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Biologie et écologie de Scaphoideus titanus, cicadelle vectrice de la flavescence dorée

JULIEN CHUCHE* ET DENIS THIERY* - Phytoma - n°679 - décembre 2014 - page 25

Mieux la connaître pour mieux la maîtriser, avec des insecticides aujourd'hui, et demain des techniques futuristes...
Adulte de Scaphoideus titanus, vecteur de la flavescence.

Adulte de Scaphoideus titanus, vecteur de la flavescence.

Merlot porteur de symptômes, rouges sur ce cépage noir... la flavescence n'est dorée que sur cépage blanc. Photos : J. Chuche - Inra

Merlot porteur de symptômes, rouges sur ce cépage noir... la flavescence n'est dorée que sur cépage blanc. Photos : J. Chuche - Inra

En médaillon, « L2 », c'est-à-dire larve de 2e stade de S. titanus. Elle peut être porteuse du phytoplasme mais n'est pas encore infectieuse (cela fait moins d'un mois qu'a eu lieu l'éclosion). Photos : J. Chuche - Inra

En médaillon, « L2 », c'est-à-dire larve de 2e stade de S. titanus. Elle peut être porteuse du phytoplasme mais n'est pas encore infectieuse (cela fait moins d'un mois qu'a eu lieu l'éclosion). Photos : J. Chuche - Inra

Ci-dessus, symptômes sur merlot.

Ci-dessus, symptômes sur merlot.

Ci-dessus, symptôme sur chardonnay : ce cépage étant blanc, il s'agit de jaunissement. Photo : J. Chuche - Inra

Ci-dessus, symptôme sur chardonnay : ce cépage étant blanc, il s'agit de jaunissement. Photo : J. Chuche - Inra

La viticulture européenne, en particulier française, est confrontée depuis plus de soixante ans à la flavescence dorée (FD), grave maladie à phytoplasme (bactérie sans paroi) propagée de cep en cep par la cicadelle Scaphoideus titanus.

Que sait-on sur le vecteur ? Voici l'état des lieux des connaissances acquises ainsi que des pistes pour améliorer la situation.

Pourquoi étudier le « scapho »

Vecteur unique, passage obligé de la maladie et de la lutte

Scaphoideus titanus, que les praticiens appellent souvent le « scapho », est actuellement le seul vecteur connu capable de transmettre le phytoplasme de vigne à vigne et également le seul moyen, hors intervention humaine, de propagation de la maladie.

Puisqu'il n'existe actuellement pas de lutte directe contre le pathogène responsable de la maladie, le contrôle de cette pathologie est dirigé contre son vecteur.

Cette maladie au statut de quarantaine impose des plans de lutte obligatoire régis au niveau régional par arrêté préfectoral.

Une situation qui s'aggrave

En dépit de ce statut de quarantaine et de la lutte obligatoire contre S. titanus, la FD continue de proliférer.

Près de 40 000 ceps atteints de FD sur 25 000 ha ont été détectés en 2011 en Gironde. De 2008 à 2010, les surfaces en lutte obligatoire ont augmenté de 8 % en France (Trespaille-Barrau et Grosman 2011).

Depuis, les nouvelles zones touchées par la FD et les surfaces en lutte obligatoire ont augmenté fortement.

Cette augmentation résulte en grande partie d'une prise de conscience des acteurs de la viticulture, de l'augmentation de l'effort de prospection qui en a découlé, mais aussi de l'incapacité de maîtriser le vecteur.

Aspects économiques

La présence de FD engendre des coûts pour le viticulteur résultant d'une perte de récolte, des traitements insecticides, de l'arrachage des ceps malades et de la faible productivité des complants.

La FD a aussi un impact économique pour les institutions qui gèrent cette lutte. Par exemple, l'administration régionale du Piémont (Italie) a dépensé de 1999 à 2003 environ 1,5 million d'euros par an dans son programme de lutte, alors qu'en 2005 le gouvernement italien et l'Union européenne ont indemnisé les viticulteurs à hauteur de 34 millions d'euros pour compenser les pertes de récoltes et les coûts de replantation (Belli et al., 2010).

Besoin de méthodes alternatives

Le seul moyen de lutte actuellement disponible est la lutte insecticide pratiquée sur toutes les zones de lutte obligatoire. Or la pulvérisation de produits réputés chimiques (même ceux d'origine naturelle, ex. : pyréthrines utilisées en viticulture biologique) est de plus en plus mal perçue par la population voire parmi leurs utilisateurs, et engendre des conflits sociétaux.

