Larve de troisième stade de Scaphoideus titanus : 1. Observée à la loupe binoculaire. Une des deux taches noires caractéristiques est bien visible à l'extrémité de l'abdomen. Photo : P. Kuntzmann - Vitisphère Alsace
Larve de troisième stade de Scaphoideus titanus : 2. Observée in situ (taille environ 3 mm). À droite la tête, à gauche l'abdomen avec une des deux taches noires caractéristiques. Photo : P. Kuntzmann - Vitisphère Alsace
3. Larve de cinquième stade observée à la loupe binoculaire avec une des deux taches noires caractéristiques. Photo : P. Kuntzmann - Vitisphère Alsace
5. Larve de cinquième stade observée sur une feuille (taille : environ 5 mm). Photo : P. Kuntzmann - Vitisphère Alsace
Adultes et exuvies. 6. Adulte de S. titanus posé sur une feuille. Taille : environ 5 mm. Photo : P. Kuntzmann - Vitisphère Alsace
Adultes et exuvies. 7. Exuvie d'une larve de 3e stade (L3), avec les taches noires à l'extrémité de l'abdomen Photos : P. Kuntzmann - Vitisphère Alsace
Ce lundi quatre juillet, nous réalisions des prélèvements de feuille de vigne dans le cadre d'une opération de routine destinée à observer des acariens : phytoptes de l'acariose et typhlodromes. Et ce fut la surprise...
Une cicadelle trouvée en cherchant des acariens
Une parcelle particulière
Nous avons en effet identifié, sur ces feuilles, des individus de l'espèce Scaphoideus titanus Ball, cicadelle connue comme le vecteur de la flavescence dorée (FD). L'identification a rapidement été confirmée par le laboratoire d'entomologie de l'Anses.
La découverte a eu lieu dans une parcelle de l'aire AOC Alsace, à proximité de Colmar. Ce sont des stades larvaires qui ont été découverts, plus précisément des deuxième et troisième stades larvaires. Dans cette parcelle, nous avons observé une densité de population de sept larves pour cent feuilles.
Des comptages réalisés dans sept parcelles voisines ont montré une absence de la cicadelle dans cinq parcelles et une très faible présence dans deux autres (une larve pour cent feuilles).
Surveillance depuis 2005
Une telle identification n'avait jamais été publiée pour l'Alsace. En revanche, cette espèce de cicadelle vectrice est reconnue comme présente dans plusieurs régions viticoles proches : la Bourgogne, le Jura et la Champagne.
Des dispositifs de surveillance sont réalisés par la Fredon Alsace depuis 2005. Il s'agit de suivis en cage d'émergence et de suivis par pièges delta jaunes englués dans les vignes-mères. Mais finalement aucun de ces deux dispositifs n'aura permis de détecter la présence de cette espèce de cicadelle.
Les conséquences possibles
En cas de détection future de la flavescence dorée
Cet événement risque malheureusement d'avoir des répercussions sur la gestion de la flavescence dorée en cas de découverte d'un foyer.
En Alsace, vignoble par ailleurs concerné par le bois noir, plusieurs alertes de flavescence se sont produites ces dernières années, mais les analyses moléculaires fines, lorsqu'elles ont pu être réalisées, ont montré qu'il ne s'agissait pas de phytoplasmes de la flavescence dorée au sens strict, mais de phytoplasmes de la jaunisse de l'aulne.
Or, ces derniers ne sont pas transmis par Scaphoideus titanus. La prise en compte de cet aspect ainsi que la présence non avérée du vecteur ont parfois permis une gestion plus souple des cas détectés. En 2013, dernier exemple en date, il a été effectué une prospection élargie l'année suivant la découverte du cas suspect et le vignoble a pu échapper à une lutte insecticide obligatoire.
La présence du vecteur risque de rendre plus difficile de tels aménagements à l'avenir, mais aussi de donner toute son importance au diagnostic moléculaire fin du phytoplasme en cas de détection.
Tant que la maladie n'est pas détectée
Par ailleurs, signalons que cela ne change rien au statut de zone protégée vis-à-vis de la FD (ZP D IV) de l'Alsace tant que la maladie n'est pas détectée.
En revanche, la question du traitement à l'eau chaude de l'ensemble du matériel végétal, et pas seulement de celui qui n'est pas produit en ZP, risque d'être remise sur la table.
