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SPÉCIAL ESCA

À propos de symptômes : analyse de quelques travaux et deux suggestions

P. LECOMTE* - Phytoma - n°674 - mai 2014 - page 19

Feuille avec faciès type BDA à gauche et esca à droite. La coloration est apparue plus tardivement à gauche qu'à droite. Photo : P. Lecomte - Inra

Feuille avec faciès type BDA à gauche et esca à droite. La coloration est apparue plus tardivement à gauche qu'à droite. Photo : P. Lecomte - Inra

Ci-contre, symptômes foliaires évolués d'esca sur cabernet sauvignon, feuilles du bas tombées.

Ci-contre, symptômes foliaires évolués d'esca sur cabernet sauvignon, feuilles du bas tombées.

Ci-dessous, début de symptômes d'esca sur cépage noir : décolorations vineuses et dessèchements liés probablement à des assèchements vasculaires localisés.      À l'avenir, il faudra certainement s'interroger beaucoup plus sur la disponibilité de l'eau dans les ceps de vigne malade d'esca. Photos : P. Lecomte - Inra

Ci-dessous, début de symptômes d'esca sur cépage noir : décolorations vineuses et dessèchements liés probablement à des assèchements vasculaires localisés. À l'avenir, il faudra certainement s'interroger beaucoup plus sur la disponibilité de l'eau dans les ceps de vigne malade d'esca. Photos : P. Lecomte - Inra

De nombreuses confusions ont été ou sont faites encore au sujet des symptômes. Voici une revue bibliographique de plusieurs travaux différenciant esca et BDA.

Sur la composition anthocyanique des feuilles

Présentation

Tout d'abord, les travaux dirigés par M. Darné ont souvent été cités comme preuves de l'existence de deux maladies différentes (Larignon et al., 2003).

Ces travaux, réalisés sur cépage noir, ont consisté à analyser la composition anthocyanique de feuilles supposées représenter deux maladies différentes à des stades également supposés différents. Ils concluent en la possibilité de distinguer précocement les deux maladies, les feuilles présentant des compositions anthocyaniques différentes.

Discussion

Mais l'âge des symptômes n'a pas été noté. Ainsi, les feuilles censées présenter des symptômes d'esca à des stades différents sont toutes, d'après notre suivi des symptômes foliaires, des feuilles présentant des symptômes âgés. Rien d'étonnant à ce que les profils anthocyaniques identifiés à l'époque soient similaires.

Dans ces travaux, les symptômes attribués au BDA ne correspondaient pas non plus à des stades d'âge très différents (toujours en référence à notre suivi).

Tous concernaient des symptômes foliaires récents, variables selon l'importance des rougissements et dessèchements internervaires. Mais aucun d'eux ne paraît évolué de plusieurs semaines (cf. Fig. 1 et 2 de l'article « Symptômes foliaires »). Ils semblent avoir été classés en considérant que les décolorations (rougissements sur ces cépages) sont le prélude des desséchements.

L'étude a conclu à une forte proportion de malvidine à un stade précoce du BDA. La malvidine est le composé rouge sombre responsable de la couleur rouge vineux des premiers symptômes foliaires. Ce résultat était logique si les feuilles étudiées à un stade supposé précoce comportaient essentiellement des colorations rouges et peu de dessèchements et si celles supposées représenter un stade tardif en comportaient peu ou pas du tout. Il indiquait seulement que la proportion en malvidine varie selon l'étendue des colorations rouges.

Le mérite de ce type d'étude était donc de montrer qu'il était possible de caractériser la composition anthocyanique de feuilles présentant des colorations ou faciès différents. Mais en aucun cas, les symptômes n'étant pas correctement datés, cette étude ne prouverait l'existence de deux maladies différentes.

Sur les différences cytologiques entre feuilles

Présentation

Les travaux de thèse de Christophe Valtaud (2007, 2011) sont également souvent utilisés comme preuves irréfutables de l'existence de deux syndromes. Ces travaux ont consisté à analyser les modifications physiologiques de tissus issus d'organes symptomatiques.

Discussion

Ici encore les symptômes n'ont pas été régulièrement suivis dans le temps et datés. Les symptômes étudiés, prélevés à des dates différentes, ont été attribués à l'un ou l'autre syndrome selon leur faciès, mais ceci sans avoir suivi leur développement.

Dans ces conditions, des différences cytologiques incontestables ont été montrées entre des feuilles montrant des symptômes d'âge différent, mais ces différences liées à des stades physiologiques différents ne peuvent pas non plus accréditer l'existence de deux maladies différentes.

Sur la reproduction de symptômes foliaires

Présentation

La reproduction de symptômes foliaires est aussi une source de confusions. Les travaux récents de notre collègue Cecilia Rego, au Portugal, ont été récemment repris et cités comme preuves de la reproduction des symptômes de black dead arm suite à l'inoculation, à proximité d'un bourgeon, de jeunes boutures par une espèce agressive de Botryosphaeria. Des symptômes foliaires, non contestables en soi, ont été effectivement obtenus dans ces conditions artificielles. Ces symptômes apparaissent l'année suivant l'infection quand une nouvelle tige s'est développée. Ils correspondent bien à une perturbation vasculaire affectant l'alimentation hydrique et/ou minérale de la partie supérieure de la tige.

