Larves de taupins. On signale de plus en plus souvent les dégâts de ce ravageur souterrain. Photo : DR
Certains bioagresseurs qui accomplissent une partie de leur cycle dans le sol sont souvent appelés ravageurs du sol. Il nous semble que cette désignation est impropre. En effet, elle suggère que les dégâts portent sur le sol ! Le terme de ravageurs souterrains paraît plus approprié.
Points communs de ces différents ravageurs
Invisibles, souvent imprévisibles
C'est cette terminologie qui a été retenue au sein du groupe de travail de l'Association française de protection des plantes (AFPP) consacré à ces ravageurs.
Souterrain, ce qualificatif sous-entend bien les difficultés liées à la protection des cultures vis-à-vis de ces ravageurs.
Souvent invisibles, souvent imprévisibles, ces bioagresseurs constituent une source de perte pour de nombreuses cultures.
Des pertes de récolte mal quantifiées, mais en moyenne...
Que ce soit sur des cultures de printemps – maïs, pomme de terre, tournesol, betteraves et cultures légumières – ou des cultures d'hiver – céréales, colza – ces ravageurs entraînent des pertes de récolte souvent mal quantifiées.
Quelques estimations existent cependant. Elles s'accordent pour évaluer un taux de perte de production national autour de 5 %. En maïs, Arvalis-Institut du végétal estime les pertes liées aux ravageurs souterrains entre 500 et 700 000 quintaux soit 100 à 140 millions d'euros.
Attention aux situations particulières
Ces moyennes, aussi importantes soient-elles sur le plan national, masquent des situations particulières beaucoup plus graves. Si nous évoquons les terres noires du Sud-Ouest, il est bien connu des producteurs locaux que les attaques de taupins ou de scutigérelles ne supportent aucun relâchement de la lutte.
Si nous évoquons les zones de productions betteraves et céréales, la mouche grise est un ravageur difficilement prévisible.
Quand on voit les dégâts, on ne peut rien rattraper
Ces ravageurs souterrains ont un point commun : une fois que les dégâts ont commencé, il n'y a pas de rattrapage possible. Au grand dam de ceux qui veulent que la lutte contre ces ravageurs soit curative plutôt que préventive, c'est un vœu pieu pour l'instant !
Présentation des principaux
Insectes de trois ordres
Ces ravageurs sont multiples et variés, on compte dans leurs rangs des insectes appartenant à trois ordres :
– coléoptères, les taupins d'abord, mais aussi les sitones, atomaires, hannetons (que les poètes disaient disparus...), zabre, et plus récemment la chrysomèle du maïs ;
– lépidoptères : vers gris, hépiale ;
– diptères : mouche du chou, mouche grise, jaune, tipules, mouche de la carotte...
Autres arthropodes, limaces, nématodes
Ensuite, pour sortir des insectes en restant dans les arthropodes, il y a des myriapodes : les scutigérelles (mille-pattes).
Par ailleurs, les limaces défraient régulièrement la chronique.
Enfin, les nématodes (Heterodera spp, Meloidogyne divers, Ditylenchus dipsaci, Pratylenchus sp) font ponctuellement parler d'eux mais on ignore leur impact économique réel. Bref, un monde souterrain mal connu mais qui grève à coup sûr (et coût sûr !) les principales productions françaises.
Où en sont les moyens de protection ?
De moins en moins de produits
Invisibles et mal connus, voilà deux qualificatifs qui font le jeu des adeptes du « vous n'avez pas besoin de protéger les cultures ». Pour ceux-là, ces deux qualificatifs sont résumés en un seul : « inexistant » !
Cette position conduit actuellement au mieux à un retour en arrière de la protection des cultures, au pire à une disparition complète des méthodes de protection.
Aujourd'hui, il n'y a plus de protection pour les plantations de pomme de terre et les semis de colza contre les taupins. La protection des melons et de nombreuses autres cultures légumières reste très insuffisante.
Le retrait de nombreuses solutions de protection des plantes au semis conduit les producteurs à des surcoûts (association de protection de semences et application de microgranulés, par exemple) avec toujours l'angoisse de l'incertitude du résultat.
Rotation, biocontrôle ?
