À 62 ans, Jean-Louis Normand, vigneron à Bar-sur-Seine (Aube), est en train de passer la main de son exploitation de 11 ha à ses enfants, Simon et Marie, avec la satisfaction du devoir accompli après l'obtention en 2014 des certifications HVE niveau 3 et viticulture durable en Champagne. Si jusqu'à présent, il vendait sa production de raisin, le domaine La Borderie, créé en 2013, commercialise les premières bouteilles issues de la viticulture durable élaborées sur l'exploitation. Un champagne pour des clients passionnés.
Du raisonné au durable
« On ne peut pas proposer un produit qui fait rêver sans avoir une éthique en filigrane », telle est la philosophie de notre vigneron qui a toujours travaillé avec le CIVC(1) pour participer à toutes les initiatives techniques.
Dans les années 1990, il teste la viticulture raisonnée. En 2001, naît le premier référentiel technique de la viticulture raisonnée en Champagne. Fin 2010, Jean-Louis Normand prend pour quatre ans la présidence de l'AVC (Association viticole champenoise), réseau de vulgarisation et d'orientation de l'innovation vitivinicole champenoise. Son plus gros dossier sera la mise à jour du référentiel de la viticulture durable en Champagne, élaboré en 2009, et suite logique de la viticulture raisonnée.
Une question d'équilibre
Une grande majorité des 125 mesures de ce nouveau référentiel est déjà respectée.
« Notre objectif est que tous les viticulteurs fassent leur autodiagnostic et élaborent des mesures de progrès pour un jour pouvoir demander la certification s'ils le souhaitent », souligne Jean-Louis Normand.
Quarante-six mesures concernent la protection de la vigne : treize pour la stratégie phytosanitaire, onze pour le matériel et vingt-deux pour les bonnes pratiques avant, pendant et après traitement. En matière de stratégie, le référentiel précise qu'en premier lieu doivent être combinées la préservation de la faune auxiliaire et les méthodes culturales limitant la pression des maladies et des ravageurs. Des traitements sont autorisés en complément, de façon raisonnée, avec les produits ayant le meilleur profil écotoxicologique.
Entre fongicides classiques et bio
« L'objectif est d'avoir l'IFT le plus bas possible pour chaque maladie, précise Jean-Louis Normand. Il n'y a pas d'IFT maximal à ne pas dépasser car ce serait trop risqué les années où la météo est favorable aux maladies. En mildiou, la première intervention est retardée le plus possible. Ensuite, nous traitons en fonction de la densité du feuillage : demi-dose au premier passage, puis 60 %, 75 %, et pleine dose seulement si la pression est importante. »
La maîtrise de l'oïdium est un peu plus compliquée.
« Il n'est pas conseillé de réduire les doses. C'est pourquoi nous alternons les fongicides classiques avec le soufre mouillable ou en poudrage, homologué bio. »
L'usage du cuivre (pour le mildiou) est limité à 4 kg/ha/an en moyenne sur cinq ans, de même que la dose de folpel. Quant au botrytis, Jean-Louis Normand traite au maximum une fois. La météo de cette année ayant été clémente, l'IFT mildiou est de 3,6 seulement, celui de l'oïdium de 4,9 et 0,8 pour le botrytis.
Enherbement naturel
Côté ravageurs, les viticulteurs sont incités à utiliser la confusion sexuelle. La Champagne est aujourd'hui pionnière de cette technique en France avec 11 000 ha protégés ainsi. L'utilisation des insecticides a reculé de 90 % depuis 1996.
« Nous avons peu de ravageurs sur la côte des Bar, précise Jean-Louis Normand, qui ne traite plus depuis longtemps. Et si la présence du ver de la grappe peut paraître importante en première génération, les dégâts sont en fait minimes. »
Pas d'exigences particulières pour le désherbage.
« 80 % de la surface est sans herbicides avec un enherbement naturel maîtrisé. Nous laissons faire la nature sur l'interrang. Sous le rang, nous intervenons avec la charrue ou la binette selon l'intensité de l'herbe, ou en dernier recours avec un défanant localisé si besoin pour les 20 % restants. »
Au niveau matériel, Jean-Louis Normand utilise depuis quinze ans un pulvérisateur traitant face par face comme le recommande le référentiel. La viticulture durable doit aussi favoriser les auxiliaires sur les abords des parcelles en laissant une bande enherbée ou encore des haies d'épineux ou de végétaux locaux.
Plus large que le bio
En cette fin 2015, le domaine est en train de vivre une nouvelle étape en commercialisant ses premières bouteilles et en ouvrant son site de production.
« Nous avons déjà pu parler de la viticulture durable aux premiers visiteurs. C'est un argument qui instaure un climat de confiance. »
Certains leur demandent pourquoi ne pas aller jusqu'au bio.
« Nous ne voulons pas mettre en péril l'équilibre économique de l'exploitation, leur répond Jean-Louis Normand. De plus, un certain nombre d'exigences telles que la biodiversité et la gestion des déchets ne sont pas prises en compte par la viticulture bio, sans compter les piliers économique et sociétal. »
Avec la reprise de l'exploitation par ses enfants, l'avenir du domaine est entre de bonnes mains.
« Nous allons tenter de supprimer les herbicides, précise Simon. Côté maladies, nous sommes trop tributaires des conditions météo pour nous passer des fongicides classiques certaines années. »
(1) Comité interprofessionnel du vin de Champagne.