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DOSSIER

Les stimulateurs de défense des plantes en viticulture

NICOLAS AVELINE*, FLORENT BIDAUT**, SÉVERINE DUPIN*** ET XAVIER DAIRE**** *IFV pôle Nouvelle Aquitaine - Blanquefort. **Chambre d'agriculture de Saône-et-Loire. Vinipôle Sud Bourgogne. ***Chambre d'agriculture de la Gironde - Service Vigne et Vin - Blanqu - Phytoma - n°723 - avril 2019 - page 16

Les stimulateurs des défenses pour protéger la vigne sont une thématique forte de recherche pour limiter le recours aux intrants classiques. L'étude au vignoble de ces produits reste délicate et des verrous de terrain n'ont pas été encore levés.
 Photos : IFV 2018

Photos : IFV 2018

Fig. 1 : Fréquence et intensité d'attaque d'oïdium sur grappe

Fig. 1 : Fréquence et intensité d'attaque d'oïdium sur grappe

Fig. 2 : Fréquence et intensité d'attaque du mildiou sur feuilles lors de la notation de fin juin 2018      Pour chaque modalité, la fréquence est à gauche et l'intensité à droite.

Fig. 2 : Fréquence et intensité d'attaque du mildiou sur feuilles lors de la notation de fin juin 2018 Pour chaque modalité, la fréquence est à gauche et l'intensité à droite.

 3. Destruction de récolte de grappes par le mildiou.  Photo : IFV 2018

3. Destruction de récolte de grappes par le mildiou. Photo : IFV 2018

Fig. 3 : Fréquence et intensité d'attaque du mildiou sur grappes lors de la notation de fin juin 2018      Pour chaque modalité, la fréquence est à gauche et l'intensité à droite.

Fig. 3 : Fréquence et intensité d'attaque du mildiou sur grappes lors de la notation de fin juin 2018 Pour chaque modalité, la fréquence est à gauche et l'intensité à droite.

Les plantes possèdent des mécanismes de défense complexes contre leurs ennemis (agents pathogènes, ravageurs). Elles peuvent par exemple produire des composés antimicrobiens qui limitent l'infection. Cependant certains bioagresseurs déjouent des défenses de la plante et parviennent à provoquer la maladie. C'est le cas des agents du mildiou ou de l'oïdium de la vigne, vis-à-vis desquels Vitis vinifera n'est pas adaptée. Les éliciteurs, appelés en pratique stimulateurs de défense des plantes (SDP), sont censés augmenter préventivement leur résistance et permettre de réduire les doses de fongicides (Gozzo et Faoro, 2013).

Les stimulateurs de défense des plantes

Trois catégories d'éliciteurs

On distingue trois grandes catégories de SDP : les « signaux de danger » appelés microbial-associated molecular patterns (MAMP) qui sont des composés de la plante ou du bioagresseur. Ce sont par exemple des oligosaccharides de la paroi des plantes (par exemple acide oligogalacturonique), des protéines (par exemple flagelline bactérienne). Le COS-OGA ou la laminarine sont considérés comme des MAMP.

La seconde catégorie correspond aux phyto-hormones, comme par exemple le Bion 50 WG à base d'acibenzolar-S-méthyl, analogue synthétique de l'acide salicylique. Ce produit présente une certaine efficacité contre le mildiou et la pourriture grise et même le bois noir (Romanazzi et al., 2013). Bien que les phytohormones présentent une certaine efficacité contre le mildiou et la pourriture grise, il n'y en a pas d'homologuées en viticulture, certainement en raison d'une utilisation délicate (obs. pers.).

La troisième comprend les produits dont on ne connaît pas bien les mécanismes d'action dans la plante, par exemple les phosphonates. Notons que certains SDP ont en outre un effet fongicide, comme les phosphonates et dans une moindre mesure le COS-OGA.

