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En mots et en pratique

Confusion sexuelle : une technique qui marche en Champagne

PROPOS RECUEILLIS PAR CHANTAL URVOY - Phytoma - n°728 - novembre 2019 - page 52

En Champagne, 16 700 ha, soit près de la moitié du vignoble, sont protégés contre les tordeuses de la grappe par la confusion sexuelle, évitant ainsi le recours aux insecticides. Quelles sont les clés de la réussite de la lutte contre les tordeuses par confusion sexuelle ? Entretien avec Benoît Barizet.
Benoît Barizet, viticulteur dans la Marne et responsable de la mise en place de la confusion sexuelle à Cormicy (Marne) depuis 2017. Photos : C. Urvoy

Benoît Barizet, viticulteur dans la Marne et responsable de la mise en place de la confusion sexuelle à Cormicy (Marne) depuis 2017. Photos : C. Urvoy

Qu'est-ce qui vous a poussé à devenir responsable de site ?

Benoît Barizet : Exploitant 6,40 ha de vigne sur Cormicy, Hermonville et d'autres villages aux alentours, je suis récoltant-manipulant, certifié HVE(1) depuis un an et demi et en passe de l'être en Viticulture durable en Champagne (VDC). Entrer dans la démarche HVE m'a poussé vers cette technique de lutte. J'ai pour objectif de me passer d'insecticides à Cormicy et Hermonville. Dans les autres villages, cela ne sera pas possible car la confusion sexuelle n'est pas instaurée. Contrairement à d'autres techniques de lutte biologique ou de biocontrôle, il faut en effet un minimum de surfaces impliquées en confusion sexuelle pour que la technique soit efficace.

Comment lance-t-on une telle démarche sur un village ?

B. B. : Après un rendez-vous avec la chambre d'agriculture qui propose un service d'accompagnement, j'ai organisé une réunion d'information des viticulteurs du village en janvier 2017. Elle a eu lieu en même temps que celle de la section locale du SGV(2) dont je suis président, ce qui a permis d'avoir un taux de participation important. En majorité, les vignerons n'étaient pas contre. Ceux qui avaient une surface assez conséquente (2 à 6 ha) ont d'emblée été d'accord. La majorité des vignerons sont en coopérative ; leur président les a également poussés à entrer dans la démarche. Et l'intelligence collective a primé : ceux qui n'y étaient pas favorables l'ont fait pour les autres. Les viticulteurs ont ensuite reçu un courrier de la chambre d'agriculture pour concrétiser leur engagement. Finalement, les 43 exploitations viticoles du village, soit 55 ha de vigne, se sont engagées et ce, chaque année, ce qui est rare.

Comment organisez-vous la pose de diffuseurs ?

B. B. : Elle doit se faire avant le premier vol qui a lieu début avril à mi-avril. Cela nous laisse quinze jours à trois semaines pour le faire, soit entre la fin du débourrement et le stade 1 à 2 feuilles étalées. Elle peut avoir lieu quelles que soient les conditions climatiques. Nous utilisons environ 500 diffuseurs/ha contenant deux types de phéromones pour lutter contre la cochylis et l'eudémis. Ils diffusent d'avril à juillet, ce qui permet de couvrir les deux vols de tordeuses, le second étant mi-juillet. Pour l'approvisionnement, les viticulteurs travaillant avec cinq distributeurs différents, nous en choisissons un par campagne. Je passe la commande courant février et le distributeur facture chaque vigneron au prorata de sa surface.

Il faut vingt-cinq à trente participants pour couvrir les 55 ha du vignoble en trois heures. Il est important que chaque viticulteur, ou un de ses salariés, y participe pour éviter aux autres d'avoir le sentiment de réaliser le travail à sa place. Cela pourrait conduire à des défections les années suivantes. Le vignoble est « découpé » en six zones avec, pour chacune, un viticulteur responsable d'une équipe de cinq à six personnes. Un casse-croûte offert par le distributeur clôture la matinée de pose.

Comment pose-t-on les diffuseurs ?

B. B. : Le matin, je donne rendez-vous à tout le monde pour un briefing sur la technique de pose. La première année, les diffuseurs ont été accrochés au fil tous les quatre rangs de vigne et sur le rang, un à chaque piquet. Ceux-ci sont distants de 4 m, avec en général quatre pieds de vigne entre chaque piquet. Les tordeuses hivernant sous forme de chrysalide sous les écorces du cep, la réduction des pontes en 2017 a permis de diminuer les populations dans les parcelles. Dès 2018, nous sommes passés en rythme de croisière, avec une pose tous les cinq rangs. Le long des bois, des diffuseurs sont accrochés sur les premier, troisième et cinquième rangs. Près des fourrières de plus de 5 m de large, nous ajoutons un diffuseur entre chaque piquet. Lors de la taille, les diffuseurs sont enlevés et rapportés chez le distributeur qui gère leur destruction.

Quels sont les freins à la mise en place de la confusion sexuelle ?

B. B. : La technique revient à 210 €/ha à comparer à un ou deux insecticides à 70 €/ha chacun. Le surcoût et la crainte d'une faible efficacité comparée aux insecticides sont les principaux obstacles à la mise en oeuvre de la confusion sexuelle dans les autres villages. Pourtant, en 2017 et 2018, nous avons observé une très bonne efficacité de la méthode, même sur les bordures de vignoble. Les îlots de vigne sont en effet bien séparés entre eux : un par village et pas de vigne entre les villages. Il est souvent difficile pour les viticulteurs habitués depuis toujours à éliminer tous les vers de grappe avec les insecticides d'en accepter quelques-uns. Mais les jeunes qui arrivent sur les exploitations sont en général ouverts à ces nouvelles techniques.

À l'inverse, quels sont les facteurs de réussite ?

B. B. : Cette technique est indispensable en HVE ou en Viticulture durable en Champagne. Ne pas l'appliquer quand elle est en place localement est considéré comme un écart critique en VDC. Cela encourage donc les viticulteurs à l'adopter.

À Cormicy, les vignerons commercialisant leur champagne communiquent sur la confusion sexuelle pour promouvoir leur production auprès des clients. Tous en ont assez de l'image du viticulteur-pollueur, ce qui explique qu'ils étaient motivés pour utiliser cette technique ou d'autres afin d'améliorer notre image. Enfin, le facteur humain est très important. Si les viticulteurs n'apprécient pas le responsable de site, la motivation est beaucoup moins grande !

(1) Haute valeur environnementale.(2) Syndicat général des vignerons.

Qu'est-ce que la confusion sexuelle ?

Cette technique utilise des phéromones de synthèse semblables à celles émises par les femelles des tordeuses de la grappe pour attirer les mâles. Diffusées en grande quantité dans les vignes, elles perturbent les rencontres mâles-femelles et réduisent ainsi les accouplements et les pontes d'oeufs. Ce sont en effet les chenilles de la deuxième génération qui occasionnent des dégâts sur les grains en les perforant, ce qui favorise l'installation des pourritures. Les phéromones sont contenues dans des diffuseurs microporeux que l'on accroche dans les parcelles.

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