Il devient donc urgent de développer des méthodes alternatives et/ou complémentaires de la lutte chimique afin d'améliorer le contrôle des populations du vecteur, et pour cela il faut mieux le connaître. Cet article présente donc les connaissances existantes sur la bioécologie du vecteur ainsi que les pistes de recherches à développer.

Introduction en Europe et propagation

Depuis le Bordelais en 1958

Scaphoideus titanus a été introduit en Europe depuis l'Amérique du Nord, probablement lors de l'import massif de porte-greffes qui a permis de replanter le vignoble français suite à la crise phylloxérique (Chuche et Thiéry 2014a).

Toutefois, les populations ont probablement mis du temps à s'installer. La première observation remonte à 1958 dans un vignoble du Bordelais.

Très vite, l'espèce est détectée dans des vignobles plus ou moins éloignés de sa zone de découverte. Ainsi, au début des années 1960, l'insecte est décrit en Charente-Maritime, Haute-Garonne, dans l'Hérault, les Alpes-Maritimes, le Var, le Vaucluse et dans le nord de l'Italie (Schvester et al., 1962b ; Vidano 1964). Cette cicadelle s'est ensuite répandue vers les autres vignobles français et européens. On trouve maintenant S. titanus d'ouest en est, de Madère (Portugal) à la Roumanie, et du nord au sud de la Champagne au Basilicate, en Italie (Figure 1). Elle n'a probablement pas fini sa progression.

Les modes de dispersion

La propagation du vecteur en Europe est principalement fondée sur la dispersion des populations introduites plutôt que par des introductions multiples.

La propagation à grande distance est probablement due aux activités humaines. Cette hypothèse est cohérente avec la faible capacité de dispersion de ce vecteur.

Cependant, la dissémination passive de S. titanus infectieux à grande distance par le vent pourrait quand même se produire. En effet, les premières observations sur la FD montrent que les apparitions de foyers secondaires semblaient liées au vent (Caudwell 1957), suggérant une dissémination aérienne des vecteurs.

Cette hypothèse a aussi été avancée pour expliquer l'apparition de S. titanus en Autriche depuis la Slovénie ; elle est basée sur la capture d'individus dans la vallée de la rivière « Mur » dans le sens du vent (Steffek et al., 2007). Ainsi, des insectes ont été retrouvés dans des vignobles situés à plusieurs kilomètres des sites infestés.

En Espagne, la distribution spatiale de la flavescence dorée en Catalogne semble indiquer qu'elle est sous l'influence de la dispersion de vecteurs infectieux par la tramontane (Rahola et al., 1997).

Biologie

Une seule génération par an

Les femelles pondent leurs œufs à la fin de l'été dans l'écorce excoriée des ceps. Les œufs passent 6-8 mois en diapause (vie ralentie) et commencent à éclore à la fin du printemps (Figure 2).

La période d'éclosion est très variable d'une année à l'autre, ainsi qu'en fonction du lieu. Cinq stades larvaires se succèdent sur une période de 35 à 55 jours. Les premiers adultes apparaissent en général fin juin-début juillet et leur durée de vie est d'environ un mois, les femelles étant capables de pondre environ dix jours après leur mue (Schvester et al., 1962a).

Il n'existe qu'une seule génération par an. Les larves restent en général sur la plante où elles ont éclos (Maixner et al., 1993), même si elles sont suffisamment mobiles pour se déplacer sur d'autres plantes.

Les jeunes larves préfèrent s'alimenter sur les repousses si le cep n'a pas été épampré (Schvester et al., 1962b ; Bernard et du Fretay 1988 ; Posenato et al., 2001).

Comportement de cour : rôle des signaux vibratoires

L'accouplement des cicadelles met en jeu une communication utilisant des signaux vibratoires transmis par l'intermédiaire de la plante (Cokl & Virant-Doberlet 2003). Ce signal peut se transmettre aux plantes voisines (Eriksson et al., 2011).

Chez S. titanus, c'est toujours le mâle qui, lors du crépuscule et du début de nuit, va spontanément produire un signal en premier afin d'initier une réponse de la part d'une femelle disposée à s'accoupler (Mazzoni et al., 2009a). Si cette dernière répond, il s'en suit un comportement de cour (signaux vibratoires spécifiques) de la part du mâle (Mazzoni et al., 2009a).

