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Panorama

Les vignobles du Québec face aux maladies

ODILE CARISSE* ET JACQUES LASNIER** - Phytoma - n°698 - novembre 2016 - page 11

Dernier volet de notre série sur la viticulture québécoise : comment la conduite de la vigne en hiver influence les maladies et leur gestion.
1. La taille en gobelet est exigée par la technique de protection hivernale par buttage. Mais elle favorise la contamination par le mildiou, car les inflorescences de la vigne se trouvent alors près du sol. Photo : J. Lasnier

1. La taille en gobelet est exigée par la technique de protection hivernale par buttage. Mais elle favorise la contamination par le mildiou, car les inflorescences de la vigne se trouvent alors près du sol. Photo : J. Lasnier

2. Dommages causés par l'anthracnose (Elsinoe ampelina). Photo : O. Carisse

2. Dommages causés par l'anthracnose (Elsinoe ampelina). Photo : O. Carisse

3. Dommages causés par l'anthracnose (Elsinoe ampelina). Photo : O. Carisse

3. Dommages causés par l'anthracnose (Elsinoe ampelina). Photo : O. Carisse

4. Capteurs de spores utilisés pour mesurer l'inoculum aérien d'E. necator (oïdium ou blanc), de P. viticola (mildiou) ou de B. cinerea (pourriture de la grappe). Photo :  J. Lasnier

4. Capteurs de spores utilisés pour mesurer l'inoculum aérien d'E. necator (oïdium ou blanc), de P. viticola (mildiou) ou de B. cinerea (pourriture de la grappe). Photo : J. Lasnier

Sensibilité des principaux cépages cultivés au Québec

Sensibilité des principaux cépages cultivés au Québec

Les principales maladies de la vigne au Québec sont les mêmes qu'en Europe. Certaines sont sur leur terre d'origine... Mais les techniques de production de raisins de cuve adaptées à notre climat influencent les techniques de protection de la vigne contre les maladies.

Des spécificités liées au climat

Le buttage exigé par le froid hivernal favorise, indirectement, le mildiou

Au Québec, la saison chaude, courte et humide, les gels printaniers fréquents et les hivers parfois très froids, avec ou sans couverture de neige protectrice, comportent leur lot de difficultés.

Les méthodes de protection hivernale et l'usage de cépages résistants au froid avec des cycles de maturation courts sont essentiels à la production de la vigne en climat nordique. Or, ces deux facteurs ont un impact sur la protection des vignes contre les maladies.

Par exemple, le buttage des vignes avec de la terre crée un microclimat qui protège les bourgeons en maintenant les températures, sous la butte, supérieures à -13 °C, seuil de tolérance au froid de la plupart des cépages semi-rustiques cultivés au Québec.

Toutefois, cette pratique implique d'adopter une taille basse avec les bourgeons fructifères près du sol, ce qui les rend plus susceptibles d'être infectés par les oospores du Plasmopara viticola (mildiou).

Le climat est un puissant « pesticide » !

En revanche, les rudes conditions hivernales présentent un défi pour la survie de certains agents pathogènes. Pour un certain nombre d'entre eux, les hivers rigoureux rendent difficile le passage d'une saison à une autre. Seuls les organismes qui hivernent sous forme de structures de survie adaptées au froid sont capables d'assurer leur pérennité dans les vignobles québécois.

De plus, les étés courts et les printemps frais freinent le développement des maladies qui, pour se développer, doivent passer par plusieurs cycles d'infection-sporulation.

Ces conditions comportent également des avantages en termes de protection contre les maladies. Le buttage et le déchaussage des ceps font en sorte qu'une grande quantité de rameaux aoûtés, souvent porteurs des agents pathogènes de la vigne, sont exposés aux rigueurs de l'hiver. Au printemps, les sarments au-dessus de la butte sont éliminés par la taille et brûlés, ce qui réduit la pression de certaines maladies.

Enfin, la taille modeste des vignobles ainsi que leur isolement géographique créent des conditions peu favorables aux maladies.

Cépages et sensibilité aux maladies

De plus, dans une très large mesure, la sévérité des maladies est dictée par la sensibilité du cépage (voir tableau p. 13). Le guide d'identification des cépages de cuve cultivés au Québec en climat froid présente 48 cépages cultivés.

