Le phytoplasme de la flavescence dorée ne vient pas des États-Unis contrairement à son vecteur, la cicadelle Scaphoïdeus titanus. En fait, il était déjà présent en Europe avant l'arrivée de l'insecte. Où ? Avant tout dans des aulnes. Cet arbre « est le réservoir originel du phytoplasme. C'est la rencontre entre ce germe et le Scaphoïdeus titanus qui a provoqué l'épidémie de flavescence dorée dans la vigne », explique Xavier Foissac, chercheur à l'Inra de Bordeaux. Outre l'aulne, la clématite héberge elle aussi le phytoplasme. Ces plantes sauvages constituent les réservoirs initiaux mais aussi actuels de la maladie.
Les porte-greffes ensauvagés constituent un autre réservoir. En Gironde, le groupe de travail Fladorisk, coordonné par l'Inra, les a recensés dans trois communes viticoles des bords de la Garonne. « Nous avons dénombré 34 bosquets par kilomètre carré, en moyenne. Dans les zones proches des foyers de flavescence dorée, un tiers de ces porte-greffes ensauvagés peuvent être infectés par la maladie », explique Sylvie Malembic-Maher, chercheuse à l'Inra de Bordeaux. Or ces souches n'expriment pas ou peu de symptômes et servent de refuge à la cicadelle S. titanus qui se rend ensuite dans les vignes alentours. Des chercheurs italiens ont retrouvé des cicadelles jusqu'à 300 m à l'intérieur de parcelles voisines de tels bosquets.
Ces insectes font aussi le chemin inverse. « Lors des interventions dans les vignobles (taille, effeuillage, traitement...), les cicadelles se réfugient dans les vignes ensauvagées qui ne sont pas traitées aux insecticides. Elles s'y multiplient, puis recolonisent les vignes », explique Sylvie Malembic-Maher. Si elles quittent des vignes contaminées, elles emportent la flavescence dans leur refuge et le contaminent à son tour. « C'est clairement un frein à la lutte contre la maladie. Cela peut expliquer les échecs dans certaines zones », note la chercheuse.
En est-il de même pour les foyers de jaunisses de l'aulne ou de la clématite ? Pour le savoir, les chercheurs ont d'abord évalué la contamination de ces deux plantes par les phytoplasmes de la flavescence dorée. Ensuite, ils ont cherché les vecteurs de ces germes.
« Des études réalisées dans cinq pays européens montrent que 80 % des aulnes sont infectés par des phytoplasmes dont 18 % par les souches FD1, FD2 et FD3 lesquelles sont responsables de l'épidémie de flavescence dorée au vignoble. Les autres aulnes sont contaminés par des souches PGY, non épidémiques pour la vigne. De même, 30 % des clématites sont porteuses de la souche FD3 », expose Xavier Foissac.
Comme dans la vigne, ces phytoplasmes sont transmis d'une plante à l'autre par des cicadelles. L'équipe de Sylvie Malembic-Maher a en identifié trois après avoir mené des recherches en France et en Allemagne : la cicadelle de l'aulne (Oncopsis alni), la cicadelle du Japon ou cicadelle mosaïque (Orientus ishidae) et les cicadelles du genre Allygus.
La cicadelle de l'aulne s'avère avant tout porteuse du phytoplasme PGY. Elle peut le transmettre à la vigne. Mais ensuite, S. titanus ne peut pas le propager au sein du vignoble. La cicadelle de l'aulne n'est donc pas en cause dans l'épidémie de flavescence dorée.
Il en va autrement des deux autres vecteurs. Ceux du genre Allygus sont infectés par la souche FD2 principalement. Orientus ishidae est porteur des souches FD1 ou FD2. Ces deux cicadelles transmettent les phytoplasmes au sein des aulnes. Récemment, une équipe italienne a montré que O. ishidae peut également les transmettre à la vigne. Après cela, S. titanus est susceptible de les propager dans le vignoble.
« Orientus ishidae vient d'Asie. Elle est très polyphage. Elle peut représenter un risque important de dispersion de la flavescence dorée au sein des plantes sauvages, voire vers le vignoble. Ce risque doit être évalué », indique Xavier Foissac.
En Bourgogne, ces plantes et vecteurs sauvages semblent être à l'origine de cas isolés de flavescence dorée dans deux communes : Saint-Aubin et Davayé. À Saint-Aubin, la flavescence est causée par une souche FD3 du phytoplasme. Or, 30 à 40 % des clématites sont infectées par cette même souche. On explique l'apparition de ce cas par un transfert du phytoplasme des clématites vers la vigne. À Davayé, on a trouvé un cas de PGY, un autre de FD1 et un autre d'un variant de FD2. Or, 100 % des aulnes situés à proximité sont infectés. Les cicadelles O. alni qui vivent dessus sont infectées par la souche PGY. Les Allygus sp. sont porteuses de la souche FD2 et les Orientus ishidae véhiculent les souches FD2 et FD1. « Il y a donc des transferts de phytoplasme de la flavescence dorée à la vigne mais leur fréquence est faible », note Xavier Foissac.
En Bourgogne, les principaux foyers ne sont pas venus du milieu naturel. Les travaux réalisés dans le cadre du programme Fladorisk montrent qu'ils sont très certainement dus à l'introduction de bois contaminés dans la région, puis S. titanus s'est chargé de propager la flavescence. En Aquitaine et en Alsace, les clématites ne sont pas porteuses des phytoplasmes de la flavescence dorée. En revanche, 85 % des aulnes le sont. De plus, ils hébergent les deux cicadelles infectées par des souches épidémiques pour la vigne.