L'accouplement dure de 40 à 70 minutes. Les mâles peuvent s'accoupler plusieurs fois, les femelles, une seule (Lucchi et al., 2004 ; Mazzoni et al., 2009a). Si un autre mâle se trouve en présence d'une communication mâle/femelle, il peut émettre des signaux destinés à la perturber et/ou s'approcher silencieusement de la femelle pour s'accoupler avec elle (Mazzoni et al., 2009a).

Relations S. titanus/ phytoplasme/vigne

Un insecte inféodé à la vigne

Scaphoideus titanus est un spécialiste du genre Vitis. Il peut s'alimenter sur d'autres plantes mais ne boucle son cycle que sur vignes. Il ingère la sève grâce à ses pièces buccales faisant office de seringue.

Le phytoplasme : parasite obligatoire

Les phytoplasmes sont des parasites obligatoires : ils ne peuvent survivre que dans le corps de leurs vecteurs ou dans le phloème (sève élaborée) des plantes.

Lorsque S. titanus s'alimente sur une plante contaminée par le phytoplasme de la FD, elle ingère des phytoplasmes (Schvester et al., 1969 ; Boudon-Padieu et al., 1989). Ces derniers passent la barrière intestinale et colonisent la plupart des organes du vecteur dans lesquels ils se multiplient (Figure 3). Après une période de latence d'environ un mois, le vecteur injecte le phytoplasme lors de son alimentation dans le phloème. Une fois infectée, la cicadelle le restera toute sa vie. Mais il n'y a pas de transmission de la femelle à ses œufs. Chaque année, la nouvelle génération de vecteurs est donc saine.

Ses effets sur la cicadelle

La présence de phytoplasmes dans le vecteur a des effets négatifs sur son succès reproducteur en réduisant sa longévité, et aussi diminuant la fécondité et la fertilité des femelles (Bressan et al., 2005a).

L'acquisition du phytoplasme peut se faire dès le premier stade larvaire, l'efficacité de l'acquisition étant meilleure chez les larves plus âgées, et probablement due au fait que ces dernières sont confrontées à des niveaux de contamination plus importants dans les plantes et à un comportement alimentaire différent. Ce dernier point est la principale raison avancée pour expliquer la plus grande efficacité des mâles par rapport aux femelles à transmettre la FD (Chuche et Thiéry 2014b).

Rôle du cépage

Le cépage a aussi un rôle dans l'efficacité d'acquisition du pathogène, probablement en limitant la charge en phytoplasme dans le phloème (Bressan et al., 2005b ; Eveillard et al., 2012). Ainsi, une plus grande proportion de S. titanus s'alimentant sur des cepas malades de pinot blanc, cépage très sensible à la FD, deviendront infectieux, comparés à ceux se nourrissant sur merlot, cépage peu sensible.

Lutte contre le vecteur

Lutte insecticide

Le phytoplasme de la FD est un organisme de quarantaine à l'échelle de l'Union européenne. La déclaration de la maladie ainsi que la lutte contre le vecteur dans les zones contaminées sont obligatoires.

La lutte contre le vecteur est principalement réalisée à l'aide d'insecticides dirigés contre les formes mobiles (larves et adultes), même si des traitements dirigés contre les œufs peuvent être appliqués en hiver. La lutte obligatoire est basée sur l'application d'un à trois traitements insecticides en fonction des dispositions locales.

En 2011, plus de 450 000 ha étaient en lutte obligatoire en France, soit près de 50 % du vignoble. L'utilisation de pyréthrinoïdes engendre un surcoût de 4 à 25 euro/ha (Grosman, 2012, com. pers.).

La France s'est engagée dans la réduction de l'usage de produits phytosanitaires. Cela se traduit par une diminution du nombre de traitements en fonction des situations locales (cas de FD, taille des populations de vecteurs). Cette réduction nécessite une surveillance accrue du vignoble.

Pas d'auxiliaires efficaces

Il n'existe, actuellement, pas de lutte biologique efficace contre le vecteur. De nombreux essais ont été tentés avec des parasitoïdes indigènes et de la région d'origine de S. titanus, sans succès probant. Le taux de parasitisme naturel est toujours très faible (< 0,5 %) et insuffisant pour espérer réguler les populations de cicadelles.

