été publiés.
Hypothèse changement de faune confirmée
Ce travail a permis de confirmer les hypothèses d'un changement de faune depuis des relevés réalisés il y a plus de 10 ans, avec la dominance actuelle d'A. andersoni.
C'est aussi le cas dans les vergers européens sur lesquels des données existent (i.e. Espagne, Turquie, Suisse, Slovénie, Italie). Duso et al. (2009) signalent la présence de quatre espèces dans ces vergers : A. andersoni, K. aberrans et T. pyri, tel que nous l'avons mis en évidence en France. Il y a une quatrième espèce très peu rencontrée dans les vergers français : c'est Euseius finlandicus.
Enfin, notons qu'une nouvelle espèce de Phytoseiidae, Amblydromalus limonicus (Garman & McGregor), probablement originaire d'Amérique du Sud, a été signalée en vergers de pommiers espagnols (Escudero- Colomar et Chorazy, 2012).
En France, les deux autres espèces notables, outre A. andersoni, K. aberrans et T. pyri, ont été observées dans des régions particulières : Languedoc-Roussillon, Provence-Alpes-Côte-d'Azur et Rhône-Alpes.
Facteurs explicatifs possibles : climat et produits
Les pratiques culturales et les conditions climatiques sont très certainement à l'origine de ces disparités.
Amblyseius andersoni est en effet connue comme plus sensible aux faibles hygrométries relatives, mais plus résistante à divers produits phytopharmaceutiques.
Au contraire, K. aberrans est connue pour être plus sensible aux produits phytopharmaceutiques, mais plus résistante aux faibles hygrométries relatives.
De plus, cette espèce est préférentiellement rencontrée sur les végétaux aux feuilles pileuses, suggérant l'impact des variétés utilisées (et de leur pilosité) sur les densités et la diversité observée. Cependant, dans le cas de notre étude, la variété ne semble pas avoir affecté la diversité des Phytoseiidae observés.
Duso et al. (2009) notent que lorsque les conditions sont favorables en termes de traitements phytopharmaceutiques (moins de produits agressifs envers les phytoséiides), K. aberrans serait plus compétitive que les autres espèces de Phytoseiidae dans les vergers de pommiers. Avec l'augmentation des raisonnements des interventions, cette espèce pourrait donc apparaître comme dominante dans les vergers.
Il reste à savoir si cette espèce qui résiste à la sécheresse (« faible hygrométrie relative ») serait aussi compétitive en conditions plus septentrionales. Le fait qu'elle ait été observée en 2011 en Pays-de-la-Loire et dans le Jura, mais aussi sur pommiers en Autriche et en Allemagne, incite à penser que oui.
Et les inter-rangs ?
D'autres facteurs jusqu'alors très peu étudiés dans les vergers de pommiers français pourraient également affecter la diversité et la densité des phytoséiides sur les arbres. Il s'agit de l'effet de l'enherbement des parcelles et des pratiques culturales appliquées dans ces inter-rangs (tonte, période, intensités). Certaines études réalisées au Canada montrent notamment des échanges entre les arbres et la strate herbacée.
Actuellement, nous ne savons pas si les espèces principalement rencontrées sur pommiers sont présentes aussi dans les interrangs, et encore moins en quelles quantités. Dans la littérature, K. aberrans et T. pyri sont essentiellement signalées sur des plantes arbustives ou arborées et très peu sur des plantes herbacées.
Amblyseius andersoni a été plus fréquemment observée sur des plantes herbacées. La présence de ces espèces dans les interrangs mériterait d'être davantage étudiée, afin de proposer à terme un raisonnement des interventions culturales dans les interrangs favorisant le contrôle biologique.
Distribution caractérisée : une première en France, vers des propositions méthodologiques
Enfin, ce travail a permis de caractériser pour la première fois la distribution des Phytoseiidae dans les vergers de pommiers en France. Ces résultats confirment leur distribution agrégative mais montrent quelques disparités entre les espèces, K. aberrans étant la plus agrégative.
Ils nous ont permis de proposer un nombre optimal de 40 feuilles à échantillonner par parcelle pour caractériser au mieux les densités de prédateurs présents. De plus, pour la première fois, un abaque décisionnel, permettant de simplifier les échantillonnages dans les vergers français, a été proposé.
À terme, on pourrait réaliser ce même travail en mettant en correspondance les quantités de tétranyques et celles d'ennemis naturels, afin de proposer des règles de décision basées sur la présence simultanée des proies et des prédateurs.
<p><b>Remerciements</b> : Aux techniciens régionaux de Bayer, et à tous les agriculteurs et acteurs techniques ayant participé à l'échantillonnage des parcelles et à l'envoi des échantillons ; sans eux rien n'aurait été possible.</p>