Tailler la vigne est une pratique nécessaire mais qui stresse le végétal et peut offrir une « porte d'entrée » aux maladies du bois, esca en tête. Or il semble que le type de taille influence la gravité de ces maladies.
Pourquoi retravailler sur les modes de taille
Une pratique ancestrale
La vigne est une liane. Elle doit subir, entre chaque cycle de production, une taille visant à guider son développement, son architecture et sa mise à fruit pour le cycle suivant en supprimant tout ou partie des sarments. L'opération est réalisée durant le repos de la vigne en hiver. Cette pratique ancestrale crée des plaies de taille qui cicatrisent en produisant une zone de bois mort dite « cône de dessiccation ». Cette zone s'étend à l'intérieur du bois et peut avoir un impact sur les trajets de sève parcourant le cep.
Recrudescence des maladies du bois
Or des trajets de sève efficients contribuent au bon fonctionnement physiologique de la plante. A contrario, si ces trajets sont entravés ou perturbés, l'équilibre physiologique du cep et sa survie sont affectés. Cet aspect est très important dans le contexte actuel de dépérissement du vignoble et de recrudescence des maladies du bois (MDB).
Les MDB peuvent se propager via les plaies de taille. De plus, si les trajets de sève sont trop fortement modifiés par la présence de zones de nécroses, la plante subira un épuisement prématuré limitant sa vigueur et sa production.
Les pratiques viticoles actuelles préconisent une taille « propre ». Mais celle-ci génère des plaies importantes et mutilantes qui peuvent participer au dépérissement du pied.
Apporter des données nouvelles
Traditionnellement, on estime que la profondeur du cône de dessiccation est équivalente au diamètre de la plaie de taille et uniforme sur toute la zone. En réalité, ce postulat n'est pas toujours vérifié.
Il existe différentes réponses physiologiques conduisant à la production du cône. Selon la sévérité de la plaie, sa position, la proximité d'une autre branche ou même le cépage, la profondeur et la forme du cône de dessiccation peuvent varier, induisant des risques plus ou moins grands de limitation des trajets de sève. Les modes de taille étant aujourd'hui en débat, il est urgent :
- d'apporter des données nouvelles sur les conséquences physiologiques des diverses pratiques de taille utilisées au vignoble ;
- de mieux comprendre comment la production de cônes de dessiccation peut moduler le fonctionnement de la plante.
Les cônes de dessiccation
La cicatrisation des ligneux
Les modalités de formation des cônes de dessiccation produits après la taille d'hiver sont actuellement mal connues. Quelles sont la forme et la profondeur de ces cônes, sont-ils tous équivalents, en combien de temps se forment-ils, les mécanismes diffèrent-ils entre cépages, dois-je laisser un « chicot », un bourgeon, puis-je tailler ras sur bois de 1 an... ? Des questions sans réponses...
Après une blessure, les arbres génèrent de nouveaux tissus afin de cicatriser et/ou cloisonner une infection possible. Le processus de cicatrisation des ligneux a été décrit à la fin du XIXe siècle par Hartig (1891), puis par Shigo et Marx (1977) dans le cadre du modèle de fonctionnement « Codit » (Compartmentalization of decay in trees) basé sur des mécanismes de compartimentalisation progressive des tissus. Les blessures de taille induiraient la mise en place de quatre barrières selon deux types de mécanisme :
- activation de barrières physiques obstruant les vaisseaux conducteurs de sève ;
- activation de barrières chimiques limitant le développement de micro-organismes.
Modification de la structure anatomique
Après la taille, au contraire des arbres développant un cal de cicatrisation, la vigne ne peut recouvrir la plaie. Elle produit une substance gommeuse durant l'hiver, et forme en été des thylles obstruant les vaisseaux conducteurs (Sun, Rost and Matthews, 2008). Cela fait apparaître la zone nécrosée dite « cône de dessication ».
La relative lenteur de la fermeture des vaisseaux fait que celle-ci peine à restreindre la colonisation par des pathogènes (Thorne et al., 2006). Par ailleurs, cette fermeture peut entraver le flux de sève dans la zone de bois contenant des vaisseaux et limiter la capacité à emmagasiner des réserves.
