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DOSSIER - Vigne

Un réseau européen pour lutter contre les maladies du bois

FANNY PREZMAN*, CÉLINE ABIDON**, FLORENCE FONTAINE***, VINCENZO MONDELLO*** ET ÉRIC SERRANO* - Phytoma - n°708 - novembre 2017 - page 29

Le projet Winetwork a recueilli les connaissances sur les agents des maladies du bois de la vigne, les tests de moyens de lutte et les pratiques de terrain.
Planter des clous en cuivre et introduire des bâtonnets de bois inoculés avec des Trichoderma sont des pratiques recensées respectivement en Allemagne et en Espagne.  Photo : DLR Rheinpfalz - Ingacal - IFV Sud-Ouest

Planter des clous en cuivre et introduire des bâtonnets de bois inoculés avec des Trichoderma sont des pratiques recensées respectivement en Allemagne et en Espagne. Photo : DLR Rheinpfalz - Ingacal - IFV Sud-Ouest

 Photo : DLR Rheinpfalz - Ingacal - IFV Sud-Ouest

Photo : DLR Rheinpfalz - Ingacal - IFV Sud-Ouest

Protection d'une plaie de taille après recépage. Photo : DLR Rheinpfalz - Ingacal - IFV Sud-Ouest

Protection d'une plaie de taille après recépage. Photo : DLR Rheinpfalz - Ingacal - IFV Sud-Ouest

Les maladies du bois (MDB) sont un véritable fléau pour la viticulture mondiale. L'OIV, Office international de la vigne, estimait en 2016 qu'elles coûtent 1,5 million de dollars par an.

Pourquoi Winetwork ?

Sortir d'une impasse

Le coût des maladies du bois est dû au remplacement des ceps morts du fait des trois pathologies les plus communes : l'esca, les dépérissements liés aux botryospheariacées (BDA) et l'eutypiose. En Europe, la perte de rendement peut atteindre 30 % dans certains vignobles.

Depuis que l'arsénite de sodium a été interdit en France (en 2001) puis en Europe (en 2003), il n'existe plus de méthode de lutte contre ces pathologies. Les recherches menées depuis une quinzaine d'années sur les champignons impliqués dans ces maladies, leur mode d'action et leurs interactions avec la vigne et l'environnement ont permis de mieux les comprendre. Mais elles n'ont pas encore débouché sur des solutions concrètes pour maîtriser ces maladies.

Face à cette impasse, de vastes programmes de recherche sont lancés en Europe et en France, notamment à travers le plan national Dépérissement. En parallèle, de nombreux viticulteurs européens testent des pratiques « anti-MDB ». Certaines méritent d'être partagées et étudiées scientifiquement.

Connaissances et innovations

Les avancées scientifiques sont souvent peu ou mal diffusées aux acteurs de la filière alors qu'elles sont à la base d'un contrôle efficace des MDB. Aussi, le projet européen Winetwork a eu pour premier objectif de recueillir les résultats récents de la recherche scientifique sur ces maladies (et la flavescence dorée) et les partager avec les professionnels. Dix chercheurs européens ont analysé 120 publications scientifiques publiées ces quinze dernières années.

En même temps, de nombreuses pratiques de terrain mises en oeuvre par des viticulteurs, souvent basées sur l'empirisme, ont été recensées et transmises aux scientifiques et viticulteurs européens.

Cette approche « top-down/bottom-up » (descendante/ascendante) a fait émerger des stratégies de luttes innovantes et enrichi les connaissances scientifiques.

Des recherches actives

Scruter les agents responsables

L'un des principaux verrous techniques au contrôle des MDB est leur identification correcte au vignoble. En effet, les symptômes d'esca, de BDA et parfois d'eutypiose sont souvent confondus avec ceux de carences, virus, voire flavescence dorée.

Les récentes études sur l'épidémiologie des MDB ont permis de mieux définir la symptomatologie, les pathogènes associés et leur cycle de vie au vignoble. L'identification visuelle basée sur la symptomatologie étant difficile, la connaissance des pathogènes associés aux MDB permet de les discriminer. À ce jour, trente-deux espèces de champignons sont identifiées comme associées à l'esca, vingt-six au BDA et vingt-quatre à l'eutypiose.

La lutte chimique passée au crible

Pour lutter contre les pathogènes des MDB, il faut trouver des alternatives valides aux produits chimiques désormais interdits (à base d'arsénite de sodium, benomyl et/ou carbendazime). Plus de 70 substances actives ont été testées en laboratoire, en pépinière et au champ, entre 2000 et 2015. Le groupe scientifique de Winetwork a synthétisé les résultats sur l'efficacité de 83 matières actives et 27 agents de biocontrôle.