Prophylaxie sur le matériel végétal

La plantation de matériel végétal sain permet d'éviter d'importer la maladie dans une parcelle lors de la plantation. Les traitements du matériel de multiplication à l'eau chaude permettent d'éliminer les phytoplasmes potentiellement présents, ainsi que d'autres pathogènes. La technique est obligatoire en Australie et Nouvelle-Zélande, pour l'importation au Canada. Elle se développe en Italie et en Suisse (Bianco et al., 2000 ; Dupraz and Schaub 2007 ; Mannini 2007 ; Canadian Food Inspection Agency 2009).

Arrachage des ceps atteints, mais aussi épamprage préventif

L'arrachage des ceps atteints, des repousses ainsi que celui des vignes abandonnées permet d'éviter la constitution de réservoirs de maladie à proximité du vignoble (Boudon-Padieu 2000). Ces zones peuvent constituer des refuges pour le vecteur lui permettant d'échapper aux traitements insecticides (Forte et al., 2009).

L'arrachage des ceps atteints de FD est obligatoire, et au-delà de 20 % de plants malades, tous les ceps de la parcelle doivent être arrachés (Boudon-Padieu 2002). Afin de diminuer la taille des populations de vecteur, il est préférable de brûler ou enterrer les bois de taille plutôt que de les broyer afin de détruire davantage d'œufs (Cazenove & Planas 1991 ; Boudon-Padieu 2000 ; Bosco and Mori 2013).

Puisque la densité de larves est plus élevée sur les pampres, un épamprage fréquent peut contribuer à diminuer les niveaux de population de S. titanus dans la parcelle (Schvester et al., 1962b ; Bernard et Du Fretay 1988 ; Cazenove et Planas 1991 ; Posenato et al., 2001 ; Cara et al., 2013).

Surveillance des populations du vecteur : une précision variable...

La surveillance de la présence de S. titanus peut être réalisée de quatre manières différentes : en regardant la face inférieure des feuilles, par battage, aspiration, ou en utilisant un piège englué. Les deux dernières techniques sont préférables pour les adultes, vu leur plus grande mobilité.

Ces procédés, de précision variable, doivent être utilisés pour des estimations. Toutes les méthodes de suivi voient leur efficacité varier avec la météorologie, la saison, le type de conduite du vignoble et la position du cep dans la parcelle.

L'efficacité des pièges englués est la plus dépendante des conditions climatiques (pluie, température et vent) et de la densité des populations.

Dans le cas de faibles niveaux de populations, il est nécessaire d'augmenter le nombre de pièges afin d'obtenir une estimation plus fiable (Jermini et al., 1992). Le piégeage ne permet pas d'évaluer l'importance relative des mâles et des femelles, les mâles étant davantage capturés (Bosco et al., 1997 ; Lessio et al., 2009). De plus, le sex-ratio des captures varie en cours de saison, les mâles étant plutôt capturés en début d'été, les femelles ensuite (Lessio et al., 2009), du fait que les mâles émergent en premier et vivent moins longtemps que les femelles (Bressan et al., 2005a).

Par ailleurs, les mâles se déplacent beaucoup avant l'accouplement pour trouver des femelles (Mazzoniet al., 2009a) et ces dernières sont plus actives après s'être accouplées pour aller pondre leurs œufs.

...mais une utilité réelle

L'application d'une lutte raisonnée contre S. titanus et la diminution du nombre de traitements dépendent du suivi des populations de vecteur. La présence et la densité de cicadelles sont des facteurs clés dans la décision de déclencher, ou non, un traitement, mais aussi pour vérifier son efficacité. Il est donc primordial de développer des plans de surveillance fiables.

Les pistes de recherche

Lutte contre le vecteur

Une meilleure connaissance de la phénologie de S. titanus est indispensable pour appliquer les traitements insecticides au bon moment. Des modèles d'apparition des différents stades et de fluctuations des niveaux de populations ont été développés en Italie et en Suisse afin d'améliorer le positionnement des traitements (Rigamonti et al., 2011 ; Maggi et al., 2013). Ces modèles permettent d'aider les viticulteurs à diminuer le nombre de pulvérisations en augmentant leur efficacité.

Mais des travaux sont encore nécessaires pour les améliorer. Ils devraient en particulier inclure l'effet des températures sur la dynamique d'éclosion des œufs.

En effet, celle-ci affecte ensuite l'apparition des différents stades larvaires (Chuche et Thiéry 2009, 2012).

Les capacités de dispersion du vecteur ainsi que l'effet du mode de conduite sur celle-ci doivent être plus étudiées.

