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VENDRE - L'observatoire des marchés du vrac

Bordeaux met le cap sur la bouteille

Colette Goinère - La vigne - n°248 - décembre 2012 - page 62

Les sorties de chai en bouteilles ne cessent de progresser. Les viticulteurs veulent davantage valoriser leur travail. Les indépendants s'appuient sur le négoce qui vend leurs vins. Les coopératives le concurrencent, vendant en direct à la grande distribution.

C'est une tendance de fond. En dix ans, la part de sorties en bouteilles est passée de 42 à 52 % des sorties de chai de Bordeaux, toutes appellations confondues. Dans le même temps, le nombre de déclarants de récolte a diminué, passant de 11 400 à 7 900, et la surface moyenne des exploitations s'est accrue de 10,4 à 14,5 ha. Autant d'indicateurs d'une évolution profonde de la production.

Premier moteur de ce changement : le prix du vrac, qui est resté très longtemps trop bas. « À 950 euros le tonneau (900 litres) de bordeaux rouge, le vigneron meurt à petit feu. Pour valoriser son produit, il n'a pas d'autre choix que de vendre en bouteilles », martèle Daniel Mouty, président des Vignerons indépendants d'Aquitaine.

« Les viticulteurs se sont aperçus de l'intérêt de valoriser en bouteilles »

De son côté, le négoce de la place de Bordeaux évolue. Alors qu'autrefois il ne s'intéressait qu'aux crus classés, il se charge aussi désormais de vendre les vins de châteaux moins prestigieux mis en bouteille à la propriété par le producteur. Avec ce système, le négoce étoffe son offre pendant que le producteur limite ses investissements commerciaux.

« Depuis trois ans, de nouvelles propriétés arrivent et nous font des propositions, observe Lionel Dougnac, responsable des achats à la Compagnie médocaine des grands crus. Les viticulteurs se sont aperçus de l'intérêt de valoriser en bouteilles. Je leur achète les bordeaux rouges entre 1,50 et 1,90 euro le col. Pour les bordeaux supérieurs, la fourchette varie de 1,90 à 2,50 euros. J'essaie de les rémunérer de façon juste et de bâtir des relations pérennes »

Reste que le passage du vrac à la bouteille n'est pas facile. Lionel Dougnac pointe du doigt les mutations à accomplir. Il s'agit d'abord d'un problème de mentalité. « Faire de la bouteille suppose de prospecter pour gagner des marchés. Cela prend du temps. Les viticulteurs doivent apprendre la patience », indique-t-il. Autre problème : la qualité des vins. Certains pêchent par leur côté végétal. « C'est le point noir, remarque Lionel Dougnac. Et attention au packaging, souvent trop "cheap" »

Ancienne viticultrice devenue courtier, Marguerite Bienvenu n'hésite pas à « materner » et à « bichonner » ses clients viticulteurs qui vendent leurs vins en bouteilles au négoce. « Je les aide dans le choix de leur identité visuelle, dans l'élaboration de leurs étiquettes, dans les traductions en anglais, etc. Je réalise les fiches techniques, je leur donne des tuyaux pour bien acheter les matières sèches et je leur trouve des marchés. Je suis un peu leur directrice commerciale », confie-t-elle.

Jean-Noël Antoniol, du château Croix des Gentils, 29 ha en AOC Bordeaux, à Pellegrue (Gironde), compte sur Marguerite Bienvenu. Elle l'aide autant pour trouver les bons fournisseurs que pour comprendre la façon de fonctionner des Chinois. Ce viticulteur a pris la décision d'embouteiller lui-même il y a quatre ans. Avant, il écoulait sa production (1 500 hl) en vrac rendu mise (vente en vrac avec mise en bouteille au château par l'acheteur). « J'étais las de rester dans l'anonymat, de voir qu'au final mes vins partaient à bas prix en grande distribution », révèle-t-il. Aujourd'hui, 30 % de sa production s'écoule en bouteilles. Et il espère bien ne pas en rester là.

« On ne peut pas vivre à 950 euros le tonneau »

Daniel Vidal, du château Roc de Ségur, 53 ha en AOC Bordeaux, à Landerrouet, s'est lui aussi tourné vers la bouteille. « On ne peut pas vivre à 950 euros le tonneau », lâche-t-il. C'est en 1995 qu'il crée de toutes pièces la propriété. D'emblée, il se met sur le créneau de la bouteille, principalement pour Intermarché. Il investit dans un chai semi-enterré et agrandit l'exploitation. Mais il fait l'erreur de croire que l'enseigne le suivra dans son expansion en lui assurant plus de débouchés.

Peu à peu, la GD lui a fait des offres à la baisse qu'il a fini par juger inacceptables. En 2000, les liens sont rompus. Et le voilà qui se retrouve à faire du vrac. Finalement, il revient à la bouteille dès la récolte 2009. Il investit dans une chaîne d'embouteillage d'occasion. Aujourd'hui, il écoule la moitié de sa production, soit 170 000 bouteilles, par l'intermédiaire de trois négociants. Il vend aussi 70 000 cols au caviste Nicolas et 40 000 aux particuliers.

« Décrocher des marchés prend du temps », souligne-t-il. Au début, il fait un flop. Pour toucher les particuliers, il passe par une société de marketing téléphonique. Le résultat est maigre. « Du coup, j'ai sillonné la France pour trouver des dépositaires et créer des lieux de dégustations.» Les coopératives aussi se mettent à la bouteille en se dotant d'unités d'embouteillage. Contrairement aux viticulteurs, elles sont peu disposées à parler de leur stratégie et de leurs ambitions en la matière. Celles que nous avons contactées pour notre enquête ont refusé toute interview. « Les coopératives sont des acteurs majeurs à Bordeaux, décrypte un négociant. Elles peuvent faire de l'ombre aux grands négociants en se passant d'eux pour travailler directement avec la grande distribution sur de gros volumes. » En squeezant aussi les courtiers au passage. Le sujet est tellement sensible que les principaux acteurs tiennent à la discrétion.

Stabilité le long de la Loire et du Rhône

En Val de Loire, la mise en bouteille à la propriété ne progresse pas vraiment. Sur les quatre dernières campagnes, les ventes directes en bouteilles tournent autour de 712 523 hl à 728 476 hl. Soit une moyenne de 725 366 hl. Les raisons ? « 50 % de la commercialisation s'effectue déjà par les viticulteurs eux-mêmes. C'est historique. C'est un équilibre naturel entre les ventes directes et les ventes au négoce », explique Fanny Gillet, responsable du service économie et études d'InterLoire.

Du coté des côtes du Rhône, les choses évoluent très lentement. « En six ans, la vente en bouteille est passée de 17 à 20 % pour l'appellation Côtes du Rhône et de 29 à 31 % pour l'ensemble des AOC de la vallée du Rhône. Les évolutions, à peine 2 %, sont minimes », indique Brice Eymard, responsable du service économique d'Inter- Rhône. La hausse s'explique par le fait que de plus en plus de caves coops montent leur propre structure de commercialisation pour les marchés de la grande distribution et de l'export.

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