Inventaire des maladies

Les principales maladies au Québec sont le mildiou (Plasmopara viticola), le blanc ou oïdium (Erysiphe necator), la pourriture grise ou pourriture de la grappe (Botrytis cinerea), l'anthracnose (Elsinoe ampelina) et la pourriture noire, dite black-rot par les Français (Guignardia bidwellii).

Lorsque les conditions sont optimales, soit en présence d'un cépage sensible, de conditions climatiques favorables et d'une population de l'agent pathogène élevée, ces maladies peuvent causer des pertes considérables (Carisse et coll., 2006, 2009c) et réduire la capacité des ceps à résister aux conditions hivernales.

Lors de conditions moins favorables, ces maladies causent des baisses de rendement, réduisent la vigueur des vignes et affectent la qualité organoleptique du moût.

D'autres maladies sont présentes sporadiquement, mais ont le potentiel de causer des pertes importantes. Parmi ce groupe, on retrouve le rougeau parasitaire (Pseudopezicula tetraspora), l'excoriose (Phomopsis viticola) et la tumeur du collet (Agrobacterium vitis).

Pratiques culturales et maladies de la vigne

Un des défis importants en viticulture nordique est la survie des bourgeons à l'hiver et la longévité des vignobles (nombre d'années en production). Nous l'avons déjà écrit, une des méthodes utilisées pour protéger les vignes est le buttage du rang avec la terre des entre-rangs.

Selon cette pratique, les vignes sont recouvertes de terre du mois de novembre au début du mois de mai. Une taille basse permet de ne conserver que les bourgeons fructifères situés à un maximum de 30-40 cm du sol (photo 1 page précédente) et qui sont donc protégés par le buttage.

L'anthracnose (Elsinoe ampelina)

Cependant, certains cépages peuvent être cultivés sans protection hivernale, c'est le cas de marquette et vendal-cliche. Ces deux cépages sont très sensibles à l'anthracnose (Elsinoe ampelina), maladie très dommageable et difficile à réprimer (Carisse et Lefebvre, 2011a, 2011b ; Carisse et Morissette-Thomas, 2013). Dans les cas sévères, l'anthracnose engendre une défoliation des vignes et des pertes de rendement pouvant atteindre 100 % (photos 2 et 3).

Le mildiou (Plasmopara viticola) passe l'hiver dans les buttes

Le buttage rend les cépages sensibles au mildiou particulièrement vulnérables à cette maladie. Le mildiou est causé par le pseudo-champignon Plasmopara viticola, originaire d'Amérique du Nord et bien adapté aux conditions de la viticulture nordique. Plasmopara viticola hiverne sous forme d'oospores logées dans les feuilles infectées à l'automne. En général, les conditions automnales au Québec sont favorables à la production et à la maturation des oospores (Caffi et coll., 2011 ; Carisse, 2016).

Comme le buttage des vignes a lieu après la chute des feuilles, celles-ci sont enfouies dans les buttes de terre. Les oospores seront ainsi, elles aussi, protégées des rigueurs de l'hiver. De plus, au printemps, la germination des oospores est favorisée par de légers gels, événements courants au Québec.

Au printemps, la taille en gobelet (taille basse) favorise, lors des averses, l'infection des jeunes pousses et des inflorescences situées près du sol par les éclaboussures d'eau contaminée par les zoospores de P. viticola. Cependant la période à risque de développement (de fin mai à la mi-juillet) de la maladie est limitée à environ six à sept semaines.

Les résultats d'une étude publiée en 2016 ont démontré qu'il y a une forte corrélation entre la sévérité de l'infestation par le mildiou à l'automne et les risques de développement du mildiou la saison suivante (Carisse, 2016). Ces risques s'expriment en termes de sévérité, mais également de précocité des épidémies et de synchronicité accrue entre la présence d'inoculum et celle d'inflorescences sensibles (voir Figure 1).

Le blanc ou oïdium (Erysiphe necator), en général pas avant juillet

Les conditions printanières sont d'ordinaire favorables à la production d'inoculum primaire (ascospores), les températures fraîches du printemps ralentissent le développement des cycles secondaires et limitent le nombre de cycles possibles au cours de la saison de croissance de la vigne.