Empêcher le cycle de transmission : la piste des symbiotes

Les cicadelles sont les hôtes de nombreux micro-organismes (symbiotes) qui peuvent leur procurer des avantages, tels qu'améliorer leur nutrition, leur développement ou leur résistance aux pathogènes (Wu et al., 2006 ; Oliver et al., 2010 ; Frago et al., 2012). Toutefois, ils peuvent aussi avoir des effets délétères en diminuant la longévité ou la fertilité de l'hôte (Alam et al., 2011 ; Nakamura et al., 2012 ; Schraiber et al., 2012). Puisque les symbiotes sont essentiels au développement des cicadelles, leur utilisation pour contrôler les populations de vecteurs est un champ de recherche prometteur (Hurd 2003 ; Riehle and Jacobs-Lorena 2005). Les bactéries du genre Cardinium sont de bonnes candidates : présentes dans près de 95 % des S. titanus, elles sont responsables de troubles de la reproduction et du comportement (Marzorati et al., 2006 ; Sacchi et al., 2008).

D'autres symbiotes ont été trouvés coexistant avec les phytoplasmes de la FD dans les mêmes organes ; ils pourraient avoir une influence sur la transmission du pathogène (Marzorati et al., 2006). Il a été ainsi démontré que des symbiotes pouvaient bloquer la transmission du plasmodium responsable du paludisme par son moustique vecteur (Bian et al., 2013).

Des bactéries symbiotiques du genre Asaia, faciles à acquérir par S. titanus lors de la nutrition, transmissibles de la mère à sa descendance et entre les deux sexes lors de l'accouplement, ont aussi été découvertes (Marzorati et al., 2006 ; Crotti et al., 2009). L'utilisation pratique des symbiotes est basée sur la sélection de souches ayant un effet délétère sur la biologie de l'insecte et/ou empêchant la transmission du phytoplasme, puis leur dissémination dans la population de vecteurs.

Ces techniques peuvent paraître hypothétiques mais sont déjà à un stade de recherche avancé sur les maladies humaines transmises par insectes vecteurs. Il serait possible de s'inspirer de l'entomologie médicale pour déployer des techniques similaires en agriculture.

Lutte intégrée contre le vecteur : la confusion sexuelle par vibration...

La lutte intégrée (integrated pest management) en modifiant le comportement du vecteur est une perspective très intéressante, en particulier la confusion sexuelle et la technique de « push-pull ». Le principe de la confusion sexuelle consiste à perturber le comportement d'insectes pour empêcher leur accouplement. Chez la cicadelle, cela passe non par l'utilisation de phéromones mais par des vibrations !

En effet, les mâles et les femelles communiquent grâce à des vibrations qu'ils produisent et que propage la plante. Lorsque deux mâles sont en compétition pour une femelle, l'un des prétendants peut émettre un signal qui brouille les vibrations émises par l'autre mâle. Il a été possible de reproduire ce phénomène en laboratoire avec succès et d'empêcher les accouplements (Mazzoni et al., 2009b).

Les premières études à petite échelle en plein champ se sont révélées très intéressantes (Eriksson et al., 2012). Le défireste de transférer cette technique à grande échelle pour un coût supportable par les utilisateurs.

La technique dite du « push-pull »

La technique de « push-pull » consiste à manipuler le comportement des insectes en combinant l'utilisation d'attractifs et de répulsifs. Il s'agit de concentrer les individus dans un piège ou sur une plante où ils seront détruits (Cook et al., 2007).

L'utilisation d'une telle technique a déjà montré des résultats intéressants sur le vecteur du bois noir, Hyalesthes obsoletus, en Israël (Zahavi et al., 2007). Les répulsifs pourraient inclure l'argile kaolinite qui est utilisée sur d'autres cultures contre des insectes vecteurs, mais aussi en vigne en Amérique du Nord (Daniel et al., 2005 ; Duval et Weill 2007 ; Tubajika et al., 2007 ; Marko et al., 2008). Les plantes attractives pourraient être des Vitis américains, car S. titanus les préfère à V. vinifera.

La vigne cultivée traitée avec du kaolin, par exemple, se montrerait ainsi moins attractive, et des Vitis américains pourraient attirer le vecteur en bord de parcelle. Les insectes seraient ensuite éliminés par un traitement insecticide des quelques plants de Vitis américains de bordure, et pas de toute la culture. Le traitement serait plus efficace car les individus sont concentrés, moins coûteux et avec moins d'impacts sur l'environnement puisqu'effectué sur une surface réduite.