La suppression d'un rameau ou d'une partie de rameau par la taille d'hiver induit ces mécanismes et modifie la structure anatomique du bois de 1 ou 2 ans. On sait que la moelle et les tissus vasculaires (xylème ou « bois » où circule la sève brute et phloème ou « liber » véhiculant la sève élaborée) occupent la majorité du sarment. Entre les tissus vasculaires, des parenchymes servent de réserve et des tissus de soutien (schlérenchyme) « portent » la tige, le tout recouvert des tissus du rhytidome (Figure 1).
Expliquer les modalités de formation
Expérimentation sur deux parcelles
En collaboration avec la société Simonit & Sirch, l'ISVV de Bordeaux a lancé une étude visant à expliquer le processus d'installation des cônes de dessiccation et à caractériser leur forme selon les modalités de taille.
L'essai a été mené sur deux parcelles en appellation bordeaux (une de cabernet-sauvignon [CS] et une de sauvignon blanc [S]) lors des hivers 2014 et 2015. Chaque parcelle accueille trois modalités de taille sur cinquante bois de 2 ans (Figure 2) :
- taille rase (modalité 1) ;
- taille non rase avec chicot taillé sous le premier noeud (modalité 2) ;
- taille non rase avec chicot taillé au-dessus du premier noeud et ébourgeonné (modalité 3), dite « avec diaphragme ».
Le diaphragme est un tissu sclérifié qui se situe dans la zone de chaque noeud. Il a pour rôle physiologique de participer à la régulation du transit des flux de sève au niveau des organes oppositifoliés (feuilles d'un côté du noeud et grappes ou vrille de l'autre côté) au cours du cycle phénologique.
Après trois mois (fin mai) et six mois (début septembre), des prélèvements de bois ont été réalisés afin d'évaluer la surface et la profondeur d'installation des nécroses par analyse d'image.
Une installation lente et hétérogène
Au bout de trois mois
Trois mois après la taille, les processus de cicatrisation sont entamés mais peu évolués. La zone lignifiée et desséchée, qui correspond à la première phase de cicatrisation, est fine (Figure 3). Elle est installée sur l'ensemble des tissus du rameau de manière homogène. L'épaisseur moyenne de la zone nécrosée est inférieure à 3 mm.
Six mois après la taille
En revanche, six mois après la taille, la forme et la profondeur de la zone nécrosée varient selon les modalités mais également, au sein de la modalité 2 sans diaphragme, selon l'état des souches (Figure 4).
Sur cette modalité 2, le dessèchement des tissus, variable, semble lié à la vigueur de la souche et au diamètre des bois taillés. Deux types de situation ont été observés, indifféremment de l'année d'étude et du cépage. Dans le cas des souches peu vigoureuses, l'ensemble du mérithalle (intervalle entre deux noeuds) est nécrosé jusqu'à la zone d'insertion du chicot sur le bois de l'année précédente. Mais si le bois est d'un bon diamètre, seule la moelle se dessèche (Figures 4-2A et 4-2B).
Sur la modalité 3 avec diaphragme (Figures 4-3A et 4-3B), la nécrose ne s'est quasiment pas étendue au niveau de la zone vasculaire, laissant une partie des zones de circulation de sève fonctionnelle. En revanche, la moelle s'est desséchée jusqu'au diaphragme. Celui-ci sert de barrière à la poursuite de l'installation nécrotique.
Enfin, lorsque la taille est rase, la zone nécrotique s'enfonce dans le bois porteur de l'année précédente jusqu'à la moelle, obstruant une partie du trajet de sève (Figure 5).
Influence du cépage
Trois et six mois après la taille
Trois mois après la taille, on observe des différences d'installation de nécrose entre cépages (Figure 6). Le sauvignon semble réagir davantage quelle que soit la modalité. La nécrose est toujours plus profonde chez lui que chez le cabernet-sauvignon. Six mois après la taille, le phénomène est moins marqué. Les différences d'épaisseur des nécroses, certes toujours présentes, ne sont plus significativement différentes.
Une barrière physique efficace
Favoriser la cicatrisation
Les résultats obtenus montrent que le phénomène de dessèchement et de propagation des nécroses dans les tissus est toujours stoppé par le diaphragme.
Si une zone de bois est laissée au-dessus du diaphragme, la circulation de la sève dans le mérithalle sous-jacent permet de commencer la cicatrisation avant la suppression définitive du chicot. Elle constitue une « canalisation » autour de la zone à supprimer. Cela induit la formation d'un « bourrelet » qui, à terme, recouvrira la zone de bois mort (comme cela se passe chez les arbres fruitiers) au lieu de former un cône de dessiccation profond affectant les trajets de sève.
