Étant donné la bonne image dont jouissent les AOC, il semble naturel que les syndicats viticoles s'efforcent d'obtenir une appellation pour leur production. A contrario, ces mêmes acteurs n'apprécient pas d'être exclus de l'aire d'une appellation quand ils estiment y avoir toute leur place, surtout lorsque cette appellation est prestigieuse. C'est ainsi qu'un syndicat du Médoc a demandé l'annulation du décret du 23 novembre 2011 qui définit l'aire géographique de Saint-Julien. Le syndicat proteste car seules quelques parcelles de sa commune ont été retenues pour produire du saint-julien, ce qui n'était pas suffisant à ses yeux.
C'est à l'Inao que revient la responsabilité de proposer des appellations, comme l'indique l'article L. 641-6 du code rural : « La reconnaissance d'une appellation contrôlée d'origine est proposée par l'Inao après l'avis de l'organisme de défense et de gestion [...]. La proposition de l'institut porte sur la délimitation de l'aire géographique de production, définie comme la surface comprenant les communes ou parties de communes propres à produire l'appellation d'origine. » Et c'est le gouvernement qui entérine la proposition de l'Inao par un décret interministériel.
Pour remédier à ce qu'il considère comme une injustice, le syndicat a demandé au Conseil d'État l'annulation du décret du 23 novembre, pour excès de pouvoir.
Il a attaqué ce décret de trois manières. Premièrement, il s'est appuyé sur un moyen de procédure. Il a reproché à l'Inao d'avoir approuvé la nouvelle délimitation de l'aire géographique de Saint-Julien en méconnaissance d'une directive qu'il s'était lui-même donnée. Pour le syndicat, l'Inao aurait dû employer la procédure générale de délimitation pour redélimiter l'aire de Saint-Julien et non la procédure simplifiée. Mais le Conseil d'État a rejeté cet argument car les règles selon lesquelles l'Inao doit choisir entre les deux procédures ne sont pas définies par des dispositions réglementaires ou législatives, ni directement, ni indirectement.
En deuxième lieu, le syndicat a attaqué le décret au motif que seule une partie de sa commune et non la totalité a été intégrée dans l'aire de Saint-Julien. Encore un argument rejeté par le Conseil d'État. En effet, cette haute instance a rappelé que le code rural définit, à son article L. 641-6, « l'aire géographique de production comme la surface comprenant les communes ou parties de communes propres à produire l'appellation d'origine ». La loi permet donc très clairement d'intégrer des parties de communes dans une aire délimitée.
En étudiant ainsi la question qui lui était posée, le Conseil d'État pratique ce que les juristes appellent un « contrôle normal » de la légalité du décret litigieux. En clair, il a vérifié que l'administration a bien respecté la loi. Il s'agit là d'un revirement de la part du Conseil d'État et d'un renforcement du pouvoir qu'il s'octroie pour trancher les plaintes pour excès de pouvoir en matière de délimitation des AOC. Car, jusqu'ici, s'agissant de ces questions de délimitation, il se contentait de vérifier s'il y avait ou non une erreur manifeste d'appréciation de la part de l'administration, c'est-à-dire une erreur grossière dans l'appréciation des faits.
Dernier point, le syndicat estimait que des parcelles de ses communes, exclues de l'aire de Saint-Julien, satisfaisaient bien aux critères de cette aire. Là encore, le Conseil d'État a rejeté la requête du syndicat. Il a jugé que « les auteurs du décret attaqué ne l'ont entaché d'aucune erreur d'appréciation [...] en estimant, sur la base des rapports d'experts, que la partie non comprise dans l'aire géographique ne répondait pas aux principes généraux ayant contribué à la reconnaissance de l'appellation d'origine contrôlée Saint-Julien et à la délimitation de son aire géographique ».
C'est ainsi qu'il a rejeté la requête du syndicat en jugeant la décision de l'Inao légale et le décret qui correspond en tout point conforme aux textes.
Conseil d'État, 10 février 2014, n° 356113