Produits autorisés en viticulture

Autorisations de mise sur le marché

Actuellement, quelques produits homologués sur vigne revendiquent le mode d'action SDP, ils sont présentés dans le tableau ci-dessus. On remarquera que le terme SDP définit seulement un mode d'action et que selon la nature de la substance active et les caractéristiques de la spécialité, certains produits sont listés biocontrôle ou utilisables en agriculture biologique.

Le COS-OGA et le cérévisane ont été approuvés en avril 2015. Des micro-organismes semblent aussi posséder un effet SDP (Bacillus subtilis ou B. amyloliquefaciens). Si cette stimulation est parfois revendiquée pour certains produits, leur mode d'action principal est l'antagonisme (compétition et production de molécules antifongiques).

Enfin, on trouve la famille des phosphites sous diverses formes selon l'ion associé. D'après les prévisions du Consortium Biocontrôle, de nouveaux SDP devraient être homologués dans les prochaines années et étofferont cette liste.

Phosphonates

SDP ou fongicides ?

Ces dérivés de l'acide phosphoreux (H3PO3), appelés aussi phosphites, comme le fosétyl d'aluminium, sont emblématiques des produits dont il est difficile de connaître le mécanisme d'action. En effet, ce sont des éliciteurs mais aussi des anti-oomycètes. Il est vraisemblable qu'aux doses utilisées leur efficacité repose surtout sur leur propriété fongicide (Massoud et al., 2012). On considère que leur effet est systémique, mais cela n'est pas encore clairement démontré.

Encore des inconnues sur l'effet des SDP au vignoble...

En association

Pour certains produits comme les MAMP, si l'élicitation de défenses est démontrée au laboratoire, cela est beaucoup moins net au vignoble. De même, on ignore presque tout de la rémanence de l'élicitation, de la réceptivité des différents organes de la plante, de l'effet variétal, toutes données qui devraient déterminer les conditions d'application. Ainsi le mode d'emploi des SDP proposé par les distributeurs reste très empirique : ils sont associés à des fongicides classiques en réduction de dose et leur emploi est généralement déconseillé sur la période de floraison-nouaison qui est la fenêtre la plus sensible aux attaques du mildiou et de l'oïdium. Ces associations permettent de sécuriser l'efficacité partielle des SDP mais la réduction de dose de fongicides peut aussi se suffire à elle-même : les programmes de l'IFV Optidose et Optipulvé ont montré qu'une dose moyenne réduite de 40 % suffisait à protéger la vigne, avec des conditions d'application optimisées (notamment liées à la performance du pulvérisateur) (Raynal et al., 2011).

L'association SDP et fongicides implique de se pencher sur les problèmes de compatibilité entre produits. Par exemple, le cuivre est susceptible de réagir avec des saccharides comme le chitosane (Ma et Liu, 2014).

Expérimentations en cours

Essai sur oïdium en Bourgogne sur chardonnay

Depuis plusieurs années, le Vinipôle Sud Bourgogne évalue les produits de biocontrôle disponibles, dont des SDP, dans le but de pouvoir les intégrer aux programmes de protection dans un objectif de réduction d'intrants. Les résultats présentés dans la Figure 1 sont issus d'un essai oïdium mené en 2016 sur une parcelle très sensible de chardonnay, sur le vignoble expérimental de la chambre d'agriculture de Saône-et-Loire (Saône-et-Loire). Les applications ont démarré au stade 7 feuilles étalées et étaient renouvelées tous les neuf à onze jours. La pression parasitaire sur ce millésime 2016 était plutôt forte sur la parcelle avec une intensité proche de 70 % sur les témoins à la récolte. À la véraison, le produit Roméo associé à une dose réduite de soufre (2 kg/ha) a permis un gain d'efficacité significatif sur l'intensité de l'attaque par rapport au soufre à dose réduite seul (diminution des symptômes de près de 45 %). Cependant en fin de campagne, à l'approche de la récolte, l'écart entre les deux modalités n'est pas significatif. Ces résultats illustrent la complexité de la mise en oeuvre des SDP, avec des efficacités qui peuvent être significatives (au moins à certaines périodes comme la véraison), mais un intérêt qui demeure limité si on raisonne sur la campagne entière.