Confirmation de références très antérieures
Ces observations corroborent celles publiées en 1890 par Reinhold Dezeimeris, dans son ouvrage D'une cause de dépérissement de la vigne et des moyens pour y remédier. L'auteur préconisait de ne jamais tailler ras mais de tailler sur le noeud immédiatement supérieur au dernier oeil conservé. Sa présence est un bon frein au phénomène de dessiccation provoqué par la présence d'une plaie.
Bannir la taille rase
Éloge des chicots
La formation et les modalités d'installation du cône de dessiccation semblent donc variables. La règle prévalant jusqu'à ce jour, à savoir « la profondeur du cône de dessiccation correspond au diamètre de la plaie », ne se révèle pas toujours vraie.
Suivant la sévérité des plaies de taille, la zone de la plaie et le cépage, l'apparition de bois mort est plus ou moins rapide et profonde, ayant ainsi un impact différent sur les flux de sève. Rechercher à limiter la profondeur du cône de dessèchement dans le courant de sève est une nécessité si l'on veut optimiser les réserves et préserver la viabilité de sa vigne.
Le rôle du diaphragme semble prédominant pour limiter et réguler les zones nécrotiques. En ralentissant l'installation du cône de dessiccation et en maintenant le fonctionnement des faisceaux vasculaires, il permet de conserver une zone de bois vivant au-dessus de la zone d'insertion du bois de l'année et d'assurer parfaitement son alimentation.
La taille avec chicot permet de maintenir cette zone de régulation et de réduire l'installation profonde de la nécrose grâce à une circulation de sève continue via les faisceaux vasculaires peu touchés. Dans le cas d'une taille avec chicot d'un mérithalle, la présence de deux diaphragmes amplifie ce phénomène et maintient de manière permanente cette activité.
La taille rase, en ayant éliminé le diaphragme de la base du rameau, atteint directement les faisceaux vasculaires du bois porteur. Elle induit une zone nécrotique profonde qui limite le flux et la capacité d'alimentation de la baguette laissée à la taille.
Leviers d'action
Cette première approche de l'impact des modes de taille sur la réponse physiologique de la vigne mérite d'être poursuivie afin de compléter les premiers constats.
Mais, d'ores et déjà, conserver le diaphragme et limiter les tailles rases sont des axes d'amélioration vers une taille moins mutilante, plus respectueuse de la plante. Ils peuvent être des leviers d'action non négligeables et faciles à appliquer pour ralentir le dépérissement des souches et l'expression des maladies du bois.
*ISVV (Institut des sciences de la vigne et du vin) - université de Bordeaux, EA 4577, unité de recherche oenologie, Inra. **Simonit & Sirch, maîtres tailleurs de vigne.
Fig. 1 : Organisation des tissus d'un rameau de vigne
Coupe transversale d'un rameau de 1 an, aoûté. Les tissus vasculaires (bois + phloème) sont les circuits des flux de sève. Microscopie optique ; coloration au phloroglucinol qui révèle les tissus lignifiés en fuschia.
Fig. 2 : Les trois modalités de taille testées
Modalité 1 : taille rase.
Modalité 2 : taille non rase, chicot taillé sous le premier noeud. Modalité 3 : taille non rase, chicot taillé au-dessus du premier noeud et ébourgeonné.
Fig. 3 : Évolution du bois autour des plaies de taille
Épaisseur moyenne de la zone nécrosée trois et six mois après la taille.
Fig. 4 : Cônes de dessiccation 3(A) et 6(B) mois après la taille, cépage cabernet-sauvignon
2A : modalité 2 (avec chicot mais sans diaphragme) trois mois après la taille. 2B : Même modalité 2 six mois après la taille. 3A : modalité 3 (« avec diaphragme ») trois mois après la taille. 3B : même modalité six mois après la taille.
Fig. 5 : Effets comparés d'une plaie de taille rase et d'une plaie avec chicot
Aspect au bout d'un an (délai entre taille et prélèvement pour examen).
Zone brune = tissus vasculaires nécrosés desséchés. Zone claire = tissus vasculaires fonctionnels, traduisant la vitalité.