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DOSSIER - Protection de la vigne

Flavescence dorée : comment lutter aujourd'hui

ÉLISABETH BOUDON-PADIEU* - Phytoma - n°688 - novembre 2015 - page 18

Panorama des méthodes de protection de la vigne passées et actuelles : la lutte contre le vecteur au moyen d'auxiliaires et d'insecticides chimiques ou biologiques, la prophylaxie et l'assainissement du matériel végétal avant la plantation.
1. Chardonnay malade de flavescence dorée en pépinière commerciale. Certes, il ne sera pas vendu ! Mais il révèle la présence d'une contamination dans la vigne-mère. Dans la pépinière, des plants sans symptômes de même origine pourraient être porteurs du phytoplasme.  Photo : Inra

1. Chardonnay malade de flavescence dorée en pépinière commerciale. Certes, il ne sera pas vendu ! Mais il révèle la présence d'une contamination dans la vigne-mère. Dans la pépinière, des plants sans symptômes de même origine pourraient être porteurs du phytoplasme. Photo : Inra

2. Pour réussir à contenir la flavescence dorée, il faut agir dans les vignes en production, autour d'elles (vignes abandonnées...) et en pépinière.  Photo : M. Decoin

2. Pour réussir à contenir la flavescence dorée, il faut agir dans les vignes en production, autour d'elles (vignes abandonnées...) et en pépinière. Photo : M. Decoin

3. Indexage de porte-greffes infectés. Des boutures de 3309C ont été indexées avec des greffons sains de pinot noir d'un même clone. Certains greffés-soudés sont morts, d'autres présentent des symptômes ; quelques-uns semblent normaux. Photo : Inra

3. Indexage de porte-greffes infectés. Des boutures de 3309C ont été indexées avec des greffons sains de pinot noir d'un même clone. Certains greffés-soudés sont morts, d'autres présentent des symptômes ; quelques-uns semblent normaux. Photo : Inra

Le précédent article décrit la flavescence dorée, son vecteur et la biologie de ce dernier. Place aux méthodes de lutte recherchées dans le passé et, parmi elles, celles disponibles aujourd'hui.

Lutte contre la flavescence dorée à travers son vecteur

Principe de cette lutte indirecte

Scaphoideus titanus est accessible à la lutte du fait de sa présence quasi exclusive sur les Vitis sp. ; en outre, les larves et adultes ne sont présents que durant une période de quatre à cinq mois.

Cependant, la mise en oeuvre de la lutte après la découverte de foyers de flavescence dorée est toujours une course inégale contre la diffusion de la maladie. En effet, les ceps montrant des symptômes en année N ont été inoculés en année N-1 (voir article précédent, Figure 2). La lutte contre S. titanus devrait donc être préventive.

Cet objectif ne peut être réalisé que par des méthodes biologiques. En effet, en l'absence de maladie, il est difficile de prescrire une lutte chimique contre une espèce ne causant pas de dégâts directs. Or le « seuil » du nombre de vecteurs acceptable en matière de transmission de la flavescence dorée est idéalement le seuil zéro.

Recherche infructueuse d'ennemis naturels

Les populations observées dans les vignobles européens sont extrêmement nombreuses, de l'ordre de plusieurs dizaines, voire centaines d'individus (larves aptères) par cep de vigne. Ceci est dû au fait que cette espèce nord-américaine a été introduite à l'état d'oeufs non parasités, donc sans aucun de ses ennemis naturels. De ce fait, aucune régulation naturelle n'intervient en Europe.

Une recherche d'ennemis naturels de S. titanus en Amérique du Nord (État de New York) a été conduite par des chercheurs de l'équipe d'entomologie et lutte biologique de l'Inra d'Antibes avec le soutien de l'Onivins. Des recherches antérieures avaient conclu à l'insuffisante efficacité de la faune auxiliaire en France (Bernadette et al., 1996), et Maixner avait observé la présence de S. titanus dans des vignes de la région des Finger Lakes (NY) (Maixner et al., 1993).

Au cours de leurs missions en 2001 et 2002, nos collègues ont observé et collecté plusieurs espèces parasites de larves ou d'oeufs de S. titanus, dont des hyménoptères Dryinidae et des diptères Pipunculidae, qui ont été introduits en élevage en quarantaine à Antibes (Malausa et al., 2003).

Ces travaux ont hélas été interrompus pour deux raisons : difficultés liées à la biologie des espèces collectées, mais aussi choix de priorité dans les thèmes de recherche.

Calendrier de traitements

En ce qui concerne l'utilisation d'insecticides, un calendrier de traitements a été mis en oeuvre dans le sud-ouest de la France dès la fin des années 1960. De très grande efficacité d'éradication, il a permis d'éviter l'arrachage des ceps malades et de laisser le rétablissement se réaliser sur les vignes qui avaient survécu.