Souvent, il est fait mention pour la régulation de ces ravageurs souterrains de mettre en œuvre une mesure agronomique : la rotation de culture.
C'est oublier que certains d'entre eux sont très polyphages : les taupins font des dégâts et sont capables de se développer sur la plupart des cultures. Pour eux, au moins, la rotation des cultures n'est pas une réponse appropriée.
S'il n'y a plus de solution conventionnelle ni agronomique contre certains de ces ravageurs, quid du biocontrôle ? Là, les solutions sont peu nombreuses.
Quelques tentatives ont été faites avec des champignons entomopathogènes (Beauveria bassiana, par exemple), mais elles restent expérimentales à ce jour tant les conditions de sol et climat sont déterminantes sur la régularité des résultats.
Lutte génétique ?
Si ces solutions agronomiques ou de biocontrôle sont limitées, peut-on envisager la lutte génétique ? L'exemple du phylloxera de la vigne est dans les mémoires. Mais là encore, il n'y a pas de signe encourageant. Les taupins sont par exemple capables de ronger tout type de culture, voire des tuyaux de goutte-à-goutte. On voit mal dans ce cas quel procédé pourrait leur résister, sauf à recourir à la technologie OGM comme le font nos voisins outre-Atlantique. Cela reste pour l'instant interdit en France.
Passage du « en plein » au localisé, quelles conséquences ?
Comme on peut le constater, les solutions de protection des cultures contre les ravageurs souterrains ont évolué, passant de méthodes de réduction des populations avec les applications en plein aux méthodes de protection des plantes localisée par les microgranulés ou la protection des semences.
Ceci a pour corollaire que les populations de ces ravageurs ne diminuent plus, voire augmentent ! Ainsi les attaques de taupins, circonscrites il y a une quinzaine d'années à quelques zones géographiques bien identifiées, sont maintenant régulièrement mentionnées sur l'ensemble du territoire par les producteurs, sur des cultures comme la pomme de terre ou le colza.
Elles restent un problème majeur sur leurs cultures de prédilection comme le maïs, le tournesol, le melon, les céréales et de nombreuses cultures légumières.
Peut-on évaluer les risques ?
Zones à risques ou non
Bon nombre de techniciens cherchent à qualifier les risques liés aux ravageurs souterrains. Certaines zones sont bien identifiées comme présentant des risques « constants ». Les terres noires du Sud-Ouest en sont un exemple.
A contrario certaines parcelles sont connues comme indemnes d'attaques, et ce, de mémoire de producteurs. Comment expliquer de telles situations ?
Il s'agit là des plus typées, mais il y a aussi de nombreuses parcelles où les attaques peuvent se produire, de manière irrégulière, souvent en fonction des conditions climatiques.
Rôle des conditions climatiques, réel mais difficilement prévisible
En effet, les attaques de la plupart des ravageurs souterrains sont d'autant plus importantes que les conditions sont peu « poussantes ». Divers paramètres climatiques type humidité du sol ou température au moment de la vulnérabilité des jeunes plantes ne sont pas prévisibles.
Pour l'instant, aucune méthode ne permet de prédire les situations à risque. Les solutions préventives restent les seules possibles.
Demain, l'évaluation des risques ? Le travail est en cours
D'importants travaux sont réalisés dans le cadre d'un projet de recherche animé par Arvalis-Institut du végétal et regroupant les principaux organismes de recherche et instituts techniques travaillant sur les cultures exposées à des dégâts de taupins. Un des objectifs est de définir les typologies de parcelles à risque pour le maïs, le blé, la betterave, la pomme de terre et le tournesol et de proposer, à terme, un outil d'aide à la décision.
Ces travaux sont complétés par des études sur les techniques de piégeage, la biologie des taupins, les moyens d'assainissement des sols et les éventuelles méthodes de luttes alternatives.
Par ailleurs, au sein de la commission « Ravageurs et auxiliaires » de l'AFPP, un groupe de travail vient de se constituer afin d'apporter un complément aux travaux entrepris au sein des instituts.
Comme on peut le constater, aussi souterrains (et « invisibles ») soient-ils, ces ravageurs restent une préoccupation majeure des producteurs, techniciens et chercheurs afin de maîtriser au mieux les risques aux cultures qu'ils induisent.