À une température moyenne de 10 °C, les cycles ont une durée d'environ 25 jours. Pour plusieurs cépages, il y a une mauvaise synchronie entre la présence d'une quantité suffisante d'inoculum et la période de sensibilité de la vigne, soit du début de la floraison à la fermeture de la grappe.

Les recherches menées au Québec à l'aide de capteurs de spores (photo 4) ont permis d'exprimer la dynamique des éjections aériennes des spores du blanc de la vigne au cours de la saison.

Cette étude a démontré que les éjections massives débutaient lorsque les 600 degrés-jour à la base 6 sont atteints. Sous nos conditions climatiques, une période d'environ sept semaines est favorable au développement du blanc, soit du début juillet à la troisième semaine du mois d'août.

La pourriture grise (Botrytis cinerea), aidée par la tordeuse au Québec aussi

Le champignon responsable de la pourriture grise hiverne sous forme de sclérotes logées dans les débris de culture. Au printemps, des spores (conidies) se formeront sur les sclérotes. L'infection des feuilles est favorisée par la durée d'un taux d'humidité élevé et la présence de blessures. De nouvelles spores seront produites sur ces lésions. Ces spores dispersées par le vent causeront de nouveaux cycles d'infection permettant au champignon de se maintenir dans le vignoble.

Au Québec, les conditions idéales de contamination ont lieu lors de la floraison de la mi-juin à la fin juin. Les ovules contaminés par les spores vont demeurer asymptomatiques jusqu'à la véraison, à ce stade, B. cinerea peut infecter les baies en l'absence de lésions. Lorsque la population du champignon est faible, les dommages n'entraînent généralement pas de perte économique. Toutefois, plus la saison sera pluvieuse et chaude (optimale de 15 à 20 °C) combiné à la présence de la tordeuse de la vigne, plus le risque de développement d'une épidémie sera élevé.

La pourriture noire (Guignardia bidwellii)

Le champignon hiverne dans les baies momifiées et les vrilles tombées sur le sol sous forme de sacs (périthèces) contenant des spores sexuées. Au printemps, ces spores (ascospores) sont éjectées dans l'air par les pluies et infectent les jeunes feuilles ou tiges. Les premières taches apparaissent environ deux à trois semaines après l'infection (période de pluie) sur les feuilles et dix à quatorze jours sur les baies. Les pustules noires qui se développent sur les taches contiennent des spores dites secondaires (ou spores d'été). Ces dernières sont dispersées par les pluies et causent de nouvelles infections sur les feuilles, pétioles, vrilles, sarments, rafles et baies jusqu'à la fin de la saison.

Les conditions propices à l'infection sont une mouillure minimum de 6 heures à des températures de 9 à 32 °C, avec un développement optimum à 20-25 °C.

À ce jour, peu de cépages plantés au Québec sont sensibles à la pourriture noire. De plus, les traitements contre le blanc et le mildiou suffisent à réprimer la maladie.

La tumeur du collet (Agrobacterium tumefaciens)

Le déchaussage (débuttage) mécanique inflige parfois des blessures sur les ceps. Cela favorise la propagation de la tumeur du collet causée par la bactérie Agrobacterium tumefaciens. dans les vignobles déjà contaminés.

Recherche et avancements technologiques

Les conditions particulières du Québec ont motivé le développement d'outils d'aide à la décision (OAD) basés sur l'estimation et/ou la mesure de l'inoculum aérien pour les principaux agents pathogènes de la vigne au Québec.

Pour le blanc (oïdium), un modèle a été élaboré en relation entre le cumul des degrés-jour depuis le stade « premières feuilles déployées » et la concentration de l'inoculum dans l'air. (Carisse et coll., 2009a, b). Ce modèle (Figure 2) permet d'estimer les risques d'infestation par le blanc (oïdium) selon le stade de développement de la vigne et donc de déterminer le début des interventions contre cette maladie.

Bien que ce type de modèle soit simple d'utilisation et démocratique, puisque disponible pour tous, il ne tenait pas compte à l'origine de la situation spécifique de chaque vignoble (sensibilité des cépages et historique de maladie).

L'outil a donc été amélioré en combinant l'estimation des risques en fonction de l'accumulation des degrés-jour avec une mesure de la concentration d'inoculum présent dans l'air du vignoble (Carisse et coll., 2009b). Cet inoculum aérien est mesuré à l'aide de capteurs de spores combinés à des outils moléculaires sensibles et spécifiques, ce qui permet de détecter et quantifier précisément l'inoculum (Carisse et coll., 2014).