Ce calendrier (Caudwell et al., 1972c) proposait d'abord cinq applications, ramenées à trois ensuite. Il reste retenu dans son principe en première année de lutte réglementaire (Figure 1). Les derniers arrêtés officiels organisant la lutte prévoient de délimiter des zones à un ou deux traitements les années suivantes, en fonction de l'évolution des foyers. Ce calendrier se base sur ce qui est connu de la biologie de la cicadelle et de la vection.

Le premier traitement doit impérativement être appliqué un mois au plus après le début des éclosions (entre la floraison et la nouaison de la grappe), ce qui correspond à la fin de la latence du phytoplasme et au passage à l'état infectieux des premiers individus éclos sur des ceps contaminés. Le deuxième traitement est appliqué environ un mois plus tard en fonction de la rémanence des produits pour cibler les larves apparues tardivement. Le troisième traitement vise les adultes ailés, y compris ceux en provenance de parcelles voisines non soumises à la lutte.

Autres mesures

La lutte doit concerner aussi les vignes sauvages et abandonnées et les repousses de porte-greffe incluses dans les périmètres de sécurité, car elles abritent de nombreux individus de S. titanus (Maixner et al., 1993).

D'autres mesures contribuent à baisser les effectifs des populations : traitements ovicides appliqués sur les troncs et bois en prédébourrement (Caudwell et al., 1972a ; Moutous et al., 1977) ; suppression des pampres où les larves se plaisent ; incinération des bois de taille de deux ans et plus, porteurs d'oeufs de cicadelle.

Actuellement, seuls des insecticides chimiques permettent de répondre aux exigences des arrêtés de lutte. Mais on sait leur faible niveau d'acceptation par la société et les praticiens, ainsi que leur effet drastique sur la faune auxiliaire, en particulier les typhlodromes.

À propos d'insecticides biologiques

Parmi les insecticides autorisés en agriculture biologique, deux spécialités à base de roténone qui étaient autorisées en France se sont montrées à la fois très peu efficaces contre la cicadelle et dommageables aux typhlodromes. Elles ont été interdites suite à la « non-inscription » de la substance active par l'Union européenne.

Depuis 2008, une spécialité à base de pyrêthre naturel a été autorisée à la suite d'essais conduits par SudVinBio. Utilisable en agriculture biologique, plus efficace que les spécialités à base de roténone et avec un meilleur profil toxicologique vis-à-vis des utilisateurs, elle est active sur des populations initiales moyennes.

Les expérimentateurs considèrent que son efficacité serait supérieure si les traitements étaient généralisés sur un secteur donné, évitant la recolonisation par des adultes migrants (Constant, 2009). Elle est utilisable pour limiter le développement de populations importantes mais ne peut convenir dans le cas de la lutte obligatoire.

Solutions futures à l'étude

D'autres solutions ovicides et larvicides sont explorées (Constant, 2013).

L'intérêt de ces travaux est qu'ils proposent la lutte contre la cicadelle vectrice même en absence de maladie. Ils attirent l'attention des praticiens sur l'importance de mesures préventives ; de même, ils insistent sur la vigilance et la prospection systématique pour la recherche de symptômes précoces.

Prophylaxie des réservoirs

La vigne est le réservoir principal du phytoplasme

Une nouvelle transmission démarre depuis un réservoir préexistant ou une source d'inoculum introduite.

Les vignes au sens large (Vitis sp.) ont été considérées depuis les premiers travaux de Caudwell comme les seuls réservoirs potentiels des phytoplasmes de la flavescence dorée sensu stricto. Nous verrons dans l'article suivant que l'épidémiologie moléculaire a permis de confirmer que la vigne est majoritairement la source de foyers primaires initiateurs des épidémies, et de répondre à la question de l'origine de la flavescence dorée, inconnue avant les années 1950, et supposée américaine comme son vecteur.

Prévenir l'introduction par plantation de plants porteurs

L'introduction de la maladie dans un vignoble jusque-là indemne par la plantation de plants porteurs (photo 1) issus du greffage de boutures prélevées sur des vignes-mères contaminés, est apparue comme responsable des foyers primaires. Cette forte présomption a été confirmée, d'abord par l'identification du matériel initial, puis par le typage moléculaire des échantillons de vignes malades (voir article suivant).

Si la prospection fait défaut, la diffusion commencera immédiatement pour peu que S. titanus soit présent. Il faut bien comprendre le caractère sournois du début d'infestation par des plants porteurs sains. La proportion de boutures malades issues d'un pied-mère de porte-greffe porteur peut être très faible (Caudwell et al., 1994), de l'ordre de quelques pour-cent. C'est une proportion infime dans la production totale de boutures de la vigne de pieds-mères, sauf infection généralisée de vignes-mères.

La plupart des plants porteurs montrent des symptômes ou meurent en première année de pépinière, donc sont éliminés (voir tableau de l'article précédent et photo 3). Le taux de plants porteurs dans un lot commercial sera infime. Leurs symptômes en première ou deuxième année de plantation risquent de passer inaperçus, surtout s'ils servent à des remplacements.

À noter : les premiers cas répertoriés de flavescence dorée en Sud-Bourgogne en 2004 et 2005 ont été décelés à temps dans des parcelles en première et deuxième années grâce à la prospection ciblée sur jeunes plantations (J.-C. Magnien, comm. pers).