Ils sont semblables à ceux d'une forme très lente d'esca, en l'absence de bande orangée (voir l'article p. 14). Ils sont également proches des symptômes « conséquences » d'une alimentation carencée ou perturbée par la présence d'un chancre important.

Discussion

Mais ils sont très différents de la majorité des symptômes d'esca observés en vignoble adulte. On observe parfois des symptômes semblables lors de problèmes racinaires sur plants en pots ou très jeunes vignes.

De plus, le désordre vasculaire, longitudinal et jaune orangé, supposé caractéristique du BDA dans la description datant de 2001, est totalement absent (Rego com. pers.).

Ce symptôme sur feuille obtenu en serre avec un test invasif dans un environnement particulier est donc un artefact lié à des conditions expérimentales sévères. Mais il ne peut prétendre mimer fidèlement les premiers symptômes d'esca observables à partir du mois de juin en vignoble adulte (voir, p. 8 et 9, les Figures 1 et 2 de l'article « Les symptômes foliaires, à suivre en cours de saison »).

Démarche expérimentale loin du terrain, attention

Personne n'a reproduit le BDA

À ce jour, aucune expérience n'a encore reproduit simultanément le désordre vasculaire et les symptômes foliaires correspondant à la description du BDA en 2001. Ni pour l'esca, d'ailleurs.

Il est possible que vouloir reproduire fidèlement en serre ou avec de jeunes vignes un phénomène qui demande huit à vingt-cinq ans de latence en conditions naturelles soit très difficile, voire illusoire.

À ce jour, seul Sparapano et al., (2001) ont réussi à reproduire partiellement des symptômes (au mieux 37 % des ceps inoculés) en infectant des branches de jeunes vignes. Refaire ce type d'expérience serait intéressant pour voir si le dommage vasculaire est reproduit ou si les symptômes obtenus correspondent à un autre type de désordre.

La prudence est de mise

Toutes ces confusions ou amalgames montrent combien il est important d'observer très précisément tous les symptômes visibles sur le terrain ou en serre et d'interpréter avec prudence les résultats de toute démarche expérimentale éloignée du contexte naturel.

Deux suggestions

Résister à la tentation de simplifier

L'esca est une maladie complexe impliquant plusieurs facteurs. Sur vignes adultes, la présence d'importantes nécroses internes précède l'observation de symptômes foliaires. Les plus graves ne sont observés que chez des ceps très altérés au niveau du bois et proches du déclin total ou partiel. Il est probable que pour reproduire fidèlement ce type de symptômes foliaires, il faille travailler avec de tels ceps. L'esca étant devenu de plus en plus préoccupant, il ne faut pas négliger toutes les visions possibles susceptibles d'apporter des idées neuves.

Expliquer l'esca par un modèle simple (un champignon pathogène émet des toxines générant des symptômes) semble insuffisant, alors que l'esca apparaît de plus en plus comme lié à un multiparasitisme.

Cette tendance peut trouver sa source dans l'évolution de l'univers de la recherche : aujourd'hui, beaucoup de chercheurs sont issus de formations orientées davantage vers le laboratoire que vers le terrain et les visions systémiques.

Mettre de l'eau dans sa vision

Le plus surprenant est la non prise en compte du rôle capital de l'eau dans la plante en lien avec l'efficacité des trajets de sève et les phénomènes d'exploration des tissus par les mycéliums ou autres micro-organismes. Un cep de vigne est un écosystème à lui seul, car le bois est le siège de vie d'une microflore riche et variée. Comment peut-on ignorer l'existence probable de situations de concurrence pour l'alimentation en eau ?

Avancer l'idée que la demande en eau peut, dans des cas précis (ceps malades de l'esca), être plus forte que l'offre, ou qu'un réseau hydrique peut être perturbé au point d'engendrer des assèchements vasculaires ou foliaires semble devenu une théorie non crédible... Pourtant, comment un acteur du vivant peut-il écarter le lien possible entre les conditions estivales et le caractère saisonnier des manifestations de l'esca ?

À l'heure où nous constatons un déficit de solutions, avoir un regard sur la plante devient indispensable.

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POUR EN SAVOIR PL US

BIBLIOGRAPHIE DES PAGES 17 À 20 :

- Andolfiet al., 2011. Phytotoxins produced by fungi associated with grapevine trunk diseases. Toxins 3, 1569-1605.

- Larignon et al., 2003. Les différences précoces dans la composition anthocyanique foliaire de cabernet-sauvignon (Vitis vinifera) atteint par l'esca ou par le black dead arm. 7e Symposium international d'oenologie, Bordeaux, 19-21 juin 2003. In « OEnologie 2003 » : 33-35.

- Mahoney et al., 2005. Dying-arm disease in grapevines : Diagnosis of Eutypa infection by metabolite analysis. Journal of Agriculture and Food Chemistry 53, 8148-8155.

- Sparapano et al., 2001. Three-year observation of grapevines cross-inoculated with esca-associated fungi. Phytopathologia mediterranea 40 : S376-S386.

- Valtaud C, 2007. Biologie des agents de l'esca et impacts sur la vigne (Vitis vinifera L. cv. Ugni blanc). Thèse de doctorat de l'université de Poitiers, France, 211 p.

- Valtaud C. et al., 2011. Systemic damage in leaf metabolism caused by esca infection in grapevines. Australian Journal of Grape and Wine Research 17 : 101-110.

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