Faut-il privilégier le vrac quand certains cours sont si alléchants? La prudence est de mise pour les vendeurs en direct car l'abandon de certains marchés s'avère souvent irréversible. Sur le long terme, la différence de revenus entre le vrac et la bouteille est estimée entre 20 à 35 %, selon les régions.
Vrac ou bouteilles? Le coeur des vignerons balance... C'est à chaque fois le même scénario : quand le prix du vin en vrac progresse, des vignerons s'interrogent sur l'intérêt de vendre des bouteilles. Réaction logique quand on voit son voisin travailler moins pour gagner autant, voire plus. Mais l'égalité des revenus entre le vrac et la vente en bouteilles reste limitée dans le temps. C'est vrai actuellement mais pour combien de temps?Comme pour toute activité fluctuante, une moyenne sur dix à quinze ans s'impose. On se rend alors compte que la vente en bouteilles génère souvent un revenu supérieur de 20 à 25 %, certains vins très bien valorisés pouvant aller jusqu'à 40-45 %. De plus, le revenu reste relativement stable. Mais la vente directe requiert un réel surcroît de travail et une certaine disponibilité, impliquant des changements dans la qualité de vie. Et c'est cette qualité de vie, associée à un goût peu prononcé pour la vente, qui explique le faible nombre de metteurs en marché direct. En mars dernier, nous avions publié le pourcentage de bouteilles vendues par les vignerons, coopératives et négociants pour chaque vignoble (n° 86, page 66). Le négoce représente la majorité des ventes. Après tout, c'est son métier et certains marchés, comme l'export ou la grande distribution, sont plus accessibles aux négociants. Question de volume et d'expérience. La complexité grandissante des marchés freine donc la vente directe. Il faut être au top des dernières lois et techniques pour vendre sur tous les marchés. Le code-barres sur les étiquettes, la possibilité de payer par carte bancaire, Internet, la commande informatisée ou encore l'envoi gratuit d'échantillons deviennent de plus en plus indispensables.La majorité des vignerons qui vendent en direct travaillent également sur le marché du vrac. Cette stratégie permet de garantir un apport de trésorerie plus rapide. Quand les cours du vrac progressent fortement, ils lèvent un peu le pied sur la vente en bouteilles et privilégient le vrac. Toutefois, est-ce judicieux de ne pas profiter de la bonne passe économique pour recruter de nouveaux clients plus difficiles à capter, tels les restaurants et cavistes? De même, la réduction du volume de bouteilles oblige à un contingentement des livraisons. Certains clients seront déçus et déserteront définitivement votre chai. C'est un risque à ne pas négliger en prévision d'une probable récession. ' En 1990, j'ai vendu 60 % de ma production en vrac, contre 35 % auparavant, se souvient un vigneron bordelais. J'ai refusé la vente à des clients pourtant fidèles. Ils m'ont cruellement fait défaut pendant les années difficiles. Pour trouver de nouveaux débouchés, j'ai dû participer à des salons. Ce surcoût fut loin de compenser le gain ponctuel que m'avait procuré le vrac en 1990. Avec le recul, je pense que j'aurais pu vendre jusqu'à 45 % de ma production en vrac mais jamais 60 %. 'Autre avis d'un vigneron alsacien, plus prudent : ' Le vrac, c'est la dure loi de l'offre et de la demande, avec des fluctuations de prix énormes. Actuellement, cela serait tentant de vendre du gewurztraminer en vrac. Mais aucun courtier ne prend mon riesling... ' En période de bonne tenue des cours du vrac, les vignerons qui hésitent à franchir le pas vers la vente directe diffèrent leurs décisions. Mais c'est pourtant le moment le plus propice au lancement d'une marque, puisque la demande est forte.Les négociants sont parfaitement conscients du flottement général sur l'attrait du vrac en période dynamique. Ils ' acceptent ' de payer le vrac ou le raisin à un prix élevé, d'abord parce qu'ils n'ont pas vraiment le choix, mais aussi parce que cela calme les volontés d'indépendance des vignerons. Politiquement, il serait dangereux, à terme, que le négoce prenne encore plus de poids dans la vente en bouteilles. Car avec la concentration croissante du négoce, il ne serait plus alors que quelques intervenants à fixer le prix du vrac pour une grande partie des vignerons. Avec un tel rapport de force, la marge de manoeuvre des vignerons deviendrait très réduite. La situation de Cognac est à garder en mémoire. De nombreux syndicats tentent de maintenir l'équilibre actuel avec des outils d'aide à la vente directe (affiches, mini-expositions...). Mais cela reste souvent trop timide et il suffirait parfois d'un petit coup de pouce ponctuel pour aider à faire un choix (simulation des perspectives financières avec vente en vrac, en bouteilles ou mixité..). ' Il ne s'agit pas de faire l'éloge systématique de la vente directe qui présente de réelles contraintes, expose un responsable syndical. Il s'agit juste de rappeler qu'il est dommage de mettre en péril des investissements en matériel et en temps pour avoir mal apprécié les conséquences de l'abandon ponctuel d'une partie de sa vente en bouteilles. Quand on abandonne un trop fort pourcentage de sa vente directe pour vendre en vrac, c'est une démarche pratiquement irréversible. '