Que faire en cas d'épidémie ?

Dans les régions confrontées à la première phase d'explosion épidémique de la flavescence dorée, la prophylaxie doit comprendre l'élimination soignée des souches malades et des vignes sauvages et abandonnées.

En France, il y a obligation d'arrachage des souches isolées et de la totalité de la parcelle si le taux de ceps malades atteint 20 %. En effet, si 20 % des ceps montrent des symptômes visibles, il est hautement probable que tous soient infectés.

L'intensité des épisodes épidémiques et l'étendue des vignobles menacés n'ont plus permis d'utiliser le rétablissement comme cela fut fait dans les vignobles du Sud-Ouest pendant les années 1960-70.

Pour obtenir l'assainissement du vignoble, la plantation de matériel végétal sain est une mesure essentielle allant de pair avec une lutte efficace contre le vecteur.

En vignoble indemne aussi, planter du matériel assaini par « TEC »

C'est aussi une nécessité cruciale dans les vignobles indemnes. En raison de la possibilité que des boutures ou des greffés-soudés soient en situation d'incubation de flavescence dorée, l'assainissement du matériel de plantation est un point essentiel. De nombreux essais et répétitions en moyenne grandeur, puis à l'échelle professionnelle, ont confirmé que la chaleur tue les phytoplasmes in situ (Caudwell, 1966).

Il a été montré que le trempage dans l'eau chaude (50 °C pendant 45 min) (Caudwell et al., 1990) est létal pour les phytoplasmes et sans danger pour le matériel végétal, si la température est soigneusement régulée (50 +/-0,2 °C) et le traitement judicieusement placé dans la chaîne de production des plants (voir tableau).

Ce traitement à l'eau chaude (TEC), proposé en 1990, est recommandé au plan international (voir « Lien utile »). Il avait été mal accueilli par la filière bois et plants qui y voyait des contraintes et des coûts supplémentaires, mais est maintenant quasi généralisé. Il est obligatoire pour le matériel de plantation issu de pépinières situées en zones de lutte réglementaire ou à leur périphérie, ou dont le matériel greffon aurait été prélevé dans des vignes-mères montrant des symptômes au cours de la saison végétative suivant le prélèvement des bois.

Utilisable contre tous les phytoplasmes de la vigne, le TEC est mis en oeuvre en Allemagne, Suisse et Italie. D'autres équipes de recherches ont montré qu'il est efficace pour la production de plants indemnes de l'agent de la nécrose bactérienne, et l'évaluent dans le cas des maladies du bois.

Fig. 1 : Biologie de Scaphoideus titanus et calendrier d'interventions insecticides destinées à la lutte indirecte

La biologie de la transmission de la flavescence dorée est prise en compte. Le premier traitement estival ne doit pas être appliqué plus tard qu'un mois après le début des éclosions.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - Après l'article sur l'histoire de la flavescence dorée, sa distribution géographique, le phytoplasme responsable et son vecteur S. titanus, avec le point sur la biologie des organismes et leur interaction, voici des informations sur la protection contre cette maladie.

Cette protection ne peut être qu'indirecte, avec trois volets : lutte contre le vecteur, prophyaxie et assainissement du matériel végétal.

LUTTE CONTRE LE VECTEUR - La lutte insecticide contre le vecteur est évoquée :

- d'une part, les recherches d'ennemis naturels (parasitoïdes de S. titanus) pour la lutte biologique, hélas infructueuses à ce jour ;

- d'autre part, la lutte insecticide obligatoire avec les calendriers de traitements, la question des bio-insecticides et l'exigence de traiter aussi les repousses, vignes sauvages et abandonnées.

PROPHYLAXIE - La prophylaxie en zone contaminée passe par des prospections systématiques, l'arrachage des ceps atteints et ceux les entourant et susceptibles d'être porteurs sains.

MATÉRIEL ASSAINI - L'assainissement du matériel végétal est présenté, avec le traitement à l'eau chaude (TEC). L'article explicite les raisons épidémiologiques qui font l'intérêt de planter du matériel assaini, aussi bien dans les secteurs encore indemnes de maladie que dans les zones touchées.

MOTS-CLÉS - Vigne, flavescence dorée, phytoplasme, vecteur Scaphoideus titanus, lutte, traitements insecticides, bio-insecticides, arrachage, prospection, prophylaxie, assainissement, TEC (traitement à l'eau chaude).

POUR EN SAVOIR PLUS

AUTEUR : *É. BOUDON-PADIEU, ancien directeur de recherche - Directrice de l'équipe de recherches sur les phytoplasmes à l'Inra de Dijon de 1993 à 2008.

CONTACT : eboudonpadieu@gmail.com

LIEN UTILE à propos du traitement à l'eau chaude : http://icvg.org/data/icvghotw.pdf

BIBLIOGRAPHIE : la bibliographie de cet article (11 références) est disponible auprès de son auteur (contact ci-dessus).

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