Ce type de dépistage, très spécifique à la vigne, permet aux conseillers viticoles et aux producteurs de prendre des décisions basées sur une connaissance précise de la situation spécifique à leur vignoble.

De plus, puisque la population des agents pathogènes est mesurée à partir de la quantité d'ADN spécifique à chaque agent pathogène, cette stratégie ouvre la porte à un dépistage de précision qui permet de mesurer non seulement la quantité d'inoculum mais également les sous-espèces (Rouxel et coll., 2014) et leur résistance aux fongicides (Gossen et coll., 2014).

Conclusion

La production de raisins de cuve dans les conditions nordiques du Québec présente ses avantages et son lot de difficultés, mais elle a également stimulé la créativité et l'innovation chez les chercheurs, les conseillers et les viticulteurs.

Fig. 1 : L'automne pèse sur le mildiou du printemps suivant

Évolution du mildiou dans des vignes (cépage vidal) présentant différents degrés de sévérité du mildiou sur feuilles à l'automne (Carisse, 2016).

Fig. 2 : Un OAD à propos d'oïdium

Progression de l'inoculum aérien du blanc (oïdium) causé par Erysiphe necator (Carisse, 2009).

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RÉSUMÉ

CONTEXTE - Les maladies de la vigne au Québec ont des particularités liées au climat, directement (froid hivernal, saison végétative courte, chaude et humide) ou indirectement (buttage hivernal et du type de taille qu'il induit).

INVENTAIRE - Le mildiou profite du buttage : les oospores passent l'hiver protégées dans les feuilles enfouies dans la butte, puis la taille basse en gobelet facilite les contaminations de la végétation. L'oïdium, le black-rot (dit pourriture noire au Québec) et la pourriture grise sont des maladies notables mais moins importantes. Les cépages marquette et vendal-cliche, qui n'exigent pas de buttage, sont sensibles à l'anthracnose due à Elsinoe ampelina. Les tumeurs du collet dues à Agrobacterium tumefaciens sont favorisées par les blessures de buttage.

MOTS-CLÉS - Vigne, Québec, maladies.

POUR EN SAVOIR PLUS

AUTEURS : *O. CARISSE, Agriculture et Agroalimentaire Canada, Saint-Jean-sur-Richelieu (Québec) Canada.

**J. LASNIER, Co-Lab R&D, division d'Ag-Cord Inc., Granby (Québec), Canada.

CONTACTS :

odile.carisse@agr.gc.ca

jlasnier@translog.ca

LIENS UTILES : www.researchgate.net/profile/Jacques_Lasnier/contributions

www.researchgate.net/publication/303876746_PHYTOMA_Les_maladies_de_la_vigne_au_Quebec_Odile_Carisse_Jacques_Lasnier_Supplements_d'informations

BIBLIOGRAPHIE : - Midwest Grape Production Guide, Bulletin 919, OSU, 2005 ; New York and Pennsylvania Pest Management Guidelines for Grapes : 2006 ; Characteristics of Cold Hardy Grape Cultivars, Dr. Paul Domoto, Iowa State University, 2007 ; Dubé G., et Turcotte I. 2011. Guide d'identification des cépages cultivés en climat froid ; cépages de cuve.

- Carisse O., Bacon R., Lasnier J., Lefebvre A., Levasseur A., Rolland D. et Jobin T. 2009c. Gestion raisonnée des principales maladies de la vigne au Québec. Odile Carisse, Agriculture et Agroalimentaire Canada, publication 10372F, ISBN : 978-1-100-91897-6.

- Carisse O., 2016. Development of grape downy mildew (Plasmopara viticola) under northern viticulture conditions : Influence of fall disease incidence. European Journal of Plant Pathology : 144 : 773-783.

- Carisse O., Bacon R., and Lefebvre A. 2009b. Grape powdery mildew (Erysiphe necator) risk assessment based on airborne conidium concentration. Crop Protection 28 : 1036-1044.

- Carisse O., Bacon R., Lefebvre A. and Lessard K., 2009a. A degree-day model to initiate fungicide spray programs for management of grape powdery mildew (Erysiphe necator). Canadian Journal of Plant Pathology 31 : 186-194.

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