Par une décision du 30 juillet dernier, le Conseil d'Etat a annulé un décret pris en 1993, accordant l'AOC au muscat du cap corse. Dans le texte, le ministre avait corrigé une erreur commise par l'Inao. Au final, cette décision conforte les prérogatives de l'Institut : son avis est retenu ou non par le ministre mais ne peut pas être modifié.
C'est la Confédération nationale de la production française des vins doux naturels d'AOC, dont le siège est à Perpignan, qui avait déposé ce recours en annulation contre le décret du 26 mars 1993 instituant l'AOC pour le muscat du cap corse. Comme on va le voir, elle a développé dans sa requête des moyens juridiques; mais avant de les examiner, le commissaire du gouvernement auprès du Conseil d'Etat a suggéré ce qu'il estimait être le motif essentiel de la contestation : des considérations fiscales. En effet, il remarque qu'en application de l'article 402 bis du code général des impôts, les vins doux naturels sont soumis à un tarif fiscal de 350 F par hectolitre alors que les autres vins subissent l'impôt sur la base de 1 400 F l'hectolitre. Rappelant que Bruxelles voit d'un mauvais oeil cette différence de traitement, il laisse entendre que le vrai motif du contentieux serait d'empêcher la multiplication des vins doux naturels qui risqueraient, par leur nombre, d'attirer l'attention de la Commission et de l'inciter à demander la suppression de la différence de traitement entre vins doux et autres.Le décret attaqué édictait que le vin doux muscat du cap corse, pour mériter l'appellation conférée, devait en cours de fermentation être additionné d'alcool d'un titre alcoométrique volumique minimal de 96 %. Or, la proposition du Comité de l'Inao, soumise au ministre en vue du décret, prévoyait un titre de 95 %. Il y avait donc une différence entre la proposition de l'Inao et le texte. Aussi minime soit-elle, elle fera l'objet du moyen essentiel d'annulation.Auparavant, seront rejetées des critiques formulées contre le décret par la Confédération. Mais le véritable débat portera sur la différence entre le décret et la proposition de l'Inao. En matière d'appellation contrôlée, c'est l'établissement public qui détermine les zones dont la typicité et la notoriété lui paraissent mériter le classement. Il délimite les aires et les conditions de production (article 21 du décret du 30 juillet 1935 modifié). Or, lorsqu'un acte réglementaire (un décret ou un arrêté) implique un avis conforme d'un organisme consultatif, le pouvoir de décision de l'autorité administrative est amputé. En pareille situation, ou le règlement suit scrupuleusement l'avis, ou le gouvernement ne le prend pas; il n'a pas le pouvoir de décider en dehors des éléments fournis par l'organisme consultatif. En l'espèce, le ministre fera valoir pour justifier la différence entre son texte et celui de l'Inao sur le titre alcoométrique, que le règlement communautaire du 16 mars 1987 impose aux vins doux naturels un titre alcoométrique de 96 %. Par la suite, si la proposition de l'Inao avait été entérinée, le décret eut été contraire à la législation européenne et susceptible d'être censuré, soit par la juridiction administrative en cas d'opposition à l'application du décret, soit même directement devant la Cour du Luxembourg. Le Conseil d'Etat jugera donc que le gouvernement, saisi d'une proposition de décret portant sur la délimitation de l'aire ou les conditions de production d'un vin bénéficiant d'une appellation contrôlée, ne peut modifier les termes de la proposition dont il est saisi sans entacher sa décision d'incompétence et telle était la situation en l'espèce.N'aurait-il pas pu annuler seulement la partie du décret relative au titre alcoométrique? Non, car cette condition du degré est essentielle à la reconnaissance de l'appellation et c'est donc l'ensemble du décret qui sera mis à néant. En effet, si le gouvernement estimait que la proposition de l'Inao n'était pas conforme à la réglementation en vigueur, il lui appartenait de provoquer une nouvelle proposition en ce sens. Il ne l'a pas fait et à défaut, le ministre modifiant de lui-même la proposition de l'Inao, méritait la censure. Cet arrêt du Conseil d'Etat dépasse les faits qui l'ont motivé; il affirme l'importance de la proposition de l'Inao dans le domaine de la reconnaissance des AOC; en somme, le décret n'est que l'authentification des propositions de l'établissement public. Au cas où un texte réglementaire reconnaissant une appellation ou en modifiant l'aire serait conforme aux propositions de l'Inao, le recours contre le texte gouvernemental serait illusoire; c'est la proposition de l'Inao faisant grief qui devrait être contestée (voir en ce sens l'affaire du château d'Arsac, Conseil d'Etat, 20 septembre 1993).Référence : Confédération nouvelle production française des vins doux, 30 juillet 1997, n° 147826 - Conseil d'Etat.