Conclusion : les substances les plus efficaces sont aussi bien des composés de synthèse que des molécules naturelles, alors que les biostimulants testés ne se sont pas montrés efficaces. Les meilleurs résultats ont été obtenus avec des produits de contact ou systémiques appliqués en protection des plaies de taille. Le thiophanate-méthyl, la pyraclostrobine, le tébuconazole et l'acide borique se sont montrés efficaces contre au moins deux des trois maladies, et peuvent protéger les plaies de taille durant deux semaines. Le chitosane semble le plus prometteur des composés naturels (en gras dans le tableau ci-dessous). Les agents de biocontrôle, eux aussi, ont été passés au crible. Si la plupart des essais ont été menés avec des espèces de Trichoderma, des champignons tel Pythium oligandrum ou Gliocladium ont aussi été étudiés. L'effet de bactéries (genres : Bacillus, Acinetobacter, Enterobacter) a été évalué en protection des plaies de taille et en pépinière. Des souches de Bacillus subtilis se sont montrées efficaces en protection des plaies de taille contre le BDA et l'eutypiose, moins contre l'esca.

Méthodes de lutte sur le terrain

219 professionnels interrogés

La principale porte d'entrée des pathogènes dans le bois étant les plaies de taille, les pratiques culturales au vignoble sont déterminantes face aux contaminations.

Outre les pratiques prophylactiques permettant de limiter le risque lié aux MDB, des pratiques innovantes sont parfois mises en place par les viticulteurs européens afin de limiter l'expansion de l'esca, du BDA ou dans une moindre mesure de l'eutypiose. Dans le cadre de Winetwork, 219 vignerons, viticulteurs et techniciens ont été interrogés à ce sujet (Figure 1 page suivante).

Pratiques prophylaxiques

Les ceps morts, les feuilles, rameaux et grappes séchées, l'écorce et le bois sont une source potentielle d'inoculum de champignons des MDB. Des vignerons mettent en oeuvre des pratiques pour réduire cet inoculum : exportation des ceps morts hors des parcelles, broyage ou compostage des débris de taille.

La taille tardive est souvent effectuée pour limiter l'infection des plaies de taille. Des viticulteurs européens utilisent des systèmes de taille respectant les flux de sève comme mesures préventives. La taille Guyot Poussard est mise en place dans bon nombre des vignobles européens (Allemagne, Italie, France, Croatie...). Son impact bénéfique sur les MDB n'est pas totalement vérifié mais des expérimentations sont en cours.

Pratiques de remplacement

La pratique de remplacement la plus utilisée en Europe, quoique parfois difficile à mettre en oeuvre, est la complantation.

Le recépage est souvent pratiqué sur les ceps atteints d'eutypiose et des formes chroniques d'esca et BDA. Un nouveau tronc est formé à partir d'un pampre situé en dessous du niveau de la nécrose interne. Cela est réalisé soit en préventif sur les parcelles présentant une forte mortalité due aux MDB, soit dès l'apparition des symptômes, soit lorsqu'ils sont déjà bien établis. Selon la littérature scientifique, le recépage est efficace sur l'eutypiose et partiellement sur l'esca et le BDA. Pour ces dernières maladies, il doit être effectué dès les premiers symptômes mais, c'est prouvé, la plante peut réexprimer des symptômes trois à cinq ans plus tard.

Le surgreffage, moins commun, est pratiqué ponctuellement en France (Sud-Ouest et Alsace) et en Espagne (Rioja). Comme pour le recépage, il n'est pas efficace si le tronc est trop nécrosé et si la nécrose descend jusque dans le porte-greffe. Si celui-ci est sain et la technique bien maîtrisée, la vigne peut retrouver sa pleine productivité.

Restauration des ceps

Le curetage est une pratique bien connue en France mais moins ailleurs. Parfois pratiqué par les viticulteurs eux-mêmes (Sud-Ouest, Alsace et Douro), il est souvent réalisé dans le cadre d'une prestation (Piémont, Istrie). Si les résultats scientifiques sur l'effet de cette pratique manquent, elle est conseillée sur les ceps atteints d'esca ou de BDA. L'objectif est de retirer l'amadou et le bois mort sans altérer la circulation des sèves. L'intervention doit se faire le plus tôt possible sur les formes lentes de l'esca et BDA.

Les produits dits alternatifs (stimulateurs de défenses naturelles, huiles essentielles, produits naturels à base de plantes ou d'algues) sont largement utilisés mais aucun résultat publié ne démontre à ce jour leur efficacité.

Protection des plaies de taille

L'application de mastic est une pratique coûteuse mais utilisée dans la plupart des régions. Lors du recépage, la grosse plaie de taille est couverte d'un mastic opposant une barrière physique aux pathogènes.