Enfin pour dédramatiser la situation, on notera que certains vignobles limitrophes sont colonisés depuis un laps de temps plus ou moins long par S. titanus (ce qui est le cas du Jura et de la Champagne) sans qu'il n'y ait eu jusqu'à présent de développement épidémique de la maladie.
La zone du vignoble où a eu lieu la détection fera bien évidemment l'objet de contrôles très attentifs lors des prospections jaunisse de cet automne.
Retour sur un événement ancien passé inaperçu
Une exuvie trouvée en 1993 sur un site proche de celui des « larves de 2016 »
Il est intéressant de signaler qu'une exuvie de S. titanus avait été trouvée par l'IFV en 1993 à moins de 1 km du lieu de l'identification du vecteur vivant en 2016 (Brechbuhler Charles, Meyer Émile et Laurent Jean-Claude, communication personnelle).
Les anciens de l'IFV contactés pour l'occasion sont formels quant à la nature de l'espèce de cicadelle à laquelle appartenait l'exuvie, ainsi que sur l'année, le lieu et les conditions de la découverte.
Celle-ci avait eu lieu lors de l'observation à la binoculaire au laboratoire de feuilles prélevées dans un essai acaricide. Des recherches complémentaires réalisées dans la parcelle et les environs n'avaient pas permis, à l'époque, de trouver d'individus vivants.
Il peut paraître pour le moins surprenant que cette espèce de cicadelle soit restée discrète pendant presque un quart de siècle sans atteindre un niveau de population détectable, puis commence maintenant à se manifester. En fait, il nous semble que cela pourrait s'expliquer par les évolutions de la lutte contre d'autres ravageurs : les tordeuses de la vigne.
Cette lutte a vu un allégement notable de la pression insecticide ces dernières années, ainsi qu'un changement du profil même des substances actives utilisées.
Auparavant, les insecticides antitordeuses agissaient aussi sur S. titanus
En effet, jusqu'au début des années 2000, les viticulteurs utilisaient encore fréquemment des insecticides de la famille des organophosphorés ou des pyréthrinoïdes pour lutter contre les vers de la grappe en curatif ou en traitement de rattrapage. Or, ces substances étaient peu sélectives : elles tuaient hélas les auxiliaires... mais aussi les ravageurs que sont les cicadelles, y compris de l'espèce S. titanus.
Une autre substance active, le flufenoxuron, était également utilisée (sous le nom commercial de Cascade, pour ceux qui ont connu cette époque). Certes, elle était plus spécifique que les organophosphorés et les pyréthrinoïdes, mais elle était par ailleurs autorisée contre la cicadelle verte, indice d'un probable effet sur d'autres cicadelles, peut-être comme celle de la flavescence.
Au début des années 2000 et jusqu'à son arrêt en 2011 (en même temps que Cascade), le Lufox, à base de lufénuron et de fénoxycarbe, fut ensuite majoritairement utilisé en Alsace. Ce dernier insecticide était relativement spécifique des tordeuses... Cependant il avait une action sur d'autres insectes grâce au fénoxycarbe.
Depuis 2011 : insecticides plus sélectifs et baisse globale des traitements
Puis à partir de 2011, le marché a vu arriver des insecticides vraiment spécifiques des tordeuses et très sélectifs des autres ravageurs. Ils épargnaient donc les cicadelles en général et les rares individus présents de S. titanus en particulier.
Parallèlement à l'évolution du profil des substances actives, le nombre d'insecticides appliqués par campagne a baissé : de deux, voire trois ou plus par saison jusqu'à la fin des années 1990, il est passé à moins d'un insecticide par saison dès le milieu des années 2000, la deuxième génération étant la seule traitée, et encore, pas systématiquement. Un Écophyto avant l'heure en quelque sorte...
Des effets qui se manifestent plus de quatre ans plus tard
Dans ce contexte, une phase de présence cryptique du vecteur peut très bien s'expliquer.
En effet, l'établissement de populations détectables doit demander plus que trois ou quatre années de temps : de 2011 à 2016, par exemple.
C'est peut-être pourquoi les principaux suivis de ravageurs « secondaires » effectués en zone de confusion sexuelle au début des années 2000 n'avaient rien mis en évidence : ils n'allaient pas au-delà de quatre ans.
L'explication tient aussi pour les cochenilles, pour lesquelles le développement de populations détectables a cependant été plus rapide.