Essai sur mildiou à Bordeaux

Dans le cadre du projet collaboratif Alt'Fongi(1), plusieurs produits de type SDP ont été expérimentés en 2018 sur des plateformes d'expérimentation en Gironde. La plateforme mildiou (lycée viticole de Montagne) a été fortement touchée. Les produits SDP étaient employés tous les sept à dix jours et associés à des doses faibles de cuivre, variant selon le stade de la vigne, les pluies annoncées, les dégâts présents sur la parcelle et les résultats de la modélisation du risque de développement de la maladie. Des phosphites ont aussi été associés aux autres SDP pour étudier l'intérêt de l'association de ces produits de biocontrôle. Ces modalités ont de nouveau été complétées avec de petites doses de cuivre. Pour chaque type de modalité, un témoin de vraisemblance a été mis en place. Il consiste en l'application des mêmes quantités de cuivre - et le cas échéant de phosphites - que les modalités expérimentales mais sans SDP.

Les modalités ont été comparées avec une référence cuprique pour laquelle les quantités de cuivre appliquées correspondent à la dose qui aurait été appliquée par un viticulteur biologique au moment du traitement.

Association au cuivre vs cuivre seul

Au 25 juin, date de la notation présentée et la plus contrastée entre les modalités, 2 343 g de cuivre/ha ont été pulvérisés sur la modalité Référence cuivre, et 938 g/ha ont été appliqués sur les autres modalités.

L'efficacité des produits Bastid et Roméo (MAMP) associés au cuivre ne montre pas de différences statistiques avec leur témoin de vraisemblance (Cu(TV) sur les Figures 2 et 3) où les petites quantités de cuivre ont été appliquées seules. Bien que les modalités Bastid et Roméo associées au cuivre peuvent impliquer une légère diminution des fréquences et intensités d'attaque, les écarts-types importants ne permettent pas de conclure sur une efficacité apportée par ces produits associés au cuivre par rapport à la modalité cuivre seul Cu (TV), sur feuilles et sur grappes. Visuellement et statistiquement, ces modalités sont plus touchées que la référence cuprique. La baisse de la quantité de cuivre n'a pas été compensée par l'apport des SDP. Vis-à-vis de la référence cuprique, les modalités avec phosphites montrent une différence significative (environ 30 % de baisse de la fréquence et de l'intensité sur feuilles) sur feuillage et sont équivalentes sur grappe. De nouveau, les modalités avec SDP, phosphites et petites doses de cuivre sont équivalentes à la modalité avec phosphites et petites doses de cuivre. L'association aux phosphites de SDP de type MAMP n'apporte pas de changement en termes de résultats de protection.

Les phosphites montrent toujours une efficacité partielle intéressante mais elle est moins bonne sur grappes que sur feuillage. Les SDP type MAMP donnent des résultats très irréguliers : en 2018, sur une épidémie forte et virulente, on ne note pas de protection intéressante. Mais les résultats obtenus sur des pressions plus modérées (2016, 2017) sont plus encourageants.

Comment faire aboutir les solutions SDP au vignoble ?