L'application sur les plaies de taille d'un agent de biocontrôle du genre Trichoderma est une pratique de plus en plus courante en Europe. Ces produits s'appliquent rapidement après la taille par pulvérisation ou badigeonnage afin de retarder l'infection par les champignons. Leur efficacité sur le terrain reste partielle et doit être améliorée.

Pratiques sans validation scientifique

Des pratiques plus atypiques ont été recensées sur le terrain. À ce jour, ni évaluation scientifique, ni validation, ni mesure d'efficacité n'en ont été faites. L'objectif de Winetwork étant le partage des connaissances et expériences, il a été choisi de mettre en lumière la diversité des techniques de terrain avec ou sans validation scientifique.

Certains viticulteurs injectent une solution d'eau oxygénée dans les troncs atteints d'esca ou de BDA. Cette pratique, rapide et facile à mettre en oeuvre, aurait des résultats positifs si l'injection est réalisée dès l'apparition des symptômes. D'autres injectent une solution de nanoparticules de cuivre au débourrement et à la véraison.

En Galice (Espagne), un viticulteur teste l'effet de l'introduction dans le tronc de petits bâtonnets de bois inoculés avec des Trichoderma pour lutter contre les pathogènes à l'intérieur du tronc. Dans le Douro (Portugal), des viticulteurs plongent leurs plants de vigne dans une solution fongicide juste avant la plantation ; cette pratique fait l'objet de mesures expérimentales.

Enfin, en Rhénanie-Palatinat (Allemagne), des clous en cuivre sont plantés dans les troncs. En théorie, ils diffusent lentement du cuivre dans la plante pour un effet fongicide. Afin de clarifier l'effet de cette pratique, un essai a été mis en place à l'institut de recherche et d'éducation DLR Rheinpfalz.

Conclusion

La mise en réseau des résultats scientifiques et des pratiques de terrain a permis d'inventorier les connaissances sur les maladies du bois à l'échelle européenne. Chacun peut puiser de l'information dans un réservoir riche de plus de 500 références en huit langues (voir « Lien utile »), alimenté régulièrement. Tâche à l'IFV Sud-Ouest et à ses partenaires de faire redescendre cette information pour la partager.

En France, le plan national Dépérissement est un des outils de cette diffusion essentielle de l'information.

*IFV Pôle Sud-Ouest. **IFV Alsace. ***Université de Reims Champagne-Ardenne.

Fig. 1 : Tour d'Europe des pratiques de terrain « anti-MDB »

Représentation des réponses des 219 viticulteurs européens enquêtés.

Projet Winetwork : fiche d'identité

« Projet collaboratif européen d'échange et de transfert du savoir et de l'innovation entre les régions viticoles européennes dans le but d'augmenter la productivité et la durabilité du secteur viticole », Winetwork a fonctionné d'avril 2015 à septembre 2017. Coordonné par l'IFV, représenté par l'IFV Sud-Ouest, il a été cofinancé par l'Union européenne dans le cadre du programme Horizon 2020 recherche & innovation.

Son but : réduire « le fossé entre la recherche et l'innovation de terrain grâce à la mise en place d'un réseau thématique pluridisciplinaire ». Onze régions viticoles de sept pays (Allemagne, Croatie, Espagne, France, Hongrie, Italie et Portugal) ont échangé leurs connaissances sur les MDB et la flavescence dorée. Le site internet « Réservoir de connaissances » (voir « Lien utile ») a été ouvert début 2017 dans les langues des sept pays, plus l'anglais.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - Vu la gravité des MDB et de la flavescence dorée en Europe et la difficulté à les maîtriser, le projet européen Winetwork a rassemblé des références pour les partager à la filière viticole.

MÉTHODOLOGIE - Ce projet collecte les résultats de recherche mais aussi les essais et pratiques de terrain dans onze régions viticoles des sept pays participants. Cette approche « top-down/bottom-up » vise l'échange à tous niveaux, pas seulement de la recherche vers le terrain.

RÉSULTATS - Les informations mises en réseau portent sur la connaissance des maladies et de leurs agents pathogènes (identification notamment), les résultats des essais de méthodes de lutte réalisés par les partenaires du réseau et/ou publiés, mais aussi les pratiques de terrain des agriculteurs des onze régions participantes et leurs essais de méthodes originales, éventuellement relayés par la recherche. Un site réservoir de connaissances publie tout cela.

MOTS-CLÉS - Vigne, MDB (maladies du bois), flavescence dorée, réseau, Winetwork, recherche, pratiques viticoles, Europe.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACT : fanny.prezman@vignevin.com

LIEN UTILE : www.winetwork-data.eu

BIBLIOGRAPHIE : à déguster (sans modération) après avoir cliqué sur le lien ci-dessus !

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