Conclusion

Le développement de méthodes ou de stratégies alternatives est indispensable pour réduire l'utilisation de produits phytosanitaires et augmenter l'efficacité de la lutte. À court terme, de nouveaux modèles permettront de rendre la lutte insecticide contre le vecteur plus compatible avec une agriculture raisonnée. À plus long terme, des techniques innovantes utilisant les symbiotes, la confusion sexuelle et/ou le « push-pull » pourront améliorer la lutte contre le vecteur, et donc contre la FD, tout en ayant un impact minimal sur l'environnement.

Fig. 1 : Répartition de S. titanus en Europe en 2014

 Source : J. Chuche

Source : J. Chuche

En Europe, cette cicadelle a été découverte intialement dans le Bordelais. Aujourd'hui, cette espèce d'origine américaine et vectrice de la flavescence dorée est largement présente en France. Et ailleurs en Europe.

Fig. 2 : Cycle de vie de S.titanus

 Source : thèse J. Chuche

Source : thèse J. Chuche

Un seul cycle par an (on parle d'espèce monovolitine). La transmission de la maladie peut se faire à partir d'un mois après les éclosions.

Fig. 3 : Cycle de la flavescence dorée dans le vecteur

 Source : Thèse J. Chuche, adapté de S. Hogenhout

Source : Thèse J. Chuche, adapté de S. Hogenhout

Une cicadelle qui vient de se nourrir sur un cep infecté n'est pas tout de suite infectieuse : le phytoplasme doit d'abord effectuer tout un circuit à l'intérieur de son hôte avant de pouvoir être transmis lors d'une autre piqûre. Il n'est pas transmis par les œuf

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RÉSUMÉ

CONTEXTE - La flavescence dorée, maladie de la vigne due à un phytoplasme transmis par Scaphoideus titanus, est en extension en France malgré les programmes de lutte obligatoire. Elle inquiète de plus en plus. Les recherches vont bon train, notamment sur son vecteur car c'est en luttant contre lui qu'on peut combattre la maladie.

BIOLOGIE - Le point est fait sur les connaissances actuelles sur le vecteur : cycle biologique, modes de vection (d'où les périodes et stades à risque) et comportement, notamment celui de cour qui fait appel à des vibrations transmises par la plante.

LUTTE - La lutte fait appel à des insecticides contre le vecteur. Son organisation est évoquée, avec l'intérêt des modèles et de la surveillance pour diminuer la quantité d'insecticides épandus. L'intérêt de la prophylaxie est souligné : arrachage (obligatoire) des ceps atteints mais aussi épamprage et traitement du matériel végétal.

RECHERCHES - Il existe des recherches prometteuses :

– usage de micro-organismes symbiotes délétères pour S. titanus ;

– confusion sexuelle par vibration ;

– technique du « push-pull ».

MOTS-CLÉS - Vigne, flavescence dorée, phytoplasme, vecteur Scaphoideus titanus, biologie, cycle, signaux vibratoires, lutte obligatoire, insecticides, prophylaxie, traitement des plants, arrachage, épamprage, monitoring, symbiotes, confusion sexuelle, push-pull.

POUR EN SAVOIR PLUS

AUTEURS : *J. CHUCHE, post-doctorant, Bordeaux Sciences agro.

*D. THIÉRY, directeur de recherche, Inra.

UMR Inra/Bordeaux Sciences agro, santé et agroécologie du vignoble. Centre de recherche Inra Bordeaux Aquitaine.

CONTACTS : jchuche@bordeaux.inra.fr

thiery@bordeaux.inra.fr

LIENS UTILES : https://colloque6.inra.fr/jst-flavescencedoree-bdx2014/Programme2

www.canal-u.tv/producteurs/universite_bordeaux_ segalen_dcam/colloques/la_flavescence_doree_aujourd_ hui_et_demain

BIBLIOGRAPHIE : - La bibliographie de cet article (59 références) est disponible auprès de ses auteurs. Ci-dessous, trois références avec lien.

- Chuche J. (2010). Comportement de Scaphoideus titanus, conséquences spatiales et démographiques. Thèse de doctorat : université de Bordeaux, 216 p. www.theses.fr/2010BOR21771/document

- La flavescence dorée de la vigne. Site Inra : www.inra. fr/Chercheurs-etudiants/Biologie-vegetale/Tous-lesdossiers/ flavescence-doree-de-la-vigne

- La flavescence dorée aujourd'hui et demain. Journée scientifique et technique organisée conjointement par l'Inra et l'ISVV. Lundi 26 mai 2014.

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