OAD et diagnostic

Un des défis du transfert et de l'adoption des SDP est de réussir à intégrer ces produits de façon pertinente et efficace au sein des stratégies en construisant des préconisations qui prennent en compte le risque parasitaire, l'état de réceptivité de la vigne, les conditions idéales d'application... Et ainsi appliquer le SDP en étant sûr de l'effet qu'il va engendrer et de la protection qu'il va permettre. On pourrait par exemple s'appuyer sur des outils d'aide à la décision ou de diagnostic au vignoble pour piloter l'usage des SDP. Pour l'instant des projets sont en cours pour mieux connaître les réactions de défense de la vigne au vignoble et trouver des références techniques optimisant l'efficacité de ces produits. Des outils scientifiques sont déjà disponibles, comme les mesures d'expression de gènes, le dosage de molécules de défense type stilbènes (Corio-Costet et al., 2013). Mais leur mise en oeuvre est lourde et coûteuse, ce qui limite fortement leur usage en expérimentation de routine et encore plus en conditions de production. Une piste de recherche s'intéresse aux outils de terrain capables de fournir une information rapide et simple sur l'état d'activation des défenses, voire un état de résistance. Ces outils pourraient être constitués de capteurs optiques basés sur la fluorescence (Aveline et al., 2011), sur l'analyse multispectrale ou encore des capteurs de composés organiques volatils (Guillier et al., 2017).

Avec le développement de la viticulture de précision et des nouvelles technologies du numérique, il est possible que d'autres types de capteurs émergent rapidement.

SDP de seconde génération

En conclusion, nous manquons encore de recul pour statuer définitivement sur l'intérêt des SDP disponibles à ce jour en viticulture et des connaissances supplémentaires seraient nécessaires pour comprendre leur fonctionnement en conditions de production et optimiser leur utilisation. Les réactions de la vigne dans son environnement fluctuant, les effets des facteurs climatiques, de la pression parasitaire ou encore l'importance du type de pulvérisation sont autant de pistes qui commencent à être étudiées pour mieux appréhender l'élicitation des défenses au vignoble. Il n'en demeure pas moins que la stimulation des défenses des plantes restera d'actualité avec l'arrivée de nouveaux produits SDP de « seconde génération » sur le marché dans les années qui viennent.

(1) Évaluation et valorisation de stratégies de biocontrôle du mildiou, de l'oïdium et de la pourriture grise de la vigne dans le contexte bordelais. Cofinancé par le Conseil interprofessionnel des vins de Bordeaux (CIVB). Partenariat chambre d'agriculture de la Gironde, IFV Bordeaux-Aquitaine et EPLEFPA Bordeaux-Aquitaine.CET ARTICLE a été rédigé à la suite de la journée du réseau mixte technologique Elicitra le 26 septembre 2018 à Perpignan. Le réseau regroupe depuis 2011 des membres de la recherche académique et appliquée autour de la stimulation des défenses des plantes en protection des cultures. Les membres du réseau ont publié fin 2018 un ouvrage intitulé Les Stimulateurs des défenses des plantes, panorama et solutions d'avenir, disponible aux éditions de l'Acta (acta-publications.com).

RÉSUMÉ

CONTEXTE - Avec l'essor du marché des produits de biocontrôle et le besoin de réduction des intrants phytosanitaires classiques, les stimulateurs de défense des plantes (SDP) suscitent un regain d'intérêt. On dispose de quelques produits homologués contre le mildiou, l'oïdium et le botrytis.

Malgré l'arrivée récente de ces nouvelles spécialités, le recul manque toujours pour bien évaluer leur contribution dans la réduction globale des doses de fongicides et pour définir des stratégies d'emploi optimisées au vignoble.

ÉTUDES - Quelques exemples d'essais menés en Bourgogne et en Gironde montrent que les efficacités sont très variables et difficilement transposables pour une utilisation en conditions de production.

L'approfondissement des connaissances au vignoble sur la physiologie de la vigne et la mise en place des défenses demeure un point essentiel si on veut permettre le pilotage de ces solutions dans l'itinéraire de protection.

MOTS-CLÉS - Stimulateurs de défense des plantes (SDP), éliciteurs, microbial-associated molecular patterns (MAMP), phytohormones, COS-OGA, laminarine, acibenzolar-S-méthyl, cérévisane, micro-organismes.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACTS : nicolas.aveline@vignevin.com

xavier.daire@inra.fr

LIEN UTILE : RMT Elicitra : www.elicitra.org

BIBLIOGRAPHIE : la biblioagraphie de cet article (9 références) est disponible auprès de ses auteurs (contacts ci-dessus).

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