Faut-il éliminer les clématites et les aulnes ? Selon les membres du programme Fladorisk(1), en l'état actuel des connaissances, ce n'est pas nécessaire. « Le transfert de phytoplasmes des clématites et des aulnes vers la vigne est très faible, insiste Sylvie Malembic-Maher. Mais nous allons continuer à surveiller l'environnement des vignobles. L'arrivée d'une nouvelle plante hôte ou d'un nouveau vecteur - comme Orientus ishidae - peut modifier les fréquences de transfert vers la vigne. »
La lutte contre la flavescence passe aussi par la lutte contre les vignes ensauvagées qui sont des foyers autrement plus redoutables que les plantes sauvages. Mais celles-ci se trouvent souvent sur des terrains appartenant à des collectivités locales ou des particuliers. Pour les sensibiliser, l'Inra de Bordeaux et le GDON du Sauternais ont élaboré une plaquette qui explique comment reconnaître et gérer ces vignes sauvages. La lutte contre la flavescence est vraiment l'affaire de tous.
(1) Groupements et services de lutte, organismes techniques, vignerons et chercheurs.
La souche FD2 majoritaire en France
Le phytoplasme de la flavescence dorée se répartit en trois groupes génétiques distincts : FD1, FD2 et FD3. En France, au vignoble, c'est la souche FD2 qui est majoritaire : 85 % des cas.
La souche FD1 est présente uniquement dans le Sud-Ouest. Elle est responsable de 15 % des cas de flavescence dorée. La souche FD3 est cantonnée à l'Italie et aux pays de l'Est. Toutefois, cette souche FD a été retrouvée dans deux cas isolés de flavescence en Bourgogne. « Les souches FD2 sont les plus répandues en France, mais FD1 et FD3 sont tout aussi dangereuses », rapporte Xavier Foissac, de l'Inra de Bordeaux.
À ces trois souches s'ajoute une quatrième : la PGY. Responsable des jaunisses du Palatinat, elle est présente en Alsace et en Allemagne. Cette souche n'est pas épidémique car S. titanus ne peut pas la propager. Elle ne pose donc pas de problème.
LE SAVIEZ-VOUS ? Questions posées sur la flavescence dorée
Lors d'une formation sur les dépérissements de la vigne, organisée par l'IFV, à Ostheim (Haut-Rhin), les 25 et 26 janvier dernier, les viticulteurs ont posé de nombreuses questions sur la flavescence dorée.
Morceaux choisis.
Jusqu'à quelle distance se déplacent les cicadelles ?
- Les scientifiques n'ont pas de réponse précise à cette question. Les larves se déplacent en marchant ou en sautant. Leur dispersion est faible. Mais les adultes ont des ailes. « Le vent est alors un facteur de dispersion important », a précisé François-Michel Bernard, de l'IFV.
Peuvent-elles être dispersées par les rogneuses ?
- Oui. Le matériel viticole peut transporter des cicadelles porteuses de la flavescence vers des parcelles non contaminées. Mais, selon François-Michel Bernard, ce n'est pas a priori la voie de dissémination principale.
Qu'en est-il de la résistance génétique de la vigne à la flavescence dorée ?
- Ce n'est pas une piste suivie par les chercheurs car « il n'existe pas de vigne résistante à la flavescence dorée », a indiqué Xavier Foissac, de l'Inra de Bordeaux.
Les pieds peuvent-ils se remettre d'une contamination ?
>> Oui. Des cas de rémission ont été observés en Italie. Des ceps ont exprimé des symptômes de jaunisse une année puis plus aucun l'année suivante. « Toutefois, ces ceps constituent des réservoirs de phytoplasme pour les ceps environnants. Les laisser en place est dangereux », a insisté François-Michel Bernard.
Le phytoplasme persiste-t-il dans les racines qui restent dans le sol après l'arrachage des ceps ?
- Oui. Le phytoplasme est présent dans tous les organes des plantes contaminées, y compris dans les racines. « Mais, même si des racines persistent dans le sol, elles ne sont pas accessibles aux cicadelles », a expliqué François-Michel Bernard.
CORINNE TRARIEUX, RESPONSABLE DE LA COORDINATION TECHNIQUE AU BIVB « L'analyse génétique permet d'aménager la lutte »
La Bourgogne va très loin dans l'aménagement de la lutte obligatoire contre la flavescence dorée. Elle se sert pour cela d'analyses génétiques très poussées.
« Après les prospections, les pieds qui sont confirmés positifs à la flavescence dorée sont envoyés à l'Inra de Bordeaux qui détermine le génotype du phytoplasme qui les infecte. S'il s'agit du génotype FD2M54, le plus épidémique, on reste sur la lutte obligatoire classique. S'il s'agit du génotype PGY, que S. titanus ne peut pas propager, il est possible de ne pas faire de traitements insecticides. C'est ce que nous avons fait dans la commune de La Chapelle-de-Guinchay où l'on a trouvé un cep infecté par la souche PGY. Ce pied a été arraché. En 2015, nous n'avons pas défini de périmètre de lutte obligatoire. Mais la Fredon de Bourgogne a suivi de près les populations de cicadelles et réalisé des prospections très fines. Lors de ces recherches, aucun autre pied malade n'a été trouvé. Lorsque l'on a affaire à des souches FD1, FD3 ou des variants de FD2M54, les choses sont plus complexes. On peut continuer une lutte obligatoire classique ou alors faire des aménagements. Tout dépend de l'analyse du risque : zone à historique de flavescence ou pas... »